Au fil des jours

Chronique
par  J.-P. MON, M.-L. DUBOIN
Publication : juillet 2016
Mise en ligne : 10 décembre 2016

 L’urgence de l’inutile

Sous ce titre, Téléobs du 20 juillet a publié un « appel contre les discours bêtes », sous forme d’un article de Jean-Claude Guillebaud que tout le monde devrait méditer  !

Citant d’abord André Gorz dans L’Immatériel : « c’est la culture qui ne sert à rien qui, seule, rend une société capable de se poser des questions sur les changements qui s’opèrent en elle et de leur imprimer un sens », Guillebaud y dénonce le malaise d’aujourd’hui, fondé sur « le refus des régressions déguisées en progrès ». Derrière le zèle des cadres ou employés qu’on peut voir dès l’aurore dans les TGV, penchés sur leur micro-ordinateurs, « immergés dans des logiques d’efficacité ou de marketing », il voit que se cache l’inquiètude, révélatrice du « climat de l‘époque : la peur, le souci de rendement personnel, la crainte de ne pas être performant »… La persistance d’un chômage massif a généré des conséquences en chaîne, dont « à côté des 5 ou 6 millions de personnes (en France) affectées directement, pour des millions d’autres qui en souffrent indirectement : la peur »… Or « une société qui a peur est une société qui se durcit. L’autre, dès lors, est d’abord un concurrent potentiel, un rival, un ennemi… Cette peur est aggravée par les nouveaux codes sociaux et leurs adjonctions : produire, réussir, gagner, vendre… Cette cruauté barbare s’applique à tous les domaines, toutes les classes d’âge et toutes les catégories. »

N’est-ce pas un autre effet de cette peur, de ce besoin d’assurance, du culte de la performance que met à profit la foule de tous ceux qui vivent du commerce du foot, des jeux olympiques, etc, etc ?

Et des armes ?

 De quoi être fiers ?

N’est-ce pas cette même peur qui poussait les hommes à faire la queue devant un stand du 25ème salon Eurosatoty pour essayer une mitraillette en tirant sur des bouteilles comme dans une joyeuse fête foraine (heureusement interdite aux moins de… 16 ans !).

Quel prestigieux succès, ce salon du commerce des armements qui s’est tenu le mois dernier à Villepinte, près de Paris !

Venus de 56 pays, plus de 1.500 exposants sur 174.000 mètres carrés montraient fièrement chars de combat, fusils d’assaut et drônes dernier cri.

Même la Russie, l’Ukraine et la Chine étaient présents… alors que ces pays, soumis à un embargo par l’Union Européenne, y sont interdits de vente d’armes !

Deux journalistes du Monde y ont repéré un fournisseur français d’uniformes militaires qui est soupçonné d’avoir versé des pots-de-vin pour obtenir du Gabon un contrat de 7 millions d’euros. Ils ont aussi remarqué les modè­les présentés fièrement par deux entreprises qui ont été épinglées par Amnesty International pour avoir fourni du matériel à la coalition militaire saoudienne engagée au Yémen.

On voit, par ce succès d’Eurosatory, que le commerce des armes peut bien s’appuyer sur des pots de vin pour alimenter toutes les guerres du monde et continuer à mépriser les droits de l’homme, parce que ce qui compte c’est que l’industrie des armes soutient notre sacro-sainte “balan­ce commerciale”. En effet, les pays les plus grands exportateurs d’armes sont, dans l’ordre, d’abord les États-Unis (près de 20 milliards d’euros), la Russie (plus de 7 milliards) puis l’Allemagne et la France, pratiquement à égalité (4,8 milliards).

Ce sont donc les industriels français, américains et allemands qui tenaient le haut de l’affiche à Villepinte.

Et comme en outre la fabrication et le commerce des armements “donnent” du travail à beaucoup de monde, les syndicats ne peuvent qu’être fiers des performances de la France.

 Ce que peut l’histoire

C’était le titre qu’avait donné l’historien Patrick Boucheron à sa leçon inaugurale au Collège de France. Il en débat avec un journaliste de l’Obs [1]. « Dans le désarroi où nous étions tous [2], je me devais, dit-il, de rappeler que l’histoire – comme discipline autant que comme émotion collective – n’est pas là seulement pour nous rassurer sur la clôture de nos identités, mais qu’elle peut aussi nous ouvrir l’avenir de façon bienveillante. Comment ? En mettant à la disposition de tous ce qui, dans le passé, a été riche d’avenir en exposant ce que l’on pourrait appeler ses “potentialités inadvenues”. C’est un puissant moyen pour résister à notre présent arrogant qui bouche l’horizon et nous réduit à un petit nous étriqué.[…] Aujourd’hui, l’Occident n’est plus le mètre étalon de l’histoire du monde. Il faut dépayser l’histoire de France et de l’Europe ».

Au journaliste qui lui rappellait la forte demande pour une histoire rassurante qui glorifie l’identité française, il a répondu qu’il s’agit en réalité « d’une béquille historique s’appuyant sur le passé dans la nostalgie factice d’une “grande France”, que la recherche historique ne permet justement pas cet usage de l’histoire et que ce n’est pas une question de droite ou de gauche.… L’histoire n’acclame pas, elle ne conforte ni les célébrités, ni les identités, ni les continuités mais au contraire les désacralise. Sa démarche finit toujours par déjouer les croyances. C’est ainsi et c’est sa grandeur ».


[1E.Aeschimann l’Obs, 7-13/07/2016

[2C’était un mois après les attentats du 13 novembre.


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