Étude de la monnaie : Que cachent certains termes ?

Dossier (Étude de la monnaie IVe - Suite)
par  M.-L. DUBOIN
Publication : mars 2003
Mise en ligne : 19 novembre 2006

1. L’ÉCHANGE

Pour comprendre comment a évolué l’échange économique, revenons aux trois façons possibles d’échanger des biens ou des services :

 A. L’échange pur, sans monnaie.

C’est la façon la plus simple d’échanger : Alice donne des carottes à Brigitte, et Brigitte donne des pommes à Alice. Dès que cet échange a eu lieu, les deux parties sont quittes.

Cet échange direct entre personnes qui ont justement, par hasard, de quoi échanger, ne peut pas s’appliquer à l’ensemble des économies, surtout depuis que la production a cessé d’être artisanale. Il ne reste possible qu’à deux niveaux extrêmes.

— Soit entre individus qui se connaissent assez pour se faire confiance, et qui s’entre-aident. C’est un tel “échange de bons procédés” que les systèmes d’échanges locaux (SEL) organisent entre personnes qui vivent à proximité mais qui, au départ, ne se connaissent pas. Elles n’ont donc aucune garantie que l’échange sera équitable. Bien que les SEL ne concernent qu’une marge de l’économie, ils ont du mal à établir une gestion qui laisse à leurs membres l’initiative de leurs activités.

— Soit entre pays, mais il s’agit alors de contrats d’échanges, impliquant une préparation, des négociations, des clauses et des modalités établies par les deux parties conformément à une juridiction au niveau international dont une Organisation Mondiale des Échanges pourrait, même sans monnaie, assurer l’équité.

 B. L’échange par l’intermédiaire d’une monnaie-marchandise.

Dans un premier temps, Alice donne des carottes à Brigitte, qui, n’ayant pas les pommes que cherche Alice, lui donne en contre-partie un autre bien ayant une valeur marchande dont elles estiment toutes les deux qu’elle est équivalente à celle des carottes fournies par Alice.

Après ce premier temps, Brigitte est quitte, par contre, Alice se retrouve avec un objet dont elle n’a pas l’usage, elle n’a que l’assurance qu’il va lui permettre de l’échanger, en sens inverse, contre un autre dont elle a besoin.

Il y a donc un laps de temps pendant lequel celui qui a reçu la monnaie-marchandise n’est pas encore quitte. Pendant ce délai il peut perdre sa monnaie, se la faire voler, le prix des pommes peut augmenter, il peut y avoir pénurie de pommes ou seulement baisse de la valeur de l’objet intermédiaire, parce qu’il est devenu plus abondant, etc.

Ainsi l’intervention d’une monnaie-marchandise retarde le moment où les deux parties sont quittes, mais en attendant elles possèdent toutes les deux un bien dont la valeur est réelle, même si elle peut un peu varier en fonction de la rareté.

Ce type d’échange a disparu en même temps que la monnaie-marchandise.

 C. La vente avec une monnaie de dette.

Christian vend des pommes à Denise, qui n’a pas en contre-partie une marchandise de valeur équivalente. Denise reste débitrice, elle remet à Christian un reçu par lequel elle s’engage à lui régler sa dette plus tard. Christian reste créditeur, et, bien qu’il ait fourni sa part, la vente continue à le concerner aussi longtemps que Denise n’aura pas produit la marchandise équivalente au reçu. Or il peut avoir besoin de ce que sa débitrice lui doit. Et quelle garantie a-t-il qu’elle tiendra son engagement ? Elle peut être empêchée de le tenir par un accident, elle peut mourir ou perdre son emploi, et elle peut être malhonnête et disparaître sans être quitte.

Au retard introduit par la monnaie-marchandise, la monnaie de crédit ajoute le risque, car la question se pose de savoir ce que vaut cet engagement à payer. Qui acceptera d’accorder de la valeur à ce morceau de papier qui n’a aucune valeur propre ? Et si quelqu’un l’accepte, est-ce que ce sera bien contre l’équivalent de ce qui a été fourni ?

La perte du lien de la monnaie avec une richesse concrète a introduit en plus du délai avant que les deux parties soient quittes, un risque, celui de ne jamais l’être, et en plus elle a doublement modifié la nature de la transaction :

• D’une part l’un des termes de l’échange a changé de nature, il s’est dématérialisé, et pas l’autre.

• Et d’autre part, les deux échangeurs jouent maintenant des rôles différents, l’un, le vendeur, cède un bien réel (ou efectue un service) dont la valeur est ainsi concrétisée, alors que l’autre, l’acheteur ne cède ni marchandise utilisable, ni service équivalent donc incontestable : le vendeur est payé par une promesse symbolique, dont l’utilisation ensuite dans une opération en sens inverse reste aléatoire. Le bien ou le service ne va donc plus que dans un seul sens, du producteur vers le consommateur, et en sens inverse ce n’est qu’un symbole qui est tranféré.

Depuis des décennies, le métal des pièces est sans valeur, et l’ensemble de cette monnaie divisionnaire est à peine 1% de la monnaie circulante. La Banque centrale, dont le nom d’Institut d’émission peut prêter à confusion, fabrique aussi la monnaie fiduciaire (les billets de banque) qui n’a aucune valeur intrinsèque. Ainsi l’essentiel (presque 87% en 1998) de la monnaie légale est constitué de monnaie scripturale-reconnaissance de dette.

Le système actuel est devenu une généralisation de la vente avec une monnaie de crédit. Il y a en effet généralisation du débiteur et du créditeur que nous avons pris en exemple ci-dessus : d’un côté tous les ressortissants du pays sont débiteurs, puisque la loi les oblige à accepter la monnaie nationale en paiement, ils sont ainsi tenus d’honorer cette dette collective ; d’autre part quiconque possède de cette monnaie-reconnaissance de dette est créditeur de la nation puisqu’il a une créance sur elle.

La monnaie nationale, bien qu’elle soit créée par des institutions privées, est ainsi une reconnaissance de dette collective qui engage la collectivité nationale à fournir l’équivalent de sa valeur nominale !


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