Au fil des jours
Publication : 25 mai 1939
Mise en ligne : 2 avril 2008
Hélas ! Le dialogue Roosevelt-Hitler était à côté de la question. L’un propose la reprise des échanges commerciaux, l’autre réclame de l’espace vital. Aucun ne voit que des réformes de structures s’imposent à l’intérieur de chacun des deux pays. Mais les événements les y conduiront malgré eux.
Sous ce rapport, Hitler répète avec fierté qu’en Allemagne la monnaie n’est déjà plus gagée sur l’or, mais sur le travail. Il oublie de dire : sur le travail humain. Quand la monnaie sera basée non seulement sur le travail des hommes, mais encore, sur celui des machines, en un mot sur la production du pays, il ne restera qu’à la répartir et la consommation sera égale à la production. Mais Hitler en est encore bien loin avec ses armements.
Monsieur Chamberlain, visiblement voudrait avoir l’appui de la Russie sans que les conservateurs anglais s’en aperçoivent. On veut bien que ces affreux marxistes viennent se faire tuer pour défendre les libertés démocratiques, mais on continue à les traiter comme du poisson pourri. On voudrait faire appel à leur armée, à leur aviation, au moment où l’on affecte d’affirmer qu’armée et aviation russes sont inexistantes. Le moins qu’on puisse dire de cette politique, c’est qu’elle est peu reluisante pour le prestige des Anglais.
Au même instant, on imprime tout vif que Hitler et Staline s’entendent comme larrons en foire et que l’Allemagne et la Russie font des affaires ensemble. Notez que ceci n’aurait rien de surprenant car les deux économies se complètent, pour le moment. La Russie peut fournir à l’Allemagne des denrées alimentaires qui lui manquent et recevoir d’elle l’outillage dont elle a encore momentanément besoin. Mais alors le fameux pacte anti-komintern ? – Une blague ? – Et la non-intervention en Espagne qui se traduit aujourd’hui par la revue triomphale des troupes qui sont intervenues au nom de la non-intervention ?
Si, par peur de Hitler, nos conservateurs sociaux ont favorisé Franco, voilà que ce dernier fait aujourd’hui la politique de Hitler. Et si nos conservateurs sociaux se consolaient à l’idée que Hitler avait les moyens de rétablir l’ordre ancien et de ressusciter le passé, voici qu’on apprend qu’il s’entend avec Staline. Désolation de la désolation ! Déjà l’Italie avait troqué un navire de guerre contre du pétrole russe. Mais c’est la fin du monde qui approche… Du monde capitaliste, sans aucun doute…
En réalité, les événements étant plus forts que les hommes, tous les peuples équipés d’une façon moderne, vont vers un ordre nouveau qui s’appelle le régime de l’abondance. Ils y passeront tous, malgré la tragi-comédie qui se joue actuellement sur le théâtre du monde, et malgré tout le mal que se donnent les économistes orthodoxes pour nous dire que c’est une utopie.
L’idée progresse tout de même. Il faut noter, qu’à tout moment, dans un article ou un discours, il est fait allusion au monde nouveau qui s’enfante. On n’en dit pas davantage, mais c’est quand même un peu mieux que la crise cyclique chère à M. Rist, ou la crise mineure imaginée par M. Beaudhoin, de l’Université de Louvain, n’est-il pas vrai ?
Certains milieux restent hermétiques. Ainsi on est en train de célébrer le cent cinquantième anniversaire de 89. Avez-vous lu le compte-rendu de la grande fête de Versailles ? Aucun des petits descendants de nos grands ancêtres n’a paru se douter que nous vivons aujourd’hui une révolution infiniment plus considérable que celle de 89, puisqu’elle nous fait rompre avec des millénaires. Seul M. Édouard Herrriot a parlé un langage nouveau, ou tout au moins a fait une révélation sensationnelle aux conséquences imprévisibles : notre drapeau est désormais pourpre, neige et azur ! Un frisson prolongé a secoué l’assistance…
Avouez qu’on était allé un peu fort en votant 15 millions de francs pour ces commémorations un tantinet ridicules, où moment où tant de pauvres gens n’ont plus les moyens de nourrir leurs enfants. Les crédits ont été ramenés à 5 millions, mais c’est encore beaucoup trop pour cette débauche d’éloquence.
Achetez français ! s’écrie-t-on et affiche-t-on, on nous dit qu’il faut exporter à tout prix. Mais il n’est pas possible d’exporter sans rien importer. Importer c’est acheter aux Anglais, aux Américains, aux Allemands, aux Suisses, aux Belges, etc… Comment acheter à tous ces peuples si l’ordre est d’acheter français ?
Et si nous achetons français, il est clair que les Anglais achèterons anglais, les Américains américain, les Allemands allemand, les Belges belge, les Suisses suisse : car enfin tous ces gens-là aiment leur pays autant que nous aimons le nôtre. Alors comment reprendra-t-on les échanges internationaux qu’on nous affirme être les conditions même de la Paix.
C’est pour cette raison que toutes ces campagnes de blocus économique sont parfaitement odieuses et conduisent à une conflagration générale. Dans l’état actuel des choses, les échanges sont nécessaires, et c’est parce qu’ils deviennent de plus en plus difficiles que les peuples sont accumulés à des réformes de structure. Mais, si sous prétexte que les échanges deviennent difficiles, on veut les arrêter complètement avant d’effectuer les réformes de structure, alors on précipite le monde dans la guerre qu’on veut éviter. Méfiez-vous de Gribouille ! Il a des enfants et des petits-enfants terriblement brouillons.
Achetez ! c’est l’ordre que le ministre des Finances donne aux consommateurs et qu’on peut voir affiché à la porte d’un certain nombre de magasins. Un de nos amis a suivi ce conseil et a prié le commerçant d’envoyer de sa part la facture à M. le ministre des finances.