À l’Est, rien de nouveau

Étranger
par  P. SIMON
Publication : novembre 1978
Mise en ligne : 8 septembre 2008

A première vue, les pays de l’Est paraissent offrir ce que le travailleur occidental recherche souvent désespérément  : des emplois.
En effet, le chômage y est virtuellement inconnu, à l’exception de ce qu’on appelle le chômage frictionnel, purement temporaire, qui ne concerne que les travailleurs en train de changer d’emploi, par exemple. De plus, la constitution soviétique de 1977, dans son article 40, garantit le droit au travail dont on parle tant en ce moment de notre côté du rideau de fer. Tout est-il donc résolu à l’Est dans le domaine de l’emploi ?
On pourrait le croire puisqu’on n’entend pas les travailleurs réclamer du travail mais le gouvernement réclamer des travailleurs. Car il y a pénurie de main d’oeuvre. Pourquoi ? Les économistes occidentaux diront que le caractère fermé des marchés intérieurs des pays de l’Est et la fixation des prix à l’exportation par le pouvoir politique ne favorisent guère la productivité. La concurrence ne joue pas. Si bien que, pour produire un article, il faut davantage de main d’oeuvre qu’à l’Ouest. Première source de pénurie.
Ajoutez à cela que le taux de croissance de la population des pays de l’Est va sans doute décroître d’ici l’an 2000 pour n’être qu’environ un tiers de ce qu’il était dans les années 50. Où donc trouver d’autres bras pour l’industrie ?
De 1950 à 1975, la main d’oeuvre industrielle est passée en U.R.S.S. de 15 à 34 millions au détriment de l’agriculture. Même phénomène en Roumanie, Bulgarie, Hongrie, Pologne, Allemagne de l’Est. Il n’est plus possible d’accroître cette évolution sans mécaniser encore davantage l’agriculture, ce que l’économie nationale des pays concernés ne supporterait peut-être pas actuellement.
Où trouver alors le supplément de main d’oeuvre nécessaire  ? Pas dans l’armée bien décidée à carder ses pensionnaires. Restent les femmes et les retraités qui sont effectivement incités à prendre un emploi (le monde à l’envers, presque). C’est ainsi que plus de 4 millions de retraités avaient repris du travail en 1975 contre 2,5 millions en 1970. Il y a encore la possibilité de faire venir des travailleurs étrangers mais les commissaires au plan s’y opposent et ne tolèrent l’entrée de techniciens que lorsqu’il est impossible de faire autrement, et encore pour la période la plus brève possible.
La solution réside sans doute dans une meilleure utilisation de la main d’oeuvre disponible. Selon un ministre tchécoslovaque, l’industrie de son pays utilise 25 % de plus de main d’oeuvre que les industries comparables des pays occidentaux. Si la productivité d’un ouvrier spécialisé de l’Est est environ les trois-quarts de celle de son homologue américain, la proportion tombe à un quart pour les ouvriers non spécialisés qui représentent 85 % de la main d’oeuvre.
D’autres facteurs de distorsion sont la hâte fébrile qui s’empare, dans les derniers jours d’un plan annuel, des usines qui n’ont pas reçu à temps les matériaux nécessaires  ; ou encore, les objectifs du plan sont brusquement relevés, à moins que les autorités ne prélèvent une partie du personnel d’une entreprise pour faire les moissons. Pour toutes ces raisons, les chefs d’entreprise maintiennent en permanence des effectifs supérieurs à leurs besoins réels.
D’ailleurs, une remise en ordre n’irait pas sans conséquences graves. Quelques tentatives ont bien été faites en Russie et en Hongrie pour produire davantage avec moins de travailleurs que l’on paye plus. Mais l’exemple de la Yougoslavie (qui n’est pas membre du Comecon) incite à réfléchir. En supprimant, en 1965, les subventions qu’il pavait aux entreprises en difficulté, le gouvernement a déclenché une spectaculaire montée du chômage qui à l’heure actuelle, demeure élevé.
Allons, il semble bien que les pays du Comecon n’aient pas non plus résolu la quadrature du cercle de l’emploi en économie non distributive. Pendant ce temps, les ménagères russes ne sortent jamais sans un panier qu’elles appellent, dit-on, un «  aucas-où », au cas où elles trouveraient enfin les articles qui font défaut depuis si longtemps dans les magasins.


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