Définition des systèmes d’échanges locaux (SEL)

Titre IV : Citoyenneté – temps sociétal ; Article 21 :
par  P. DELILLE
Publication : octobre 2001
Mise en ligne : 3 mars 2007

Parmi les gens qui ne se satisfont pas de l’actuel système économique et cherchent à en inventer un qui favorise ce lien social dont parle Roger Sue (voir ci-dessus pages 7-9) on peut citer les Systèmes d’échanges locaux, les SEL.

Ils viennent de tenir une rencontre annuelle en Dordogne, à Plarac.

Le 24 août, les débats de leur atelier sur l’économie solidaire y ont surtout concerné un projet de loi qui leur avait été communiqué par le Secrétariat d’état à l’économie solidaire et qui doit être discuté à l’Assemblée nationale et au Sénat. Il n’est évidemment pas sûr que ce projet soit voté, mais Pascale Delille nous commente ici l’essentiel de ces débats en ce qui concerne en particulier l’article 21 du titre IV de ce projet, et que voici :

« Les associations ou sociétés coopératives d’intérêt collectif comportant exclusivement des personnes physiques peuvent avoir pour objet exclusif l’échange à titre non lucratif de biens et de services dans un but de convivialité et de solidarité. Les activités développées au sein de ces systèmes d’échanges locaux et respectant strictement leur vocation telle qu’énoncée ci-dessus sont compatibles avec la perception des minima sociaux et des indemnités de chômage. »

Un membre du Secrétariat à l’économie soli-daire est venu nous présenter ce projet de loi et participer à un débat pour faire remonter nos propositions éventuelles vers le législateur.

La première réaction (dite réaction de l’autruche épicurienne : pour vivre heureux, vivons cachés) consiste à se dire : mais de quoi se mêlent-ils, nous nous débrouillons très bien sans eux, ils vont sûrement nous encadrer/limiter (car la loi s’appelle par malheur une loi-cadre !) voire nous récupérer/manipuler à des fins politiques (j’oserais dire que ce dernier point ne nous concerne pas et n’interférera en rien dans nos pratiques ; on ne peut pas empê-cher les journalistes ou les politiques de parler de nous).

En fait, je crois que l’enjeu est ailleurs (mais pas dans un dossier classé X de Guy Hascoët !).

La définition des SEL qui est proposée n’est pas contraignante, elle se contente d’inscrire dans un texte de loi ce que nous avons déjà construit, sans nous limiter pour des expérimentations futures ; je trouve que c’est important de reconnaître notre existence et nos pratiques dans un texte de loi ; c’est une manière de dire que ceci nous est acquis et c’est pédagogique pour le reste de nos concitoyens (ou au mieux un appel pour aller chercher plus d’infos). De la même manière, nous pouvons fonctionner collégialement pour animer nos SEL mais nous sommes de plus en plus nombreux à éprouver le besoin de transcrire ce mode de fonctionnement sur nos statuts, quitte à se battre avec les préfectures, pour passer outre leurs formulaires qui réclament un nom de président. Dans les deux cas, nous donnons une légitimité juridique à une pratique et c’est un pas supplémentaire pour son incarnation. La deuxième partie du texte a un objectif plus pratique et vise à protéger les érémistes et les demandeurs d’emplois qui appartiennent à un SEL. Il ne s’agit ni plus ni moins que de se garantir contre la tendance lourde des états (tendance néolibérale !) à se désengager de l’aide sociale (et du service public en général) et à les faire supporter par les familles et bénévoles ou associatifs.

Un participant a fait remarquer, à juste titre, qu’il était aberrant de penser que faire partie d’un SEL pouvait remettre en question la perception des minima sociaux et autres allocations, surtout que les salariés et les professions libérales ne semblent pas devoir être inquiétés, à partir du moment où ils ne proposent pas directement leurs compétences professionnelles dans le SEL [1].

Pourtant en Belgique, un chômeur appartenant à un SEL s’est vu condamné à rembourser une partie de ses indemnités, à cause de ses activités sél-iennes ! Les raisons qui peuvent conduire à une telle injustice sont d’autant plus sournoises qu’elles ne s’énoncent pas clairement et qu’elles sont issues de l’intoxication idéologique, d’origine anglophone (ça, c’est un clin d’œil pour les espérantistes !) du néolibéralisme (Reagan, Thatcher…) mais qui a contaminé le reste de la planète : sous prétexte de défendre la liberté et l’individu [2], la société se dégage de sa respon- sabilité vis à vis de ses exclus et les rend responsables de leur hors jeu social. La politique néolibérale des chaises musicales se légitime en culpabilisant les maillons les plus faibles de sa chaîne économique sur leur incapacité à se maintenir dans le jeu, alors que le nombre de place diminue régulièrement (de quoi devenir schizophrène !) Ainsi ce genre d’idée invite à penser qu’ils se sont exclus parce qu’ils n’ont pas fait assez d’effort, et donc incite à les laisser se débrouiller seuls. C’est la théorie sur laquelle repose la politique sociale américaine qui transfère peu à peu ses budgets de l’aide sociale vers la subvention de prisons privées. Les exclus n’ont plus de place, ils essaient de survivre en marge de la loi, ce qui donne l’occasion de les inculper et les enfermer ; comme de plus en plus de prisons sont cotées en Bourse, le grand enfermement de la misère finit par rapporter de l’argent et la boucle est bouclée [3].

En France, nous privilégions plutôt la thèse plus républicaine qui défend l’idée que le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous et que la redistribution permet de niveler les différences et d’éviter les effets vampires de ceux qui s’enrichissent trop au détriment des autres ; nous pensons encore qu’une société juste est une société qui reste ouverte au plus grand nombre et qu’il est de sa responsabilité de s’occuper de l’exclusion qu’elle a elle-même générée. Mais les idées anglo-saxonnes ont gagné du terrain et ce n’est pas du luxe que d’avoir une loi pour protéger les adhérents des SEL (et donc l’activité des SEL) et dissocier la réciprocité différée de nos échanges, des revenus monétaires de l’économie officielle [4].

C’est pourquoi à la fin du débat, il a été proposé, par François Plassard, le texte suivant pour remplacer le précédent : « Les associations, associations d’associations, ou sociétés coopératives d’intérêt collectif, comportant exclusivement des personnes physiques peuvent avoir pour objet exclusif l’échange à titre non lucratif de biens et de services, dans un but d’échanges réciproques, de mixité sociale et de fraternité.

Les activités développées au sein de ces SEL, et respectant strictement leur vocation telle qu’énoncée ci-dessus, sont compatibles avec les revenus monétaires et en aucun cas, la participation à un SEL ne peut remettre en cause la perception des minima sociaux et des indemnités de chômage. »


[1ce qui me semble sujet à discussion car c’est abandonner définitivement la qualité technique à l’économie officielle pour des raisons fiscales (un professionnel peut proposer ces compétences dans un SEL si et seulement si il les intègre à ses revenus monétaires dans sa déclaration fiscale : dissuasif, n’est-il pas ?) alors qu’on pourrait peut-être trouver des solutions passerelles ; en tout cas, c’est un accord tacite reposant sur une préconisation du ministère, qui avait reçu une délégation du SEL de l’Ariège à l’époque de son fameux procès et que les SEL respectent à peu près. Mais c’est l’exemple typique à ne jamais inscrire dans un document officiel car c’est trop restrictif et il faut se garder la possibilité de faire mieux.

[2Je parle de l’indivi-dualisme au sens politique qui conduit à la perte du sentiment d’appartenance à une société dont nous sommes pourtant tous corresponsables et interdépendants.

[3cf. Loïc Wacquant : Les prisons de la misère, éditions Liber, raisons d’agir.

[4Il me semble que pour éviter d’effrayer les parlementaires, nous avons plutôt intérêt à tirer nos pratiques du côté de l’entraide à base d’échange de temps (le temps est à la mode en ce moment !) plutôt que du côté de la monnaie parallèle, même si concrètement nous participons sans doute au même titre qu’ATTAC mais à l’autre bout de la chaîne, à une mise en perspective du système monétaire, en redonnant à nos unités d’échanges le rôle premier de la monnaie, qui était de faciliter les échanges entre humains.


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