Complétement utopiste !!


par  M.-L. DUBOIN
Publication : avril 2014
Mise en ligne : 5 octobre 2014

… C’est ce que tout le monde disait. Mais à Saillans, village de la Drôme, les habitants ont osé … et ils sont passés du statut d’administré à celui de citoyen !

Les 1.199 habitants en avaient assez de l’organisation “pyramidale” de la mairie, ils voulaient que ça change et ne plus voter “par dépit”. Alors “ils s’y sont mis” pour inventer une nouvelle manière de gérer leur commune. Ils ont travaillé pendant des mois à établir une liste collégiale, ça a été une belle expérience de démocratie participative. Résultats : 79 % de votants, 56,8 % des voix pour la liste collègiale, « tous été élus au premier tour ! » Cette annonce, dans une salle bondée, fut accueillie par des cris de joie. « C’est la première fois que je vote avec le sourire », a commenté une habitante.

Il faut lire leurs réactions enthousiastes sur http://transitionviganaise.wordpress.com/2014/03/30/democratie-dans-la-drome/.

Pendant des mois, par petits groupes, les habitants de Saillans avaient imaginé ensemble des dizaines de projets. Pour en discuter, ils organisaient des réunions publiques où venaient jusqu’à 250 personnes, presque le quart de la population ! « Qu’on gagne ou qu’on perde, il s’est passé un truc. Un réveil des consciences. Des rencontres, du partage. Quoi qu’il arrive, ça va changer. »

Les deux derniers mois avant les élections « on ne parlait plus, au village, que de politique. À la fin, on n’en pouvait plus, il fallait vraiment faire ces élections ! ». Le soir même, les membres de la liste collégiale et ses sympathisants ont bu plus de Clairette de Die que prévu. Il ne restait que des bouteilles de jus de pomme que la première adjointe a mis de côté pour le conseil municipal du vendredi suivant. Le tout premier.

« Va falloir travailler ensemble, maintenant, pour l’intérêt commun ! », fait remarquer une vieille dame qui promène son caniche près du cimetière.

« À Saillans, la vie est habituellement aussi douce que les couleurs des maisons. Sur les façades, du saumon, de la menthe à l’eau ou des nuances de rose. La Drôme qui coule sous le pont de pierre à l’entrée du village est d’un bleu lagon, tout en transparence. Les habitants affirment qu’il y a dans ce village une énergie hors du commun. Une effervescence qui doit en partie expliquer ce qui s’est déroulé ces dernières semaines.

Saillans a connu l’exode rural et ses maisons abandonnées, avant de voir sa population grossir depuis une dizaine d’années…Il y a eu l’histoire de la supérette, de la carrière ou la fermeture de la gare— on s’était mis sur la voie pour arrêter les trains !…

L’aventure de “Autrement pour Saillans… tous ensemble” a démarré en juin autour d’un trio de villageois, dont l’une raconte : « J’avais x fois dit au maire que ça ne fonctionnait plus. De moins en moins de gens assistaient au conseil, les gens se désintéressaient … Faut faire quelque chose ! »

Ils ont commencé à réfléchir à un projet de gestion municipale alternatif. Leur envie a commencé à s’ébruiter après les grandes vacances, par bouche à oreille. Un événement avait cristallisé le ras-le-bol en 2010 : le projet d’une supérette qui devait être implantée à la sortie du village. Le maire n’a pas consulté les habitants pour cette décision importante : le supermarché, qui n’était pas accessible à pied depuis le centre, risquait d’affecter les petits commerces. Un collectif, “Pays de Saillans vivant”, s’est mobilisé contre le projet, à grand renfort de pétitions, manifestations et courriers. Avec succès : le supermarché a été abandonné. La bataille du supermarché a fourni l’énergie nécessaire aux débats sur la gestion de la commune : le succès des premières réunions publiques en a surpris plus d’un. Au début, on ne parlait ni de liste, ni de programme. Il n’y avait qu’une feuille de papier sur la table pour que les intéressés puissent laisser leurs coordonnées. Le 16 novembre, dans une salle polyvalente remplie, les habitants ont été invités à parler de leur village – une sorte de diagnostic – avant d’avancer des idées.

Alors, « On a fait ce pari fou : bâtir un programme qui ne sortait pas de la tête d’un élu. On était en posture d’animateurs, à l’écoute, et trente projets ont été définis, initiés par des propositions d’habitants : de petites choses quotidiennes, de l’embellissement aux crottes de chien en passant par la redéfinition du stationnement. Pendant cette réunion, les habitants ont beaucoup parlé de lien social, d’écoute et de ce qu’ils pourraient faire pour décloisonner les générations et les groupes. Les personnes âgées, par exemple, avaient envie d’être intégrées au projet de Maison de l’enfance et de la parentalité, issu de l’ancienne municipalité. » « La liste “Autrement pour Saillans” s’est constituée au début de l’année. Beaucoup d’associatifs et une majorité d’actifs, de 20 à 66 ans. Tout le monde est au même niveau : l’absence de hiérarchie se ressent au niveau de l’animation des réunions. Ils n’ont jamais parlé de la “politique avec un grand P” et ignorent les penchants de leurs colistiers – le village vote plutôt à gauche. Ils disent se rassembler autour de valeurs communes, mises au propre dans une charte – on retrouve le dialogue, la transparence ou la protection de l’environnement ».

« Ça m’a fait plaisir de voir que des gens différents se retrouvaient ensemble, sans aucune cooptation », résume une élue. Pour choisir leur tête de liste, « ils ont tranché selon les disponibilités de chacun ». « On a gagné sur ce point : on n’a pas voté pour une personne mais pour un projet. »

Durant les réunions publiques, les habitants ont construit le schéma de fonctionnement de leur municipalité idéale. « On est même allés jusqu’à se demander si on avait besoin d’un maire …S’il y a un nouveau maire c’est que la constitution l’exige, car la volonté de la nouvelle maire est tout autre. »

« Une à deux fois par an, la population sera invitée à donner ses idées lors d’assemblées. Le reste de l’année, il y aura des petits comités sur des sujets précis, comme le choix du mobilier urbain ou la question des rythmes scolaires. Et s’il faut trancher sur une chose importante, les élus aimeraient organiser des référendums.

Dans ce schéma de fonctionnement, il y aussi un “conseil des sages” : neuf habitants qui veilleront au respect de la politique participative et en seront les ambassadeurs ». Car les élus veulent partager leurs méthodes, « essaimer dans d’autres communes ».

« Quand je suis sortie de la première réunion, je me suis dit que c’était complétement utopiste, qu’on n’y arriverait jamais », se souvient une élue, 36 ans, attablée à la terrasse du Café des sports. « Je suis quand même revenue et je me suis laissée embarquer par l’énergie du groupe… Les plus vieux ont joué un rôle important, juge-t-elle, alors que « sa propre génération y croyait mollement ».

« Toutes ces réunions, ces centaines d’e-mails, cette campagne… Ça n’a pas été “un long fleuve tranquille”… Il y avait beaucoup d’interrogations. Parfois, je rentrais et j’avais l’impression de ne pas avancer. Il y avait des frictions, du débat, on savait que ça allait être épuisant, mais on est restés ».

« Les participants parlent tous d’un mélange d’utopie et de rigueur, de rêve et de travail. »

« Ce jeudi, le maire et sa première adjointe, fraîchement élus, s’arrêtent toutes les cinq minutes pour dire bonjour, serrer des mains, faire des bises. Un homme les interpelle déjà car sa vigne vierge a été soit-disant arrachée par du personnel communal : « C’est toujours mieux de le dire amicalement… »

Puis, « le maire prend la parole et fait le point sur le pot offert aux employés municipaux ou les travaux de la grande rue. Ils parlent aussi de l’intercommunalité : les élus ont rencontré plusieurs maires pour parler stratégie… c’est vrai que dès qu’on sort de Saillans, on est obligé de rentrer dans le jeu politique. »

À la fin, surprise : le maire reçoit un petit cadeau de ses colistiers qu’il déballe, amusé. Une paire de chaussettes : « On en avait marre de voir les tiennes trouées. »…

« Le pire maintenant serait de décevoir les attentes. Ou s’enliser dans une machine ingouvernable ». Puisque les habitants les ont choisi, ils vont devoir travailler ensemble. Avec le secrétaire de mairie, ils sont en train d’étudier les obligations légales pour clarifier l’organisation de la nouvelle municipalité. « Le défi, ça va être de maintenir cette énergie. »



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