Au fil des Jours

Chronique
par  J.-P. MON
Mise en ligne : 4 mars 2006

 Ça presse !

Au nom de la Très Sainte Concurrence, les autorités européennes ont initié dans les années 1990 l’ouverture du marché de l’énergie qui devra être totale au plus tard le 1er juillet 2007. Un an, c’est peu ! Le temps presse. Neelie Kroes, la commissaire européenne chargée de la concurrence, a donc déclaré [1], le jeudi 16 février à Bruxelles, qu’elle était prête à multiplier les poursuites contre les opérateurs du secteur de l’énergie qui traînent la patte : « la Commission va prochainement lancer des investigations anti-trust ». Selon elle, la hausse des tarifs constatée ces derniers mois n’est pas due uniquement à l’envolée des prix du pétrole et du gaz mais aussi « à des pratiques anti-concurrentielles ».

Parmi les dysfonctionnement relevés, elle note la confiance limitée qu’ont les entreprises et les consommateurs dans le mécanisme de formation des prix sur les marchés de gros, et la concentration des marchés du gaz et de l’électricité dans plusieurs États de l’Union dont « les gouvernements donnent leur bénédiction à la constitution de champions nationaux ».

Mme Kroes propose donc de modifier la législation européenne pour contrôler ce genre de fusion au niveau européen. EDF, GDF en France, E.ON, RWE en Allemagne, Endesa, Gas natural en Espagne sont particulièrement visés.

Deux jours après, la toute française commission de régulation de l’énergie (CRE), en bonne élève libérale, a tout de suite repris le refrain [2] en dénonçant « les entraves à une véritable libéralisation » et en annonçant « qu’elle serait particulièrement vigilante sur la préparation de la libéralisation du marché français où EDF et GDF sont toujours très dominants ». Son président, Jean Syrota, grand commis de l’État, nous “rassure” : « il n’y a pas de corrélation entre l’ouverture du marché et la hausse des prix de gros de l’électricité », ce qui l’incite à réitérer son hostilité « aux tarifs réglementés et à l’intervention de l’État » [2]. Et de déplorer que « même les transactions effectuées sur les marchés organisés et les échanges aux frontières échappent à tout contrôle faute d’un décret d’application de la loi sur l’énergie de juillet 2005 ».

Malgré tous ces retards, M. Syrota reste optimiste (nous non !!!) car l’ouverture du marché aux clients particuliers devra impérativement se faire au 1er juillet 2007 puisque, « contrairement à ce que peuvent dire certains hommes politiques, aucune procédure ne permet de retarder cette échéance ».

 Les grandes manœuvres

Certains États de l’Union, et non des moindres, veulent mieux maîtriser leurs approvisionnements, et pour cela ils cherchent à renforcer leurs entreprises face à un géant comme le russe Gazprom.

E. ON, premier groupe allemand de l’électricité et du gaz et plus gros européen, voulait acheter 29 milliards d’euros Endesa, premier producteur d’électricité espagnol, déjà soumis à une offre d’achat hostile de Gas Natural, autre entreprise espagnole. Cette acquisition lui aurait permis de devenir le numéro un mondial du secteur.

Le gouvernement socialiste de Zapatero qui souhaite, au contraire, la constitution d’un grand groupe énergétique espagnol capable de concurrencer les autres groupes européens, dont E.ON et EDF, veut favoriser la fusion Endesa-Gas Natural. Mais il se heurte à l’opposition de la droite qui proclame que « le gouvernement a politisé une opération entrepreneuriale ». En réalité, la droite cherche à mettre en difficulté les milieux d’affaires catalans, et parmi eux la Caixa, premier actionnaire de Gas Natural.

Jusqu’ici la Commission européenne ne songe pas à intervenir : « il n’est pas certain que nous soyons en mesure de traiter l’affaire » a déclaré le porte parole de Mme Neelie Kroes.

En attendant, le gouvernement espagnol met en place des garde-fous législatifs pour contrer l’OPA d’E.ON : le ministre de l’industrie annonce une réforme pour freiner la hausse du prix du kilowatt sur le marché de gros. Ce qui permettrait de réduire les perspectives de bénéfices.

L’Italien Enel, qui s’intéresse surtout aux centrales nucléaires d’Electrabel, filiale à 100 % du groupe français Suez d’énergie et d’environnement, se proposait de lancer une OPA hostile sur Suez. Réaction immédiate de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin qui ont fait savoir au gouvernement italien qu’ils considéreraient le rachat de Suez par Enel comme une agression contre la France (sic !). Les Français semblent avoir oublié qu’EDF a acheté, il n’y a longtemps, 50 % de l’électricien italien Edison. Ce qui lui a permis de devenir le deuxième opérateur de la Péninsule. Silvio Berlusconi a demandé au gouvernement français de rester neutre dans cette affaire et de faire preuve de réciprocité, d’autant plus que les autorités italiennes ne se sont pas opposées au rachat récent de la BNL par BNP-Paribas.

Peine perdue : samedi 25 février, de Villepin a donné son accord à la fusion du groupe privé Suez et de l’opérateur public Gaz de France, ce qui va faire du nouveau groupe un géant dans le secteur du gaz [3].

Seule difficulté, le gouvernement va devoir présenter au Parlement un projet de loi pour revoir la loi d’août 2004 qui prévoyait que la part de l’État dans GDF ne pourrait être inférieure à 70%, alors qu’elle serait ramenée à 40 % si la fusion a lieu...


[1Le Monde, 18/2/2006

[2Le Monde, 22/2/2006

[3Le Monde, 25/2/2006


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