IV. Publicité contre santé : alcool et tabac.


par  C. ECKERT
Publication : novembre 2001
Mise en ligne : 7 septembre 2008

Qu’importe que l’alcool ou le tabac soient dangereux, la publicité est un bon moyen de pousser à leur consommation… et les lobbies sont actifs pour défendre cette liberté-là. Toujours à l’aide de l’étude de Lenglet et Topuz, Caroline Eckert achève ici sa revue des moyens employés dans notre système économique pour faire passer le profit avant tout.

 1. Les méfaits de l’acool

En 1980, « la Cour de justice européenne déclare la réglementation française sur la publicité contraire au traité de Rome car elle favorise les boissons nationales. [Elle] préconise par ailleurs la suppression pure et simple de toute publicité pour l’alcool ». Mais c’est le contraire qui se produit à l’occasion de la création de la cinquième chaîne de télévision, puisque le ministère de la Communication annonce qu’y seront interdites les publicités pour le tabac et les boissons alcoolisées de plus de 9 degrés alors que, jusque là, la publicité était interdite pour toutes les boissons alcoolisées. Quelques mois plus tard, François Léotard autorise TF1, qui vient d’être privatisée, à diffuser des publicités pour la bière. « La pression des marchands de bière et leurs alléchantes mannes publicitaires ont vaincu tous les obstacles [...] Tant pis pour les dizaines de milliers d’adolescents qui mordront à l’hameçon ».

En réaction, Claude Got démissionne du Haut Comité d’étude et d’information sur l’alcoolisme « le jour même de sa nomination, avec la ferme intention de dénoncer le décret [car, pour lui,] ceux qui présentent la bière comme une boisson peu alcoolisée et dépourvue de danger ne sont jamais montés dans un train de permissionnaires le dimanche soir et ont oublié ce qui s’est passé au stade du Heysel ». Une lettre condamnant le décret est signée par de nombreuses personnalités du monde médical et envoyée aux ministres les plus concernés. Les publicitaires, craignant le retour des interdictions, contre-attaquent. Pour Jacques Séguéla, « toucher à la pub, c’est toucher à la liberté de communiquer. On en arrive au nazisme ». Interrogé lors d’une émission télévisée sur l’incohérence qu’il y a à punir les automobilistes qui ont trop bu tout en autorisant la publicité pour l’alcool, le Premier ministre Jacques Chirac, se voit contraint de promettre l’ouverture d’un débat au Parlement.

Afin que cette promesse soit tenue, Claude Got et son compère Gérard Dubois tentent de rencontrer les ministres et, à un conseiller de Matignon, ils dévoilent leur plan d’actions : révélation de « la dépendance financière des partis qui se refusent à limiter la publicité pour l’alcool afin de ne pas se priver de leurs bailleurs de fonds » et démission tonitruante de trois autres membres du Comité.

Enfin, ils convainquent le député Jacques Barrot « de déposer une proposition de loi revenant aux interdits antérieurs ». Lors de son examen, tous les partis approuvent le projet mais déposent néanmoins d’innombrables amendements. La publicité pour l’alcool sera finalement interdite à la télévision mais autorisée à la radio, au cinéma et à l’affichage, avec la restriction qu’il sera interdit d’associer aux marques d’alcool une personnalité connue.

Au début des années quatre-vingt-dix, le nouveau ministre de la Santé, Claude Evin, est plus réceptif. Il présente un projet de loi interdisant la publicité directe ou indirecte pour le tabac et l’alcool, même s’il juge que « pour l’alcool, ce sera plus dur, car le lobby alcoolier est bien mieux implanté que celui du tabac ». En effet, leur mobilisation se traduit par un sondage biaisé, la société Ipsos s’étant prêtée à des méthodes « qui n’ont rien à voir avec la démarche rigoureuse qui devrait être celle d’un institut de sondage ». Par ailleurs, « seul l’abus est dangereux » et « il n’existe pas de lien entre publicité et consommation globale d’alcool » sont les thèmes d’une association créée et financée par les fabricants d’alcool, alors que tous les spécialistes assurent le contraire.

L’année du vote de la loi Evin surgit fort à propos la rumeur attribuant aux effets bénéfiques du vin la moindre fréquence des accidents cardiaques chez les Français. Cette information, lancée par une société états-unienne de vente de vin fait rapidement le tour du monde « et la liste des bienfaits imputés à l’alcool s’allonge rapidement, [...] tout le monde semble vouloir oublier que l’alcool est en France l’un des deux premiers facteurs de mortalité et de maladie ». Si certaines études sérieuses montrent effectivement que de faibles doses d’alcool, un verre tous les deux jours, semblent protéger de l’infarctus, les alcooliers se gardent bien de dire qu’une plus grande consommation n’augmente pas cet effet. « En fait, les industriels sont condamnés à affronter une contradiction indépassable : [...] l’hyperconsommation sans excès ! »

Trois ans plus tard, le gouvernement d’Edouard Balladur fait adopter un amendement « autorisant la publicité pour l’alcool sous forme d’affiches et d’enseignes ». Enfin, en 1996, sous prétexte de défendre les clubs sportifs et leurs recettes, est adopté “l’amendement buvette” qui autorise à nouveau la vente d’alcool dans les stades.

Les alcooliers ont toujours utilisé la bière comme « premier mode d’approche de l’alcool par les jeunes ». Afin d’attirer de nouveaux adeptes, ils créent de nouvelles boissons alcoolisées en canettes, les prémix, mélanges de soda sucré et d’alcool fort (rhum, whisky, ...), qui associent « le piège du sucre, le mirage de l’alcool et le look familier de la canette [...]. La question de la loi interdisant aux commerçants de vendre de l’alcool aux mineurs » est évidemment écartée.

 2. Les méfaits du tabac

« En France, 60.000 personnes meurent chaque année pour avoir fumé du tabac [...] Le tabac tue huit fois plus que la route ; l’équivalent de cinq fois la ville de Marne-la-Vallée rasée chaque année ».

La consommation du tabac, rapporté des Amériques par Christophe Colomb, se développe progressivement à partir du XVIème siècle. En 1960 les fumeurs français y consacrent 3,66 milliards de francs, dont 55 % alimentent les caisses de l’État. « Dans le monde, on estime que plus de 60 millions de personnes travaillent dans ce secteur. Rien qu’aux États-Unis, la culture et l’industrie du tabac concernent 3,5 millions de personnes, et plus de 1,35 million vivent de son commerce. Les firmes de tabac forment l’un des groupes économiques les plus puissants de la planète ».

En 1964 paraît « une étude sur la relation du cancer et du tabagisme. C’est le fruit d’un travail colossal débuté en 1951. [...] Ce rapport très argumenté confirme de façon accablante l’effet cancérigène du tabac ». Malgré cela, les marchands continuent de nier l’évidence. Ils tentent de se disculper au travers d’une campagne de publicité affirmant que « un biscuit et un verre de lait peuvent être plus dangereux que la fumée du tabac ». Tout comme les lobbies de l’alcool, ceux du tabac font valoir que les risques sont inhérents à la vie et qu’il appartient au libre-arbitre de chacun de décider lesquels sont importants.

Autre point commun avec les alcooliers, les cigarettiers développent de nouveaux produits censés être moins nocifs et par conséquent rassu-rer les consommateurs potentiels. C’est ainsi qu’apparaissent les cigarettes à bout filtre, puis les cigarettes légères. Selon son PDG, « la SEITA fait des efforts pour lutter contre le cancer puisqu’elle fabrique des cigarettes de plus en plus légères ». Ce qu’il ne dit pas, c’est que les fumeurs en consomment plus. Ce qu’il ne dit pas non plus, c’est qu’en l’absence d’une définition légale des cigarettes légères, une cigarette le devient « à partir du moment où le fabricant décide de la désigner comme telle sur les paquets ».

A partir de 1990 s’engagent aux Etats-Unis des procès contre les cigarettiers. Les particuliers sont déboutés sous prétexte qu’ils étaient libres de ne pas fumer, mais certaines autorités avancent que « les industriels savaient parfaitement que leur produit engendrait une dépendance et en avaient dissimulé les preuves ». Bien que ces derniers démentent, des documents apportent la preuve que, non seulement ils savaient, mais qu’en plus ils sont parvenus « à définir la dose optimale de nicotine permettant d’accrocher le client sans rebuter le consommateur novice ». En outre, ils connaissaient également les dangers du tabagisme passif. La Cour suprême des États-Unis va jusqu’à rendre public ces documents en les diffusant sur un site Internet.

Les marchands n’ont plus qu’à se lancer dans des campagnes publicitaires, associant leurs produits aux activités prisées par la jeunesse, leur offrant des cadeaux (CD, lunettes, tee-shirts, …) et sponsorisant des événements culturels ou sportifs. Comme pour l’alcool dans les stades, un amendement à la loi Evin autorise les retransmissions des courses de Formule 1 parrainées par le tabac. On comprend pourquoi le budget publicitaire augmente en France de 68 % entre 1991 et 1996.

Partout, on retrouve l’incompatibilité entre la protection de la santé et les intérêts des fabricants. Lorsqu’aux Etats-Unis est publié un rapport sur les dangers du tabagisme passif, les industriels répliquent en rétribuant largement pour le discréditer treize scientifiques mondialement connus. Sous prétexte de lutte contre le tabagisme, le prix du tabac double en France entre 1991 et 1996, augmentant d’autant la dépendance de l’État vis-à-vis des taxes qui en résultent : 56 milliards en 1996. Quant à l’Union européenne, elle verse aux producteurs de tabac « d’importantes primes qui n’ont pas pour but de les inciter à des cultures de remplacement […] mais d’encourager leur production », et, sans doute pour faire bonne mesure, le Parlement européen interdit de son côté la publicité pour le tabac par une loi, votée en 1996 mais applicable… en 2006, et qui, selon les cigarettiers, « viole l’esprit du traité de Maastricht ».

« Les firmes ont bien compris qu’il y a une guerre idéologique à mener sur de nombreux fronts pour développer leur marché […] Au plan moral, leur principal argument est la liberté du consommateur ». Plus prosaïquement, en France le PDG de la SEITA « reconnaît publiquement le droit du consommateur à être informé des effets néfastes de l’abus de cigarettes [mais] aucun avertissement ne figure sur les paquets de cigarettes vendus dans plusieurs pays d’Afrique », en fait dès que la réglementation ne l’impose pas.

Et comme les industriels de l’amiante, ceux du tabac se tournent vers des pays plus accueillants.


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