Et la géothermie ?

Énergie et environnement
par  R. POQUET
Publication : août 2003
Mise en ligne : 12 novembre 2006

On entend généralement par géothermie la seule exploitation des nappes d’eau chaude. L’électricité géothermique alimente actuellement en énergie 160.000 logements de la région parisienne [1]. Offrent également des possibilités : la région Aquitaine et le couloir rhodanien. En Alsace, à Soultz-les-Forêts, un gisement géothermique s’étend sur 3.000 km2, à cheval sur la frontière franco-allemande ; à partir de ce site, un “pilote” de 5 mégawatts pourrait être construit, pour un coût évalué à 250 ou 300 millions de Francs en 1996 [2].

Selon certains ingénieurs, l’exploitation des nappes d’eau chaude serait cependant une simple goutte d’eau comparée à l’océan des thermies contenues dans le noyau de la terre. Le 24 mai 1975, Henri Muller [3] rappelle qu’il suffit d’aller capter ces thermies dans le “manteau” de la surface du globe : « Commençons par dresser la carte du relief interne de la croûte terrestre de manière à localiser les zones de moindre épaisseur au regard de son relief externe. Poursuivons par des forages de reconnaissance effectués au laser, aux ultras-sons ou par toute autre méthode. Utilisons également les milliers de forages stériles déjà creusés par les compagnies de recherche pétrolière, les puits de mine désaffectés. Alors seulement pourra-t-on émettre un pronostic sur cette source d’énergie assurément considérable... La géothermie consiste, pour l’essentiel, à installer des échangeurs de température à profondeur optimum. Il n’apparaît pas nécessaire de créer d’immenses cavernes de réchauffage ; juste le passage pour une double conduite et un système de pompes ».

Tel le monstre du Loch Ness, la géothermie ainsi conçue resurgit régulièrement dans les publications scientifiques. Selon Nature [4], un géologue du California Institute of Technology (États-Unis), David Stevenson, propose « d’envoyer une sonde miniaturisée, de la taille d’un pamplemousse, vers le centre de la Terre. La sonde serait acheminée au sein d’une grande nappe formée de fer fondu. Sous l’action de la gravité, elle s’enfoncerait vers le noyau de la planète en suivant une faille tectonique. La sonde transmettrait ses découvertes par le biais d’ondes sismiques haute fréquence qui pourraient être détectées à la surface de la Terre. Selon Stevenson, la sonde mettrait une semaine à atteindre le noyau de la planète ».

À ce stade des réflexions et des propositions, il est difficile de dire si cette absence d’intérêt pour ce “Voyage au centre de la Terre” relève de l’hésitation à aborder de front le problème technique que cela représente ou de la volonté de sauvegarder les intérêts des groupes pétroliers et nucléaires. À cet égard, un échange de correspondances entre Henri Muller et certains responsables ou observateurs des problèmes énergétiques est assez instructif :
- le 23/2/1975, dans une lettre manuscrite et en réponse à une interpellation d’Henri Muller, Marcel Boiteux, Directeur général de l’EDF, précise que le nucléaire est « une énergie abondante et à bas prix » qui « l’emporte largement sur les autres solutions actuellement disponibles (solaire, géothermie, etc.) ».
- interpellé à nouveau en 1977, Marcel Boiteux, par lettre datée du 5 juillet, reconnaît que l’énergie nucléaire est « chère, polluante et dangereuse. Mais c’est quand même l’énergie la moins chère, la moins sale et la moins meurtrière dont les hommes aient disposé depuis deux siècles. Elle n’a encore, dans ses usages civils, jamais tué personne » [5]. Et il ajoute à propos de la géothermie : Elle « exige que les roches profondes soient mises en pièces sur quelques km3 pour développer une surface d’échange permettant l’extraction de la chaleur terrestre. Le seul procédé pratique pour y parvenir serait la bombe nucléaire souterraine. Ce ne serait pas gratuit. Et on hésite quand même à déclencher des phénomènes de cette taille dont le contrôle total n’est pas assuré. Ne serait-ce pas tomber de Charybde en Scylla ? ».
- interpellé à son tour, le Ministre de l’Industrie, par lettre du 9/2/1981, sous la signature de son chef de cabinet, répond notamment par ces lignes : « Les potentialités de l’exploitation des roches sèches sont effectivement très grandes, car elles concernent pratiquement toute l’écorce terrestre. Malheureusement cette technique, sur laquelle travaillent plusieurs équipes françaises, est loin de déboucher sur une utilisation rationnelle et économique. Il existe de très grands obstacles au développement de cette technique, le problème de la fracturation artificielle des roches en direction et en volume étant extrêmement difficile à résoudre. Ces considérations techniques vous permettent de mieux apprécier, je pense, à la fois la difficulté qu’il y a au développement de la géothermie, mais aussi la volonté manifestée par le Gouvernement de favoriser au maximum les recherches et réalisations dans ces différents domaines ».
- ayant eu connaissance de cette réponse par Henri Muller, le vulcanologue Haroun Tazieff envoie à celui-ci la mise au point suivante : « Ce que vous écrivait le Ministre de l’Industrie est à la fois vrai (non-rentabilité actuelle des roches sèches) et délibérément faux (efforts gouvernementaux). Les efforts des gouvernements giscardiens étaient uniquement orientés vers le freinage de la géothermie, freinage camouflé sous la poudre aux yeux du “Comité de Géothermie”, du cadre juridique, des aides financières, du chauffage par la géothermie etc. Il est mensonger d’affirmer qu’à Bouillante une centrale de 4750 kW est en cours de montage et que d’importants travaux ont été réalisés à la Réunion et à la Martinique, qu’une importante recherche est en cours dans le Massif Central. Ces mensonges permettaient de retarder le développement - aux dépens du nucléaire - de la géothermie ».

Quelles conclusions tirer de ces quelques remarques, avis et propositions ?

• 1 – Qu’au fil des siècles, les hommes ont tour à tour développé les énergies apparentes – eau, vent, soleil,… et souterraines – charbon, pétrole, gaz,… avant de révéler d’autres possibilités comme l’énergie électrique et l’énergie nucléaire. Pourquoi s’arrêteraient-ils en si bon chemin ?

• 2 – N’est-il pas étrange que d’énormes moyens humains, techniques et financiers aient été mis au service de l’exploration de la Lune et de Mars, alors qu’une sonde « de la taille d’un pamplemousse » n’a pas encore été envoyée au centre de la Terre ?

• 3 – Cette obstination à recourir à certaines énergies en cours d’épuisement, comme le pétrole, ne coïncide-t–elle pas avec cet acharnement à réaliser des profits à court terme au détriment de toute considération liée au “développement durable” ?

• 4 – Le manque d’intérêt pour ce “voyage au centre de la Terre“ n’a-t-il pas quelque rapport avec le danger que représente pour une économie reposant sur la rareté de l’énergie et des biens et sur la rentabilité de tous les produits, l’apparition d’une énergie abondante dont le prix de revient serait faible, relativement aux autres énergies ?

• 5 – Que l’on y songe ! Plus de transport de pétrole ou de gaz d’un pays à un autre : à demeure sous ses pieds, l’énergie géothermique serait un gage d’indépendance et un facteur de développement pour les pays qui accepteraient d’y souscrire. Autre menace pour le capitalisme mondialisé !

La géothermie ? un dossier qui piétine lamentablement, à l’image d’une économie néo-libérale exclusivement tournée vers une croissance purement économique et toujours aussi peu soucieuse du développement humain. Quant à nos politiques, ils ne sont pas à une contradiction près. Deux avis récents mettent en valeur celle-ci :
- Dans une interview parue dans Femina, à l’occasion de la Semaine du développement durable (2 au 8 juin 2003) Tokia SaIfi, secrétaire d’État au développement durable, affirme : « Il faut que le gouvernement intègre le développement durable dans la prise de décisions aussi bien dans l’agriculture, dans l’énergie, que dans les transports... ».
- Le rapport établi par le Conseil National du Développement durable, qui doit servir de base à une stratégie qui sera dévoilée à l’issue d’un comité interministériel le 3 juin 2003, survole - selon un journaliste du Monde [6]- « l’agriculture, l’énergie et les transports, trois dossiers sensibles ».

Comme on peut le constater, il n’y a plus qu’à tirer l’échelle. Ce qui évite de descendre au centre de la Terre.


[1France 2, Informations, 24/05/2003.

[2Le Monde, 13/09/1996.

[3Par ses nombreux articles et communications, Henri Muller, ingénieur diplômé de l’École supérieure d’électricité, a beaucoup contribué, depuis près d’un demi-siècle, à la diffusion et à la pénétration d’une “économie communautaire” dans les milieux dits autorisés.

[4Voir le Nouvel observateur 22-28/05/2003.

[5Depuis, il y a eu Tchernobyl…

[6Le Monde, 06/05/2003.


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