Haro sur le progrès

EN RELISANT J. DUBOIN
Publication : octobre 1977
Mise en ligne : 21 mars 2008

Haro sur le progrès ! Ce n’est pas d’hier qu’on accuse le progrès d’être la source de nos maux. Les lignes suivantes ont été écrites par J. Duboin dans « La Grande Relève » du 16 mai 1959. A leur lecture, on constate qu’en vingt ans les mentalités n’ont guère changé et que la peur du progrès est toujours autant exploitée. N’est-ce pas parce que seul le progrès est révolutionnaire ?

ON se plaint avec raison des difficultés que nous rencontrons à faire admettre le principe de l’Abondance, celle-ci bouleversant notre économie actuelle construite sur la rareté. Nous nous heurtons à l’incompréhension et surtout à l’indifférence du public que toute nouveauté désoblige. Chacun éprouve une répugnance en effet à abandonner les idées acquises et les habitudes prises. Qu’on se souvienne que le Parlement et l’Université de Paris voulaient poursuivre comme sorciers les premiers imprimeurs qui vinrent d’Allemagne s’installer à Paris !
C’est bien loin, penserez-vous peut-être. Mais, au siècle dernier, les chemins de fer ont soulevé l’indignation générale  ! A leur sujet, un aimable lecteur m’adresse une documentation dont voici quelques extraits :

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Les caricaturistes s’en donnèrent à coeur joie. Ils montraient l’effet de ventilation produit par le passage d’un train : Tous les bestiaux dans les champs seraient renversés. Et comment le mécanicien pourrait-il rester sur sa locomotive si elle filait à 35 kilomètres à l’heure ? Quant aux voyageurs, ne seraient- ils pas complètement gelés en hiver ? Enfin, dans le moment où la locomotive démarrera, est-ce que tous les voyageurs assis en arrière ne seront pas jetés sur leurs vis-à-vis ?
Ces observations judicieuses étaient présentées au nom du plus élémentaire « bon sens ».

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Il s’agit là du grand public, mais les élites  ? Interrogeons-les
Voici Michelet, historien illustre, professeur au Collège de France : il soutient que le passage trop rapide d’un climat à un autre produirait un effet mortel sur les voies respiratoires.
Voici Arago, un des plus grands savants du XIXe siècle ; polytechnicien, membre de l’Académie des Sciences, directeur de l’Observatoire, membre du gouvernement provisoire de 1848. En 1838, chargé du rapport à la Chambre sur une proposition de loi tendant à la construction d’un réseau, il déclare « Non, vous ne devez pas vous abandonner aux illusions, même en matière de locomotive à vapeur ; n’allez surtout pas croire que deux tringles de fer donneront une face nouvelle aux Landes et à la Gascogne ». (Rires et applaudissements.)
Et, en sa qualité d’homme d’Etat, il démontrait. chiffres en mains, que les chemins de fer ruineraient la Nation. « Que deviendront les rouliers, les commissionnaires, les aubergistes, les charrons, les marchands de chevaux ? »
Il met aussi en garde les voyageurs contre les maladies nerveuses provoquées par les trépidations, contre les inflammations de la rétine que déterminerait la rapide succession des images, et contre la pleurésie au passage des tunnels, et les catastrophes dues à l’explosion des locomotives...
Voici maintenant un grand économiste, Victor. Considérant, le philosophe qui prit la suite de Fourier. Il a calculé soigneusement que le travail des locomotives sera inférieur au travail humain pour construire les lignes. Il est évident (sic) qu’elles ne pourront jamais grimper les côtes, ni mettre en communication des lieux qui sont à des altitudes différentes. Il pose enfin une question judicieuse : Créer un long ruban horizontal et niveler le sol, n’est-ce pas estropier la planète ?

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En Angleterre, opinion unanime : construire des chemins de fer, c’est détruire les oiseaux, affoler les bestiaux, tarir le lait des vaches, provoquer des incendies. Quand on ouvre les premiers chantiers, il faut les faire protéger par la troupe.
Cette tentative décide Thiers, le grand Thiers, le futur Président de la République, à faire lui-même une enquête outre-Manche, car on le sollicite d’autoriser ces mêmes travaux en France. A son retour, il monte à la tribune de la Chambre et déclare : « Non, la locomotive trop chargée tournerait sur place : les chemins de fer ne sont qu’un instrument scientifique pour les enfants, ils sont sans utilité ! C’est à peine si l’on construirait 20 kilomètres par an ». Et il termine par ces mots : « Si jamais je vous demandais de concéder une voie ferrée, vous me jetteriez à bas de la tribune  ! ».. (Les députés se lèvent pour lui faire une longue ovation.)

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Vous souriez ? Mais lorsque les premières autos s’aventurèrent sur les routes, les paysans leur jetèrent des pierres. Aujourd’hui, ils sont assis dedans et trouvent qu’elles ne vont jamais assez vite.
Quand, il y a une quarantaine d’années, les rues de Paris n’étaient encore sillonnées que de voitures à chevaux et de quelques rares automobiles. qui eût cru qu’un jour viendrait où il faudrait réglementer la circulation, installer des signaux lumineux, discipliner les chauffeurs, les contraindre à respecter une certaine allure, à stopper tous ensemble, etc... Jamais les Français n’accepteront cette odieuse dictature, aurait-on répondu ils sont trop indépendants : les Français sont des hommes libres !
Comme on répète aujourd’hui que jamais ils n’accepteront de planifier leur production, puis de la distribuer...

*

Maintenant qu’on « assainit » les marchés sous prétexte qu’ils sont « engorgés » de produits, que les cultivateurs barrent les routes pour se plaindre de récoltes « excédentaires », M. Jean Fourastié enseigne imperturbablement, au Conservatoire des Arts et Métiers, que ce dont nous avons besoin est encore très rare ; et M. Alfred Sauvy, au Collège de France, que les défenseurs de l’Abondance sont des utopistes...
Soyons indulgents, chers utopistes mes frères, car les hommes sont forcés de s’adapter tôt ou tard aux événements. A nous d’éveiller leur intelligence !


P.S. - Envoyez cet article à quelque attardé, ce qui évite de lui écrire !


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