Finance et gros mollets


Publication : janvier 1999
Mise en ligne : 2 avril 2006

Et le sport ? Existe-t-il encore un seul sport pratiqué pour lui-même et non pour de l’argent ? Au moment où, paraît-il, on découvre la vénalité du Comité International Olympique, revenons plutôt au drame du dopage des sportifs :

À peine les lampions de la Coupe du Monde de football étaient-ils éteints que la chasse au dopage secouait le peloton des coureurs du Tour de France.

Au-delà de la stupeur et de la consternation des acteurs et des observateurs de ce Tour, pourtant conscients qu’une épée de Damoclès devait un jour ou l’autre leur tomber sur la tête, les différentes phases de cette saga aux développements imprévisibles risquent d’apporter des éléments de réponse supplémentaires à la lutte que se livrent, à tous les niveaux de notre société, le politique et le financier.

Il devient de plus en plus difficile de nier l’intrusion du dopage dans le sport de compétition. Dans une récente interview [1], Jean-Marie Leblanc, directeur du Tour de France, reconnaît implicitement son existence quand il avance : « Je pense qu’on peut gagner le Tour sans dopage » et il ajoute aussitôt : « c’est peut-être une vue de l’esprit ». Réalité que confirme de façon péremptoire un membre du comité national de lutte contre le dopage : « Soit vous avez recours au dopage, soit vous quittez ce sport ! [2] ». Tous deux savent que le dopage est vieux comme la compétition et que, même au stade du cyclisme amateur, un coureur se voit vite proposer de “petites substances” qui améliorent ses résultats et le propulsent dans une spirale dont il se tire difficilement [3].

Si, dans l’affaire qui nous occupe, les médias ont abondamment tourné les projecteurs de l’actualité sur les coureurs et leurs managers, de leur côté, les organisateurs, les responsables de l’UCI (Union Cycliste Internationale), voire du CIO (Comité International Olympique) et du Ministère de la Jeunesse et des Sports, ont par contre été relativement discrets sur les réactions des publicitaires et des sponsors, c’est à dire de ceux qui détiennent le pouvoir financier.

Quand on sait les sommes folles qui circulent dans certaines sphères sportives - football, tennis, courses automobiles... - on devine que “le plus grand événement sportif mondial annuel” a pu se laisser gangrener, lui aussi, par l’argent, sous forme de retombées financières de tous ordres. La puissante société du Tour de France -qui gère également quelques grandes courses internationales - affiche un chiffre d’affaires de 240 millions de francs pour l’année 1998 et avoue réaliser des bénéfices : 64% des recettes proviennent de la publicité et 24% de la perception des droits de télévision. En retour de cette manne accordée à la Société du Tour, nos deux chaînes publiques attendent un “retour d’image” qui profite également à la presse écrite spécialisée. Quant aux publicitaires et sponsors - ces derniers surtout - ils ne peuvent que porter une attention soutenue aux développements de cette affaire de dopage. Si les publicitaires s’engagent financièrement de façon relativement modeste et, pour une durée limitée, soit avec la Société du Tour, soit avec tel ou tel coureur à la notoriété affirmée, les sponsors investissent des sommes importantes sur plusieurs années.

Prenons le cas du sponsor Festina qui a misé l’essentiel de sa stratégie commerciale sur le Tour de France et a constitué au fil des ans une équipe capable de remporter la victoire individuellement (maillot jaune) et collectivement (classement par équipes). Ce sponsor vient de frôler à deux reprises la catastrophe : une première fois en 1997, où en dépit de l’échec de Richard Virenque, il estime avoir “gagné” le Tour en raison des résultats spectaculaires obtenus par son équipe ; puis en 1998, où en dépit de l’exclusion de son leader et de son équipe, il estime que l’attitude positive du public à l’encontre de ce coureur et de ses coéquipiers conserve à son image tout son éclat ; mais pour combien de temps encore ? Nul ne le sait, pas même les responsables de la firme Festina, l’année 1999 pouvant s’avérer décisive, dans un sens ou dans l’autre. Ce qu’on sait, à ce jour, c’est que la bataille engagée entre les “politiques” - UCI, CIO, Ministère de la Jeunesse et des Sports - et les “financiers” - publicitaires et surtout sponsors - n’en est qu’à ses débuts, les “politiques” se trouvant singulièrement affaiblis par l’absence de position commune des scientifiques, des États et des fédérations internationales [4].

Une chose est certaine : le manque d’imagination, d’entente et de volonté des “politiques” a laissé, pendant plusieurs années, les portes ouvertes à l’invasion des “financiers” qui se trouvent désormais en position de force. Rien n’interdit à ceux-ci d’ordonner à leurs équipes respectives de boycotter les épreuves françaises [5] ou, in fine, de retirer purement et simplement leurs investissements financiers, ce qui porterait un coup mortel au sport cycliste de haute compétition.

Mais nous n’en sommes pas là. Dans une société basée sur le culte du profit, le profit devient éthique. Aussi gageons nous que “l’intérêt bien compris” des uns et des autres ne fera pas disparaître le Tour de France, “notre soleil en été”, selon l’expression de Louis Nucera, et que “le dopage bien compris” a encore de beaux jours devant lui [6].


[1La bicyclette, Les cahiers de Médiologie n° 5, Gallimard.

[2Émission télévisée “Capital” du 23-7-1998

[3La Voix du Nord, 17-7-1998.

[4Pour ajouter à la confusion, le docteur Bruno de Lignières, du service d’endocrinologie et de médecine de la reproduction de l’hôpital Necker, affirme que « les traitements dopants tels qu’ils sont aujourd’hui mis en œuvre améliorent la santé des sportifs au lieu de lui nuire », Le Monde, 22-8-1998.

[5En septembre dernier, les équipes italiennes et néerlandaises ont rejoint le départ du Tour d’Espagne à Cordoue par bateau, sans passer par la France afin d’éviter les opérations antidopage de la justice française. Quant aux organisateurs des Tours d’Espagne et d’Italie, ravis de l’ombre qui s’installe sur leur frère aîné, le Tour de France, ils savourent avec délices la loi antidopage qui frappe le sport cycliste sur le territoire français.

[6NDLR : Ajoutons une information récente sur le sport en général : Le Monde du 7/12/98 titrait “Pour faire moderne, de nombreux sports changent de règles du jeu” et précisait qu’en fait, les sports en question (volley-ball, patinage artistique et tennis) « veulent ainsi devenir plus “lisibles” et offrir davantage de spectacle pour mieux coller aux exigences télévisuelles » car c’est surtout la télé et la pub associée aux reportages qui paient...


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