De la décroissance à la démocratie

Pourquoi la décroissance est-elle nécessaire et inévitable ?

par  C. DUC-JUVENETON, C. RAMIN
Publication : mai 2012
Mise en ligne : 27 juin 2012

Depuis longtemps, nous expliquons dans ces colonnes que la croissance qu’impose le capitalisme, est insoutenable, et que l’important est que les richesses soient mieux distribuées.

L’automne dernier, le Repaire du pays d’Aix organisait un débat sur le thème « Qu’entendons-nous par décroissance ? ». C. Duc-Juveneton et C. Ramin en rapportent ici l’essentiel :

L’idée de décroissance n’est pas ce nouvel oxymore que le système actuel met en place via le Grenelle de l’environnement et autres balivernes de développement durable (DD) ou de capitalisme vert. Elle est portée par toute une nébuleuse de gens, qui se nomment décroissants, objecteurs de croissance ou qui prônent la désaccoutumance à la croissance et d’autres encore, qui changent leur façon de vivre au quotidien. Elle n’est pas davantage une mode à l’usage de bobos en mal de sensations. C’est une idée qui vient de loin, et c’est à un véritable “barrage” qu’elle se heurte depuis des années, raison de plus pour s’inviter aujourd’hui au débat contradictoire. Elle n’est pas non plus une affaire individuelle (comme fermer le robinet quand on se brosse les dents, même si cela peut limiter le gaspillage !). La décroissance n’est pas davantage, comme on l’entend trop souvent, le retour à l’âge des cavernes !

C’est à la fois une autre façon pour chacun de vivre son quotidien et une autre façon d’exister collectivement pour sortir de ce système capitaliste. Nous ne voulons pas changer la société mais changer de société.

 Pourquoi s’y intéresser de plus près aujourd’hui ?

— Parce que nous refusons les inégalités (précarité, pauvreté, exclusion, discrimination), le démantèlement de nos communs etc. ;

— Parce que nous voulons retrouver notre dignité et développer nos solidarités sur un pied d’égalité avec tous les êtres humains, d’ici et de là-bas ;

— Parce que nous vivons sur une planète aux ressources finies, le temps des limites est venu, voire déjà dépassé, la planète nous donne des signes de ne plus pouvoir nous supporter comme l’écrit G.Azam dans son livre Le temps du monde fini.

— Parce que l’on ne peut plus séparer les êtres humains du reste du vivant, parce que nous faisons partie des écosystèmes, sources de vie, au sein desquels nous sommes appelés à vivre en harmonie. Nous voulons nous réapproprier le temps pour reconstruire un art du bien vivre, non pas au sens du “bien-être occidental”, mais au sens de vie bonne, de vie pleine, pour reconstruire une société humaine fondée sur les liens, le rêve, la joie.

 L’actuelle société est éclatée, violente et triste

Aujourd’hui nous sommes réduits à une somme d’individus qui vivent, voire pour le plus grand nombre, survivent, côte à côte, dans des cases qu’une infime minorité leur assigne, et qui finissent par “intérioriser” cette servitude. Or, sans vie collective, aucun individu ne peut évoluer, développer ses potentialités, s’émanciper et apporter ainsi sa pierre à l’édifice commun. Aujourd’hui chaque individu y est soumis à la concurrence ce qui renforce nos peurs et conduit à la guerre. Guerre de chacun contre chacun, de tous contre la nature. Nous sommes devenus tristes et les individus se tournent vers une nouvelle divinité, celle de l’argent-roi, du toujours plus, du toujours plus vite pour le profit d’une minorité dont le seul objectif est l’accumulation

 Croissance et productivisme

Depuis les années 1980, on nous explique qu’il n’y a pas d’autre choix, le fameux « There is no alternative », (TINA), de Thatcher et Reagan. Cette voie est présentée comme seule réaliste et elle est portée au nom de cette pensée unique par les différents gouvernements qui se succédent. Tous ont, au fil des ans, de façon consensuelle, remis les clés au pouvoir économique et financier. Par le renoncement de l’État à battre monnaie, s’obligeant lui-même à emprunter auprès des banques privées (qui créent leur monnaie ex-nihilo) ce qui soumet les peuples par la dette. Par le transfert des prises de décisions politiques à de super structures qui ne sont pas démocratiques, comme le FMI, la BM, l’OMC, la BCE dont les pratiques sont corsetées par des traités élaborés par un aréopage d’experts, les lobbies des entreprises transnationales ayant plus de pouvoir que les peuples. Experts et médias au service des mêmes, peuvent bien ânonner chaque jour la même ritournelle en affirmant la nécessité suprême de « rassurer les marchés financiers », ces institutions reposent sur un déni de démocratie, comme l’a montré, notamment, le mépris des résultats du référendum de 2005, elles ne nous représentent pas.

Croissance et productivisme sont en fait le carburant de cette machine folle où le “dieu économie” est placé au-dessus de tout. Cette machine folle exploite et aliène les êtres humains, elle détruit l’ensemble des écosystèmes et met en danger le devenir des générations actuelles et futures.

 Pour quoi ? Pour qui ?

— Parce que cette volonté de croissance du PIB est poussée par la publicité qui, via les médias bien-pensants et ses supports qui défigurent villes et campagnes, nous abreuve de messages, jusqu’à nous rendre dépendants.

— Parce que cette croyance est malheureusement relayée, et savamment entretenue, auprès de celles et de ceux qui ne peuvent pas, ou qui ne peuvent plus payer ce qu’on leur fait miroiter, dans cette frénésie du toujours plus … Alors, pour pouvoir tout de même “posséder”, eux aussi, pour assouvir leurs frustrations, ils succombent au crédit. C’est se mettre la corde autour du cou et la serrer d’un cran à chaque fois qu’on y a recours.

— Parce qu’aujourd’hui seul “l’avoir” aurait de l’importance ! Jusqu’à définir la position sociale (« si tu n’as pas de Rolex à cinquante ans, tu n’es rien ! »), au détriment de “l’être”, de l’indispensable, du poétique et du faire par nous-mêmes.

— Parce qu’aujourd’hui on ne répare plus, on jette ! Voilà des années que nous sommes dans la société du jetable, via l’obsolescence programmée… pour faire tourner toujours plus vite une machine que nous ne pouvons plus contrôler. Ce qui augmente encore notre fatalisme, notre peur, notre asservissement.

— Parce qu’on assiste aujourd’hui à l’apologie de la culture de la vitesse, de l’immédiateté, au détriment du “prendre le temps” de réfléchir sur le sens de nos actes, sur le sens de nos vies. Nous sommes comme un cycliste qui, lancé, est obligé de pédaler tête baissée pour éviter de tomber… sans se poser la question de savoir pourquoi, et pour qui, il pédale !

 Croissance et croyances

Réduire la notion de progrès à son aspect matériel ne date certainement pas d’aujourd’hui. Mais cette confusion connaît maintenant une telle ampleur et une telle généralisation qu’on en mesure, plus que jamais, toute la perversité et tous les dangers.

Ainsi la croyance en un progrès technique supposé sans limite, imposé aux peuples, censé apporter une solution aux problèmes qui naissent de cet emballement débridé, tout en minimisant, voire en niant leurs conséquences sur la santé des êtres humains, sur l’équilibre des écosystèmes (nucléaire civil et militaire, retraitement de ses déchets, nanotechnologies, CO2,…). Jusqu’à la croyance au transhumanisme, qui prétend faire reculer les limites de la vie jusqu’à rendre les êtres immortels... quitte à greffer des prothèses sur des “êtres” qui ne seraient plus que chimères génétiquement modifiées, des “artéfacts”, selon l’expression de Miguel Benasayag.

Croyance encore en l’assurance que le capitalisme s’effondrera de lui-même et qu’il suffit d’attendre.

Une autre croyance a prétendu combattre cette logique capitaliste, mais sa conception reposait sur une logique semblable : la main invisible du marché étant remplacée par une avant-garde éclairée et son “grand soir” qui allait renverser le mur, au nom d’une non moins chimérique société d’abondance, confondue avec un progrès matériel tout autant déifié, où le gâteau serait mieux partagé mais dont le couteau serait tenu par une “nomenklatura”.

Croyance enfin dans notre ethnocentrisme occidental et son “bien être”, alors qu’il faudrait plusieurs planètes pour que l’ensemble de l’humanité puisse y accéder et qu’aucune culture n’est supérieure aux autres et ne peut dicter ”sa loi” au monde entier.

 Comment ?

Au bout du bout, ce sont des choix où chacun apporte sa pierre au quotidien, où chacun est différent et en même temps égal à l’autre pour construire collectivement notre maison commune.

Parce que nous refusons l’uniformisation pour que vive le métissage, pour retrouver ici, là-bas et ensemble, notre dignité et pour faire vivre concrètement notre solidarité, pour redonner sens au beau mot d’émancipation.

Parce que pour décroitre nous devons “dé-croire” pour expérimenter les chemins de la démocratie.

Parce que nous aimons la vie.


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