Au fil des jours
par
Publication : octobre 1986
Mise en ligne : 1er avril 2008
Vous ne serez sans doute pas surpris qu’en ces temps de rentrée je vous parle un peu de ce que j’ai glané dans la presse pendant les vacances.
Tout d’abord un titre fracassant dans « le Monde
» du 8 août donné à une interview de Philippe
Séguin, ministre des affaires sociales et de l’emploi : «
L’objectif n’est plus le plein emploi productif ». Diable, c’est
là une véritable révolution culturelle pour un
ministre (et pour « le Monde » aussi !). Constatant que 2
à 2,5 millions de chômeurs est un nombre incompressible,
M. Séguin déclare « Il faut dire les choses comme
elles sont : le secteur productif et le tertiaire traditionnel ne peuvent
plus à eux seuls répondre à la demande. Quantitativement,
c’est une évidence. Les réserves de productivité
de l’industrie et des services classiques sont énormes, et la
compétition internationale les fera jouer toujours plus à
plein. Il y a désormais un décalage structurel entre le
rythme de l’évolution technologique et la capacité d’adaptation,
sur la base des modèles traditionnels du corps social... Et si
on était tenté d’attendre béatement la fin du chômage,
voyons ce qui s’est passé au Royaume-Uni. Je suis de ceux qui
estiment que Mme Thatcher a plutôt réussi sa politique
économique. Mais l’amélioration de l’emploi... n’a pas
empêché l’augmentation du chômage... C’est un sacré
sujet de réflexion ».
Mais ne vous réjouissez pas trop tôt et n’imaginez pas
que M. Séguin va vous proposer l’économie distributive
! Reconnaisant qu’il existe déjà en France une société
duale (encore un bon point pour cette franchise), le ministre entreprend
l’apologie du « nouveau secteur » (périphérie
des entreprises, travail à domicile, activités d’utilité
collective,...) et propose de « réintégrer dans
l’économie officielle tout ou partie de l’économie souterraine
qui s’est développée à notre insu ». Evidemment
tous ces emplois mirifiques, il n’est pas question de les payer décemment,
ne serait-ce qu’au SMIC.
Reconnaissons, cependant, que c’est la première fois qu’un ministre
en exercice reconnaît l’impossibilité du plein emploi :
c’est déjà un progrès !
***
Plus retardataire qu’un ministre, le secrétaire
général de la CFDT se scandalisait des 2 à 2,5
millions de chômeurs « incompressibles » que reconnaissait
M. Seguin et, dans une belle envolée, s’indignait : « Eh
bien, non ! Franchement non ! Parce que le syndicalisme authentique reste
bien vivant, c’est-à-dire porteur de sens pour les salariés,
tous les salariés, et donc pour la société toute
entière, il lui appartient par un grand effort sur lui-même
de montrer comment surmonter l’inacceptable. » C’était
une phrase pour meubler parce que ça ne veut pas dire grand chose...
Mais les solutions que propose E. Maire, c’est : -en premier lieu donner
une impulsion nouvelle à l’action de redressement économique
et de création d’emplois... » (toujours le même refrain
!). Et plus loin : « Le nerf de la guerre l’atout décisif
pour gagner la bataille économique moderne, ce n’est pas le capital,
c’est le travail ; une stratégie financière peut faire
rentrer les capitaux. Mais si l’investissement stagne aujourd’hui en
France, ce n’est pas faute de capitaux, c’est faute de rentabilité
des entreprises ». Ce brave Edmond devrait quand même savoir
que pour être rentable une entreprise doit s’automatiser au maximum
et donc supprimer de la main-d’oeuvre, puisque le travail humain est
plus cher que le travail des machines. Ce n’est donc pas en investissant
davantage qu’on créera des emplois... Rejoignant Séguin,
Maire propose « des activités utiles partiellement solvables,
actuellement inexplorées ou abandonnées au travail noir »
(services industriels à domicile, entretien de l’habitat, services
ménagers, garde des enfants,...). Moyennant quoi, Maire conclut :
« il est possible, dès aujourd’hui, de donner à
chacun dans ce pays soit une activité, un salaire ou une ressource.
Cela n’ira pas sans risques, c’est vrai. Souvent ceux qui ont un emploi
ne voient pas d’un bon oeil le changement nécessaire à
la réalisation du chômage zéro ».
Ce brave Edmond, il ne dit pas que des bêtises, il est plein de
bonnes intentions, mais il a encore l’air de croire que la gateau qu’on
a à se partager est de taille constante et qu’il faut prendre
aux uns pour donner aux autres. Il n’a pas encore compris ce qu’était
la révolution technologique que nous sommes en train de vivre.
***
Entre 1980 et 1985 la population agricole des Etats-Unis
a diminué de 11,5 %, ce qui ramène à 5,36 millions
le nombre d’américains vivant dans une exploitation agricole,
soit 1 sur 45, alors qu’il y en avait 1 sur 7 en 1950 et 1 sur 4 en
1930. Ce qui n’empêche pas les États-Unis de ne plus savoir
que faire de leur production agricole. L’abondance pose décidément
bien des problèmes !
A tel point que pour faire plaisir à ses agriculteurs (qui sont
aussi ses électeurs), Reagan veut vendre du blé subventionné
à l’Union Soviétique. Et ce pour 4 millions de tonnes.
Le problème, c’est que les soviétiques ne veulent plus
accepter les règles du jeu jusqu’ici fixées par les américains :
ils ne veulent plus payer 100 % du prix à l’embarquement et se
réservent le droit de renvoyer une cargaison aux frais des américains
si le grain ne possède pas aux yeux des experts soviétiques
les spécifications requises. Qui plus est, ils veulent aussi
bénéficier des « conditions du marché »,
c’est-àdire en ce moment, payer leur blé moins cher. Ils
savent qu’ils ont tout intérêt à attendre et ils
ne s’en privent pas.
***
Autre méfait de l’abondance, les producteurs
de café vont contrôler leurs ventes sur le marché
afin d’éviter la surabondance de l’offre qui a provoqué
depuis le mois de Mars une chute brutale des prix.
A la fin de l’année 1986 la plus grande mine européenne
de tungstène, située à Couflens dans l’Ariège,
fermera ses portes. Elle ne serait, paraît-il, plus rentable,
les cours ayant chuté de 75 à 33 francs le kilo. C’est,
disent les experts, la conséquence de la baisse du dollar...
Anecdotique mais révélateur : le gouvernement Chirac veut
rétablir le privilège des bouilleurs de cru !