Espoir quand même …
par
Publication : août 2004
Mise en ligne : 11 novembre 2006
Pauvre Europe
Bon prince, je n’ironiserai pas sur le fait que la présidence de l’Union européenne vient d’incomber au Premier ministre italien Sylvio Berlusconi que G. Bush vient de recevoir, honneur insigne, dans son ranch du Texas ; ni sur la très probable nomination à la tête de la Banque centrale européenne de l’actuel gouverneur de la Banque de France, Jean-Claude Trichet, dont la rigueur fit merveille lorsqu’il était en charge du Trésor au Ministère des finances à l’époque où le Crédit lyonnais, banque alors nationalisée, se livrait à des acquisitions tout azimut, pour le moins hasardeuses.
Je n’insisterai pas non plus sur l’accueil au sein de l’Union européenne de pays de l’Est qui s’empressent, dès leur admission, d‘acheter du matériel militaire aux États-Unis et qui s’alignent sans vergogne sur leur politique étrangère (voir la guerre d’Irak). Je crains fort qu’ils ne soient que de nouveaux chevaux de Troie appelés à empêcher la constitution d’une véritable entité politique européenne et à ne faire de l’Union qu’une zone de libre échange.
C’est aux perspectives socio-économique de l’Union que je vais m’intéresser.
Une croissance anémique
Selon la Commission européenne, la croissance dans la zone euro, “anémique” depuis trois ans, ne devrait pas dépasser 0,7% en 2003, (en avril, Bruxelles lui prévoyait encore un taux de 1%). Pour le Commissaire européen aux affaires économiques, Pedro Solbes, des risques importants pèsent sur la reprise car « la fin de la guerre en Irak n’a pas été accompagnée d’une reprise significative de la confiance des consommateurs et des entreprises », bien que la Banque centrale européenne (BCE) ait abaissé, début juin, son taux d’intérêt à « un niveau historiquement bas », ce qui va « renforcer la consommation ». Il ne faut pas non plus mettre en cause “l’euro fort” car « l’appréciation de la monnaie unique par rapport au dollar a été, au total, bénéfique à la croissance même si elle pèse sur les exportations » [1]. La baisse des exportations et la forte progression des importations auraient cependant fait reculer d’un demi point le taux de la croissance européenne [2]. (Vous aurez noté que c’est plutôt confus : on ne sait finalement pas si “l’euro fort” a été bénéfique ou non). Tout cela n’améliore pas les perspectives du “marché du travail” puisque le taux de chômage, resté stable en mai par rapport à avril, à 8,8% de la population active, devrait passer à 9,18% au début de 2004. Alors que faire pour remédier à ces faiblesses et diminuer notre retard sur les États-Unis ? Tout simplement suivre les recommandations de Pedro Solbes en procédant à des réformes structurelles qui doivent tendre à « supprimer les barrières en matière d’emploi et à accroître la productivité » [1]. Pour produire quoi ? Pour quels consommateurs ? Mystère, l’essentiel c’est la croissance, la croissance pour la croissance. Et les recettes pour relancer cette croissance ? Rien que du très classique, très libéral et … très inefficace ! On serait tenté de dire tant mieux… si dans le système actuel, cela ne faisait pas tant de dégâts sociaux.
Locomotives en panne
Pourtant, ces recettes ce sont celles que, dociles et sans grande imagination, se proposent de suivre la France et l’Allemagne, locomotives de l’Union européenne, comme les médias ont l’habitude de les qualifier. Mais des locomotives en panne depuis pas mal de temps. Même attelées et tirant dans le même sens, elles sont incapables de faire avancer quoi que ce soit. On nous dit en effet que les politiques des deux pays sont coordonnées, bien que l’on ait, d’un côté, un gouvernement de droite et, de l’autre, un gouvernement dit “social-démocrate”, ce qui, en principe, devrait faire quelques différences. Mais non, malgré leurs déficits budgétaires, les deux persistent dans leurs baisses d’impôts sur le revenu (en Allemagne 10% en 2004, soit avec un an d’avance sur les prévisions initiales ; en France, « ce qui sera possible, mais c’est absolument nécessaire ! » [3]). L’argument est le même des deux côtés du Rhin : il faut baisser les impôts pour soutenir la consommation, redonner confiance aux entreprises et relancer l’indispensable croissance… pour créer des emplois ! L’expérience montre pourtant que ça ne marche pas (voir encadré ci-contre, page précédente), mais qu’importe, puisque la théorie économique l’affirme !
À cela il faut ajouter des réformes structurelles : réforme des retraites et, plus généralement, de la protection sociale, des systèmes de santé avec, notamment, une réduction des prestations remboursées, assouplissement des règles de licenciements, réduction de la durée de perception des allocations de chômage, démantèlement du secteur public, etc. Le tout sous les encouragements des organisations patronales et la division des syndicats.
Syndicats en miettes
En Allemagne, alors que les syndicats (bien plus puissants qu’en France) tentaient de cristalliser l’opposition aux réformes du chancelier Schröder, l’IGMetall, un des syndicats les plus importants du pays et qui regroupe les travailleurs de la métallurgie et de l’électronique, a dû arrêter la grève qu’il avait lancée pour obtenir l’extension de la semaine des 35 heures aux métallos de l’Est, lesquels travaillent 38 heures en moyenne pour des salaires inférieurs à ceux de l’Ouest où les 35 heures sont en vigueur depuis 1995.
Le mouvement avait pourtant bien commencé : des milliers de salariés bloquaient les usines est-allemandes et certains sites de l’Ouest étaient paralysés par la grève, enrayant notamment la production de Volkswagen et de BMW. Le Chancelier est intervenu lui-même au bout de quelques jours de conflit pour désamorcer une éventuelle escalade, qui risquait de perturber les espoirs de relance économique. Sociaux-démocrates, en général, les syndicalistes n’ont pas osé s’opposer à un chef de gouvernement social-démocrate. Histoire connue. Inutile de dire qu’au sein de l’IGMetall l’harmonie est loin de régner : la stratégie du vice-président Jürgens Peters, instigateur de la grève et pressenti pour prendre la direction du syndicat à l’automne, est maintenant vivement contestée.
D’autant plus que le syndicat est divisé sur les réformes annoncées par Schröder, que Peters qualifie de démantèlement de l’État-providence. Le désarroi syndical est tel qu’un responsable de la Confédération des syndicats allemands n’a pas craint de déclarer qu’ « avec cet échec, les syndicats perdent de la crédibilité en tant que contre-pouvoir capable de proposer de réelles alternatives ».
En France, il y a quelques années, le gouvernement et le Medef avaient eu l’habileté de faire accepter le principe suivant lequel pour qu’un accord soit validé, il suffisait qu’il soit signé par un seul des syndicats électoralement majoritaires. Syndicat “réformiste” et auto-proclamé “moderne”, bien sûr, la CFDT s’est engouffrée dans cette brèche ouverte dans le principe de l’accord majoritaire. Du déjà vu lors des grandes grèves de décembre 1995 lorsque Nicole Notat était secrétaire générale de la CFDT. Son successeur, François Chérèque a rejoué le morceau avec les retraites et le statut des intermittents.
Quelle aubaine pour le gouvernement ! Il n’a pas manqué de proclamer haut et fort que ces réformes avaient fait l’objet de longues négociations avec les partenaires sociaux ! Chirac en a fait le leit-motiv de son entretien télévisé du 14 juillet. La France “d’en bas” est rassurée… De son coté, la CGT veut se transformer en « syndicat acteur du progrès social » (???) et se flatte de n’avoir jamais signé autant d’accords dans les branches et dans les entreprises qu’en 2002. FO s’est un peu trop rapidement engagé sur la voie de la grève générale avec SUD, mais n’a pas été suivie. Et certains leur reprochent d’avoir adopté à l’égard du gouvernement un ton qui rappelle celui de la CGT à la fin des années 1970 : « soumission au libéralisme économique, entreprise de démolition tous azimuts, remise en cause des garanties sociales fondamentales du contrat républicain de 1945… » [4]
N’est-ce pas, pourtant, ce qui caractérise l’action du gouvernement actuel ? Le capitalisme ne s’est pas amendé depuis cette époque.
Bref, ce n’est pas encore demain que le mouvement syndical, en France ou en Allemagne, présentera un large front uni, seul capable de mettre en échec la régression sociale mise en œuvre par leurs gouvernements.
Et si on essayait autre chose ?
Autre chose, c’est d’abord assurer à tous un revenu garanti de la naissance à la mort, dissocié de l’emploi. En France, ce débat est tabou dans les partis politiques ou les syndicats. Seul, à ma connaissance, le petit courant Utopia du Parti socialiste a fait des propositions allant dans ce sens [5], mais sa motion n’a recueilli qu’un pourcentage dérisoire de suffrages lors du dernier congrès ! Le débat organisé en janvier 2002 par le Parti communiste sur l’allocation universelle est resté sans suite [6]. Quant aux Verts (lorsqu’ils existaient encore), qui a priori auraient dû être les plus intéressés, ils se sont lancés dans le type de discussions byzantines dont ils ont le secret.
Des raisons d’espérer existent pourtant.
Il faut les chercher dans les nombreuses associations ou réseaux qui se font jour un peu partout dans le monde avec une grande diversité de propositions et de types d’actions.
Parmi eux, je citerai le réseau BIEN [7] à la création duquel nous avons participé en 1986 et dont le congrès qui s’est tenu en septembre 2002 à Genève [8] au Bureau International du Travail nous a montré que de nombreux pays au Nord comme au Sud débattaient intensément de l’instauration d’un revenu garanti.
Tout récemment, son bulletin de juillet témoignait de l’intense foisonnement d’initiatives qui se manifeste un peu partout dans le monde en faveur de l’instauration d’un revenu garanti.
Citons notamment :
• la création en Autriche d’un réseau pour l’instauration d’un revenu de base et la cohésion sociale ;
• la tenue à Barcelone d’une conférence organisée par le parti socialiste de Catalogne sur le revenu de base, à laquelle ont participé plusieurs membres du parti socialiste ouvrier espagnol ;
• des débats à Buenos Aires sur le revenu de citoyenneté ;
• l’annonce du troisième congrès du Réseau américain pour l’instauration d’un revenu de base garanti (USBIG) qui se tiendra à Washington en février 2004 ;
• la proposition du président Lula appuyé par 27 gouverneurs d’États d’instituer au Brésil un revenu minimum destiné à assurer la subsistance des familles à bas revenus ;
• la déclaration du Premier ministre Irlandais jugeant possible l’instauration d’un revenu de base.
• Sans parler des propositions qualifiées “d’utopiques” qui commencent à se faire jour [9] sur la distribution à tous les citoyens Irakiens d’un revenu basé sur les recettes tirées des ventes du pétrole, comme cela existe déjà en Alaska.
Alors… Bonnes vacances !
[1] Le Monde, 04/07/2003.
[2] Note de conjoncture de la Société générale, juin 2003.
[3] Entretien télévisé de J. Chirac le 14 juillet (TF1, France2).
[4] Le Monde, 15/07/2003.
[5] Il proposait de « remettre en cause la place prépondérante du travail pour libérer le temps et déconnecter ses droits de l’activité de production… »
[6] GR 1019, mars 2002.
[7] BIEN = Basic Income European Network = Réseau européen pour l’instauration d’un revenu de base.
[8] GR 1025, octobre 2002.
[9] Warren Viet, “A Fund Could Spread Iraq’s Oil Wealth to Its Citizens”, The Los Angeles Times, 01/05/2003 ; Guy Standing (BIT & BIEN), The Financial Times ; Scott E. Pardee (Middlebury College, Vermont), The Washington Post ; Steve Shafarman (Citizen Policies Institute & USBIG), The Progress Report ; Eduardo Suplicy, Folha de São Paulo, 12/06/2003 ; George Ward (ancien coodinateur de l’Assistance humanitaire en Irak), The New York Times, 13/06/2003.