Désarroi


par  G.-H. BRISSÉ
Mise en ligne : 10 août 2007

On ne peut dénier à M. Nicolas Sarkozy des qualités d’intelligence, d’énergie et de savoir-faire. Il a su cultiver fort habilement l’art de la mise en scène, attirer autour de sa personne, comme autant de papillons éblouis par la lumière, tout ce que la Gauche et le Centre en général et le parti socialiste en particulier, comportaient de militants “à la marge”, au bord de la limite d’âge ou en rupture de ban. Il exige en outre de ses ministres dont, sans complexe, il se pose en premier d’entre eux, le Premier en titre faisant figure de comparse, qu’ils se présentent avec succès aux suffrages du peuple, oubliant de préciser par exemple que M. Bernard Kouchner, son ministre désigné aux Affaires étrangères, n’a jamais participé à un quelconque scrutin législatif. Regrettable confusion des genres. Ce qui est bon pour M. Kouchner ne l’est pas pour M. Alain Juppé, lequel aurait pu se dispenser de cette épreuve funeste pour lui mais ne l’a pas fait. Comprenne qui pourra !

L’un de mes bons amis, naguère encore avocat, qui a bien connu, en tant que tel, M. Nicolas Sarkozy, le décrit comme une personnalité attachante qui a fait preuve d’un courage personnel dans l’épisode d’Unabomber, cet excité qui avait pris en otage des enfants d’une école primaire de Neuilly-sur-Seine, il y a quelques années. Je le crois volontiers, en ce sens que les qualités personnelles sont dans la vie d’un homme un élément fondamental, mais qui n’explique pas tout !

En vérité, l’équipe gouvernementale présentée aux médias ce 19 juin a des allures d’union nationale, en quelque sorte la réplique de ce que voulait François Bayrou avec son MoDem. Il nous révèle Mme Christine Boutin, bien connue pour ses positions notamment contre l’avortement, se baladant dans les jardins de l’Hôtel Matignon bras-dessus, bras-dessous avec l’ex-égérie de l’association “Ni putes ni soumises”, Mme Rachida Dati, Garde des Sceaux, plaidant pour l’incarcération des jeunes délinquants récidivistes et côtoyant M. Robert Hirsch, ancien collaborateur de l’Abbé Pierre au sein de l’association “Emmaüs”, chargé d’une mission de “Haut commissaire aux solidarités contre la pauvreté”.

De ce mélange explosif sont issues, jusqu’à présent, quelques mesures qui ne concernent qu’une infime minorité de Français, celle du haut de gamme des revenus, représentée par quelque corporations de notables. Combien de temps perdurera cet assemblage hétéroclite extrêmement sulfureux ? On se rappelle l’épisode des “Jupettes”, ces femmes promues ministres et mises prématurément en congé…

Tôt ou tard, le naturel des revendications sectorielles reviendra au galop. Et beaucoup plus rapidement que l’on ne peut l’estimer ; une fois dissipées les chaleurs de l’été, les Français s’apercevront, mais un peu tard, qu’ils ont été dupés.

« Le pouvoir saoule », remarquait déjà Albert Camus. Une chose consiste à se hisser au pouvoir au gré d’une ambition personnelle, une autre est de l’assumer au contact des dures réalités quotidiennes. La plupart ignore a priori les contraintes et les servitudes qu’il comporte. Pour l’avoir approché sans l’avoir exercé vraiment, je sais ce dont je parle, et mon commentaire a valeur de témoignage. Et je puis dire aujourd’hui que l’avenir nous réserve bien des surprises.

L’actuel Président de la République, quoiqu’il s’en défende, est aux portes du pouvoir absolu : l’Élysée, Matignon, l’Assemblée, le Sénat, le Conseil constitutionnel, les principaux médias, il dirige tout, contrôle tout, instaure une variante de pouvoir “à l’américaine”, sans réel contre-pouvoir, en dépit d’une présence inespérée de députés socialistes au Parlement, où il dispose (on l’a un peu trop oublié dans l’euphorie du second tour des législatives) de la majorité absolue.

Distributiste, mais tout également socialiste personnaliste, adepte d’une économie de répartition encore essayée nulle part, et partisan d’un gouvernement fédéral mondial, je ne me sens pas concerné par tout ce remue-méninges médiatique, qui ne durera qu’un temps et qui a secoué la France. Ce mode de représentation dont j’ai contesté, dès le départ, les modalités, m’est complètement étranger !

Refondation, reconstruction, ou clarification ?

Comme l’écrit à juste titre Laurent Joffrin dans Libération du 18 juin, sous le titre évocateur « Les Yeux ouverts » : « C’est la culture de la gauche qu’il faut repenser en priorité. Tâche qui ne se réduit pas à un face à face entre modernistes et orthodoxes : il faut une vision plus offensive, plus positive de la mondialisation, processus à la fois progressiste et exigu. Les réformistes le veulent mais aussi une partie des militants altermondialistes qui ont renouvelé notre culture politique plus que la Gauche officielle ! »

Disons la vérité : la France profonde, le pays réel, qui regroupe plus de 90% des Français, n’est représenté ni au Parlement, ni au gouvernement. Ceux qui se trémoussent dans ces fauteuils bien douillets, refaits à neuf pour la circonstance, règlent entre eux leurs petits différents, ils rabâchent comme des perroquets des consignes qui leur tombent d’en haut, en partie énoncées par leur gouvernement, en partie (à plus de 80%) par les autorités de Bruxelles : ils passent leur temps à les transformer en textes de loi qui annulent les précédents ou ne seront jamais appliqués.

Comme le note sentencieusement Jacques Attali dans l’Express du 14 juin : « La Gauche a perdu des élections imperdables ». Autrement dit, fin 2005, elle était donnée largement gagnante avec l’énoncé de concepts originaux, suffisamment généraux pour laisser place à tous les développements à venir. Et puis, au fur et à mesure que le temps a passé, elle a laissé place à une mauvaise synthèse destinée à rallier les suffrages de tous les socialistes, quel que soit le courant auquel ils se rattachent.

Désormais, les jeux sont faits, légalement, et pour cinq ans. Mais bien des événements peuvent encore subvenir.

Laissons les socialistes à la manœuvre. Qu’ils procèdent eux-mêmes à leur propre refondation. Il est peut-être tentant pour eux de céder à la “pipolisation”, à ces petits jeux de la télé-réalité fort à la mode, qui consistent à livrer ses propres états d’âme au public le plus large. Il s’agit d’un phénomène de société dont nous devons tenir compte mais qui durera le temps d’une mode. Nous ne mangerons pas de ce pain là !

Ceux que l’on désignait naguère sous le vocable de “lumpenproletariat”, élargi à ces catégories que l’on nomme les classes moyennes et qui représentent une majorité de Français, plusieurs millions en tout cas, sont aux prises avec les difficultés de la vie quotidienne et des fins de mois. Dans le rouge indéfini du compte en banque, des prélèvements obligatoires qui augmentent indéfiniment avec la hausse des tarifs de l’eau, du gaz, de l’électricité, du téléphone, des transports, salariés ou retraités voient leur pouvoir d’achat diminuer, ou se précariser, et des entreprises ferment ou se délocalisent du jour au lendemain.

Ces catégories sociales deviennent des parias permanents de la société : elles n’ont pour tout avenir que la marginalisation, les petits boulots clandestins pour survivre ou, tout simplement le suicide.

M. Sarkozy, vous avez énoncé en forme de promesse un train de réformes apparemment séduisantes. Mais, entre nous, elles ne concernent, répétons-le, qu’une infime partie de la société que vous représentez et qui vous a hissé au pouvoir. Si vous persistez à ignorer les aspirations fondamentales de l’autre partie, celle qu’un ancien Premier ministre avait interpellée comme « la France d’en bas », vous nous engagez vers une catastrophe sociale majeure.

Cette refondation de la gauche sempiternellement évoquée, cette reconstruction jamais entamée, cette clarification toujours au bout du chemin, donnent encore du grain à moudre à ces “déclinologues” qu’évoquait un ancien premier ministre.

Dans La Grande Relève, que je remercie chaleureusement pour son accueil à mes commentaires, nous avons, depuis plusieurs années déjà dressé un inventaire non exhaustif de différentes orientations qu’il conviendrait de donner à notre politique nationale et internationale pour déboucher sur une redressement durable. Il faut bien constater qu’à travers les discours ronflants et les promesse catégorielles à l’emporte-pièce, nous sommes loin de ces propositions de bon sens qui correspondent aux exigences de notre siècle. En dépit de l’espèce d’ostracisme dont nous sommes la cible, nous avons le devoir de persévérer dans cette voie iconoclaste, loin des sentiers battus, avec la certitude d’être approuvés le jour où toutes les “expériences” tentées ailleurs auront lamentablement échoué.


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