De plus en plus fort


par  J. DUBOIN
Publication : 25 mai 1939
Mise en ligne : 2 avril 2008

  Sommaire  

NOS lecteurs connaissent la lutte qui s’est engagée depuis quelques années contre cette terrible abondance de presque tous les produits qui a comme conséquence d’en finir avec le régime de la rareté, dit du profit.

On a commencé par assainir les marchés un peu partout dans le monde, en détruisant tout simplement les produits prétendus excédentaires, ainsi appelés parce qu’on ne pouvait plus les vendre à un prix rémunérateur.

Ensuite, on a pris des mesures légales pour obliger les producteurs à produire moins, car les ententes qu’ils avaient signées entre eux ne réussissaient pas à recréer de la rareté. En combinant la destruction des stocks et les restrictions (volontaires et légales) de la production future, on espérait bien juguler cette maudite abondance qui apporte à tous les hommes la sécurité matérielle et la paix !

Heureusement, elle a la vie dure. Telle l’hydre de Lerne, dès qu’on coupe une de ses têtes, elle repousse, mais un peu plus grosse. C’est comme un fleuve torrentueux qu’on veut endiguer. Il tourne les obstacles qu’on lui oppose et envahit le terrain dont on voulait lui interdire l’accès. La folle politique des armements, imaginée pour réduire le chômage, avait encore l’avantage de faire acheter des stocks de toute nature, car elle exige des métaux, du charbon, des produits chimiques, etc. Malgré l’accroissement continuel du rythme des armements en ce moment, – près de deux milliards de francs par jour pour la planète – les stocks réapparurent, même sur le marché des métaux. Alors on imagina de constituer des stocks dits de battement, notamment pour l’étain, consistant à acheter une quantité considérable du métal et raréfier encore une fois artificiellement les offres qui affluaient sur le marché.

Puis on a trouvé mieux : la menace de guerre autorisait les gouvernements à faire des approvisionnements exceptionnels, non seulement de matériel et de munitions, mais de produits de tous genres qui seraient nécessaires pour approvisionner les armées. Mais pourquoi ne s’en tenir qu’aux armées ? La menace de guerre universelle justifiait encore la constitution exceptionnelle de stocks pour nourrir et vêtir toute la population du globe. Et les gouvernements se mirent à acheter des quantités considérables de pétrole, de blé, de sucre, de viande conservée, etc., qu’ils s’empressèrent de placer sous terre. Comme la guerre universelle pourrait durer longtemps, on ne pouvait constituer de stocks trop considérables, n’est-il pas vrai ?

Vous vous souvenez qu’on vous a signalé – ici même – l’achat considérable de stocks de blé et de sucre opéré pour le compte de l’intendance anglaise, et qui était passé complètement inaperçu sur les marchés mondiaux, tellement l’abondance y est grande. Ces énormes ponctions n’avaient rien dégonflé du tout.

 

ALORS on vient de perfectionner le procédé avec une hypocrisie raffinée. Et tout le mérite en revient à ce grand réformateur, le Président Roosevelt, qui est incontestablement, en temps de paix, la plus grand destructeur de produits utiles que le monde ait jamais connu.

Vous vous souvenez qu’il a encore sur les bras – si j’ose dire – 12 millions de balles de coton de la dernière récolte. Comme chaque balle pèse 225 kg, vous représentez-vous le stock gigantesque de coton dont le Président Roosevelt veut à tout prix se débarrasser ? Et la chose urge d’autant plus que la nouvelle récolte approche, et qu’elle risque d’être plus abondamment catastrophique que les précédentes, malgré toutes les précautions prises.

Il a d’abord pensé vendre son coton au dehors, au rabais et même n’importe quel prix. Vous savez que le moyen le plus courant consiste à donner une prime pour chaque balle vendue à l’étranger. C’est le système que nous employons en France, notamment pour le beurre lorsque son abondance en fait baisser la prix au marché : alors l’État donne six ou sept francs pour chaque kilog de beurre vendu aux Anglais ; c’est un cadeau que nous faisons à nos futurs camarades de combat de l’autre côté de la Manche, qui peuvent aussi manger du beurre français à meilleur compte que les Français, et aux frais de ceux-ci.

Le Président Roosevelt allait s’engager dans cette voie pour son coton, lorsque les filateurs et tisseurs américains l’arrêtèrent net, en faisant un beau tapage. Quoi ! lui dirent-ils, vous allez procurer à nos concurrents anglais du coton à meilleur marché que chez nous ? Mais alors nous ne vendrons plus de cotonnades nulle part, car les Anglais nous dameront le pion sur tous les marchés, et cela grâce à votre générosité que vous faites avec notre argent.

Le Président Roosevelt, après avoir réfléchi, s’est décidé à offrir quelques millions de balles de coton au gouvernement anglais, afin de lui permettre de constituer un stock patriotique de guerre dont il a le plus impérieux des besoins. En contre-partie, lui-même, Roosevelt, accepterait de constituer des stocks de guerre aux Etats-Unis pour le cas où l’Amérique serait attaquée et obligée de soutenir un siège de longue durée. Mais quel produit accepter dont elle ne possède pas déjà des stocks et des stocks ? Alors vous devinez ? Les Etats-Unis accepteront des stocks d’étain, afin de doubler les stocks dits de battement, et aussi de stocks de caoutchouc que les producteurs anglais seraient bien heureux de voir de l’autre côté de l’Océan. Car le caoutchouc, c’est presque pire que le coton. ; on en a beau, en 1938, réduire la production mondiale à 70% pendant le premier trimestre, à 60% pendant le second, à 45% pendant le troisième, il n’y a que les armements qui puissent améliorer un tantinet la situation du marché de ce produit. Bien qu’on mette toutes les armées sur pneus, l’offre de caoutchouc est toujours très supérieures à la demande.

Je ne sais pas si toutes ces négociations sont terminées, car, brusquement, la presse a fait le silence de la mort. Ce que je sais c’est que les producteurs de coton, d’étain et de caoutchouc, ont posé leurs conditions : à savoir que si la guerre ne se produisait pas (un malheur est si vite arrivé !) en aucun cas ces stocks baladeurs ne reviendraient sur le marché. Ils doivent être considérés comme disparus, quoi qu’il arrive, et en tout état de cause.

 

AUTREFOIS, lorsqu’un chef puissant passait de vie à trépas, on plaçait à côté de lui, dans sa tombe, des provisions abondantes destinées à le nourrir pendant l’éternité.

Aujourd’hui, on place, sous terre, tous les produits alimentaires et manufacturés qui seraient si utiles pour combattre la misère chez les vivants. Et quand toutes les richesses réelles auront été ainsi enfouies, rejoignant les stocks d’or et les usines souterraines, il ne restera plus qu’à enterrer les vivants.

Voyons, de vous à moi, croyez-vous que pareil système économique qui, aujourd’hui, n’a plus de nom dans aucune langue, puisse durer encore longtemps ? Croyez-vous qu’il n’est pas un défi à l’intelligence et au cœur de la race humaine ?


P.S. – Des camarades me communiquent un numéro récent de Nouvel Âge dans lequel Valois m’adresse les aménités suivantes : « Duboin fait le jeu de l’adversaire… théoriquement il préconise l’abondance, pratiquement il la torpille… en d’autres termes il met son idéal au service d’une combine… etc. »

Ceci ne mérite, aucune attention. J’ai cessé de lire les extravagances d’un personnage qui, à aucun moment de sa carrière irisée, n’a jamais su acquérir le sens du ridicule. On ne discute pas avec Gressent dit Valois.


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