Au fil des jours
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Publication : juin 2012
Mise en ligne : 30 juin 2012
Meadows persiste et signe
Pour ceux qui l’auraient oublié, Dennis Meadows est un physicien américain qui dirigeait en 1972 l’équipe du Massachusetts Institute of Technology (le fameux MIT), chargée, à la demande du Club de Rome, de rédiger un rapport sur le maintien à long terme de la croissance mondiale. Publié en français sous le titre Halte à la croissance, ce rapport avait alors fait couler beaucoup d’encre. De passage à Paris, à l’occasion de la publication en français de la dernière édition de ce texte, Meadows répond aux questions que lui ont posées des journalistes du Monde [1].
Il constate tout d’abord que, quarante ans après, l’idée encore communément répandue est qu’il n’y a pas de limite à la croissance. « Et quand vous démontrez qu’il y en a, on vous répond généralement que ce n’est pas grave parce que l’on s’approchera de cette limite de manière ordonée et tranquille pour s’arrêter en douceur grâce aux lois du marché ».
Pourtant, dit-il, « ce que nous démontrions, en 1972, et qui reste encore valable quarante ans plus tard, est que cela n’est pas possible : le franchissement des limites physiques du système conduit à un effondrement ». Par “effondrement”, il entend que techniquement « c’est un processus qui implique ce qu’on appelle une “boucle de rétroaction positive” c’est-à-dire un phénomène qui renforce ce qui le provoque [2]. Mais un effondrement, c’est aussi ce qui caractérise une société qui devient de moins en moins capable de satisfaire les besoins élé mentaires de sa population : nourriture, santé, éducation, sécurité ». C’est déjà le cas de certains pays, comme la Somalie, explique-t-il, mais même s’ils en sont moins proches, c’est aussi le cas d’autres pays, y compris les États-Unis.
Conclusion de Meadows : « la croissance va s’arrêter en partie en raison de la dynamique interne du système et en partie en raison de facteurs externes comme l’énergie ».
« Dans les vingt prochaines années, vous verrez plus de changements qu’il n’y en a eu depuis un siècle, dans les domaines de la politique, de l’environnement, de l’économie, de la technique. Les troubles de la zone euro ne représentent qu’une petite part de ce que nous allons voir. Et ces changements ne se feront pas de manière pacifique ».
À la question des journalistes lui demandant quels conseils il donnerait à François Hollande, Angela Merkel ou Mario Monti, il répond : « aucun, car ils se fichent de mon opinion ». Il explique que les politiciens étant élus pour peu de temps n’ont pour seul but que de paraître bons et efficaces pendant leur mandat et ne se préoccupent pas de ce qui arrivera ensuite.
Quant à la croissance, on ne veut pas entendre parler de sa fin parce que cela signifie qu’il faudrait inventer quelque chose de nouveau. Comme le dit un proverbe japonais « si votre seul outil est un marteau, tout ressemble à un clou ». Et malheureusement, pour les économistes le seul outil est la croissance.
Qui l’eut crû ?
« Dans le sillage de la dette allemande, les emprunts français deviennent une valeur refuge » [3].
Lors de la campagne présidentielle, un des thèmes favoris de la droite, relayé ad nauseam par les économistes orthodoxes et les grands médias, était que l’élection de François Hollande provoquerait immédiatement un abaissement de la note de la France, ce qui contribuerait forcément à l’augmentation de sa dette puisqu’elle devrait emprunter à des taux beaucoup plus élevés. Or il n’en est rien, bien au contraire. Ce qui en étonne beaucoup dans les salles de marché des banques où l’on entend des remarques telles que « Si on m’avait dit que la France emprunterait à de tels taux sous un gouvernement socialiste… » [3]. Car, jour après jour, les taux d’intérêt réclamés par les investisseurs pour financer la dette tombent plus bas, plus bas que ce qu’ils étaient à la veille de l’élection d’Hollande ! Les investisseurs, polarisés sur la situation grecque, l’Italie et la crise bancaire espagnole, se reportent sur des “valeurs refuges” et, comme le dit un analyste de la banque Natixis, « la nouveauté, c’est que la France bénéficie à plein de ce statut » [3].
Bien sûr, depuis longtemps, les investisseurs prudents se “réfugient” vers l’Allemagne pour sa rigueur et sa réputation de bastion orthodoxe. Mais les obligations allemandes à dix ans étant récemment tombées à 1,19%, soit plus bas que l’inflation (1,9%) et les emprunts à deux ans ayant un rendement négatif, les investisseurs perdent de l’argent en prêtant à l’Allemagne.
Les emprunts d’autres grands États hors de la zone euro (comme l’Angleterre ou les États-Unis) atteignant, eux aussi, des taux d’intérêt historiquement bas, les investisseurs se reportent sur des titres de dette un peu moins sûrs mais qui leur permettent de gagner encore un peu d’argent. C’est le cas de la dette française. C’est une bonne nouvelle pour des économistes orthodoxes car cela allégera momentanément la charge de la dette de l’État.
Mais, comme on le sait, les marchés sont versatiles et la crise européenne persistera tant qu’on n’aura pas changé le statut de la Banque centrale européenne qui doit pouvoir prêter directement aux États.
[1] Le Monde, 26/05/2012.
[2] La Grèce est un bon exemple de ce cercle vicieux : la population perd confiance en sa monnaie, donc elle retire des fonds de ses banques, ce qui fragilise les banques et incite encore plus les gens à en retirer leur argent, etc. …et c’est l’effondrement.
[3] Le Monde, 02/06/2012.