Après le R.M.I.
par
Publication : mai 1989
Mise en ligne : 14 mai 2009
Au cours d’une "Table ronde" sur le Revenu Minimum d’insertion présidée par M. Bélorgey, député socialiste de l’Allier, rapporteur du projet de loi sur le R.M.I. à l’Assemblée Nationale, Pierre Vinot, animateur du Centre d’Etudes de la Socio-économie et ancien membre du Conseil Economique et Social a demandé :
« Existe-t-il une raison d’ordre supérieur -et qu’on nous ait tue jusqu’ici...- une raison dont quelque secte d’économistes détiendrait le redoutable secret, mais qu’elle se refuserait à nous communiquer, une raison de priver les populations (et singulièrement les catégories les moins favorisées) des moyens de consommer ce qu’on a les moyens de produire ? Si une telle raison existe, qu’on nous la dise. Elle ne doit pas être couverte par quelque « confidentiel-défense ».
Et si elle n’existe pas, ou si elle s’avère inconsistante - alors qu’on cesse enfin de pratiquer des politiques aussi anachroniques et aussi dénuées de réalisme ».
Voici le problème bien posé. Donnons la parole à P. Vinot :
Les conditions dans lesquelles a été
conçu le projet de loi intitulé R.M.I., puis dans lesquelles
il a donné lieu à une « discussion » parlementaire
et a été finalement adopté, ont mis en évidence
le niveau déplorablement bas de l’information et de la réflexion
des divers milieux politiques, tant du pouvoir que des oppositions.
Ceci sur les problèmes de la pauvreté -« grande »
et moins grande..- mais aussi conjointement sur ceux du chômage,
de ses causes et des moyens de le faire reculer, autrement que par des
moyens artificiels.
En ce qui concerne ce dernier, il est évident que la question
n’est pas, ainsi qu’on l’entend répéter mécaniquement,
de « créer » des emplois - sans se demander pomment
s’écoulera la production qu’ils entraineront. Elle est d’assurer
des demandes, jusque là rendues défaillantes, alors que
ce sont elles qui doivent susciter tout naturellement des emplois, s’étendant
en cascade aux divers compartiments de la production.
Bien entendu, on a lieu de se réjouir de tous les cas où
cette loi, malgré ses défauts, pourra apporter un dépannage
et un soulagement. Mais cela ne peut dispenser de se poser un certain
nombre de questions.
Quelques questions
1° Que signifient des conditions de réinsertion
dans le travail imposées à des « bénéficiaires »
dont beaucoup -et on ne l’ignore pas- sont horsd’état de prendre
un tel engagement, et de le tenir. A moins que les conditions ne soient
de pure forme, avant d’octroyer tout de même une maigre ressource
qui dans maints cas devrait être assurée de plein droit,
et sans conditions.
2° En supposant que cette réinsertion dans la production
soit effective, que pense-t-on faire des « valeurs ajoutées »
supplémentaires résultant du travail des « réinsérés »,
alors qu’on ne sait déjà pas comment écouler la
production obtenue par ceux des travailleurs qui ont conservé
leur emploi ?
3° La formation professionnelle procurée à une partie
des réinsérables suffira-t-elle à assurer à
ceux qui l’auront acquise une occasion de la pratiquer, alors qu’il
y a déjà tant de travailleurs qualifiés et expérimentés
qui se morfondent à l’ANPE ? Se propose-t-on de grossir, à
grands frais et avec beaucoup de formalités, le nombre des chômeurs
qualifiés ? Ainsi ne peut-on voir dans ces dispositions une ébauche
et une préfiguration de ce qui doit être fait pour recycler
vraiment les « exclus » et les oubliés -alors que la
quantité de ceux-ci dépasse de si loin les chiffres mis
en avant à propos du R.M.I., et auxquels on entend se limiter,-
simplement en fixant des plafonds de ressources hors de mesure avec
le coût réel d’une subsistance normale.
Une responsabilité pour ceux qui ont réfléchi au problème.
C’est pourquoi ceux qui n’ont pas attendu un rapport - fort utile - du Conseil Economique et Social pour prêter attention à cette situation, et pour réfléchir aux solutions qu’elle appelle , ont maintenant la responsabilité de saisir l’opinion - trop incités à croire que la question serait résolue par cette loi - et d ’inviter ceux qui ont des responsabilités, aux différents niveaux de l’Etat, et tous ceux qui sont appelés à concourir à la mise en application de la loi, à prendre conscience du véritable caractère du problème. Il est grand temps de penser - au-delà de ces mesures de circonstances - aux dispositions générales qui doivent être élaborées, et mises en vigueur, de façon systématique, pour s’attaquer à la fois à la sous-consommation des uns et à la privation de travail des autres.
L’absurdité qui doit prendre fin
Il est absurde de se proposer d’un côté
d’opérer à grand peine quelques réinsertions dans
un travail dont on n’a pas assuré l’utilité, - et en même,
temps, de maintenir en fonctionnement (et il n’y a guère que
cela qui marche sans à-coup) - la machine à fabriquer
constamment de « nouveaux pauvres ». Car on ne peut interpréter
autrement le dispositif de formation du pouvoir d’achat, tel qu’il est
organisé depuis trop d’années, et qui a pour caractéristique
de perpétuer une inégalité fondamentale entre les
Français devant le droit au minimum social . Il y a ceux qui,
- pendant la période de leur vie où ils sont « travailleurs »
(mais pour la durée de celle-là seulement) -ont droit
à un minimum social qu’on s’accorde à proclamer incompressible.
Et puis il y a tous les autres - et ce sont les mêmes au cours
du reste de leur existence, pendant qu’ils sont encore trop jeunes ou
déjà trop âgés pour produire - avec lesquels
on s’ingénie à prouver que ce minimum est décidément
très compressible, puisqu’on leur octroie, selon les catégories,
la moitié, le tiers ou le quart, ou moins encore.
Or ces « autres », ils forment plus de 60% de la population
totale : deux consommateurs sur trois - deux qui voudraient bien l’être
, et dont tout le monde a intérêt à ce qu’ils le
soient et dont on assure - dans les « Déclarations »...
-qu’ils sont égaux devant la loi. Egalité dont on ne s’aperçoit
guère lorsqu’on voit les barèmes du R.M.I., - et plus
largement ceux des allocations familiales ou du « minimum »
- combien minimum... vieillesse. Ceux qui ont administrativement mission,
dans leurs bureaux bien chauffés, de fixer de tels chiffres,
ont-ils une idée de ce qu’il en coûte de chausser des enfants,
et de vêtir des adolescents ?
Ce dont il s’agit n’est plus de légiférer dans l’univers
mental fictif des technocrates. Il importe de se placer devant les réalités
du coût de la vie, tel qu’il est pour les uns comme pour les autres
- et de prendre enfin conscience de ce que sont les niveaux de vie effectifs
auxquels correspondent les chiffres officiels en vigueur. Et d’établir
enfin une juste proportion entre le minimum social des uns et celui
des autres. De ceux qui sont, selon une expression qui figurait dans
le rapport Rueff de 1958, « les plus proches du minimum vital ».
Les limites du « possible »
On ne manquera pas de demander si c’est possible. C’est -on l’imagine bien- une préoccupation que nous partageons. Et nous ne serions pas fâchés qu’on se décide enfin à placer la question sur ce terrain. Car de Quelle possiblité s’agit-il ? La France a-t-elle, ou n’a-t-elle pas, la possibilité physique de nourrir ses 55 millions d’habitants ? Qu’on interroge à cet égard les dirigeants de l’agriculture. Et si l’on en doutait, il serait alors grand temps de se demander si le plus urgent est de proclamer « irrévocable » la décision de Bruxelles de celer des milliers d’hectares de bonnes terres arables. La France a-t-elle les moyens de construire de quoi loger convenablement toute sa population ? Si on en doute, qu’on se demande pourquoi elle aura traîné tant de chômeurs dans le bâtiment.
Si les économistes ne voient pas les moyens -financiers...- de réaliser effectivement ce qui est physiquement possible, c’est alors que la question les dépasse. Et elle dépasse effectivement une « science économique » qui en est encore aux conceptions du 19ème siècle , ou aux théories - pas si « générales » que cela... des années 35, ou même 50, pour faire face aux capacités de production permises par les procédés et les équipements des années 90. A « l’économie », on a trouvé indispensable d’ajouter le recours à un traitement « social » du chômage. Tiens, tiens... Mais la vraie solution ne peut être dégagée en continuant à compartimenter dans la pensée « l’économique » et le « social » alors qu’en fait on ne peut les dissocier dans les réalités.
C’est ce caractère unitaire de phénomènes entre lesquels on découvre des « interférences multiples » qu’il est nécessaire de reconnaitre. Comme les physiciens ont dû le faire il y a plus d’un siècle en découvrant l’unité de la thermodynamique. Ce qui a rendu possible tant de progrès.
Et c’est ce qu’il faut faire devant les problèmes conjoints et indissociables du chômage et de la pauvreté. Même si l’on devait pour celà (ce ne serait jamais qu’une fois de plus) changer la dénomination des Facultés de « Sciences économiques ».