Ils ont peur…


par  G.-H. BRISSÉ
Mise en ligne : 17 novembre 2006

Lorsque j’expose les thèses d’une économie distributive autour de moi, mes interlocuteurs s’affirment fort intéressés : incontestablement, l’économie de casino atteint des limites ; nous nous acheminons à grands pas vers un nouveau krach financier d’ampleur planétaire, sans commune mesure avec ceux qui nous ont affecté depuis une décennie ; les premiers soubresauts dans le secteur de l’immobilier en annoncent les prémices.

 Une économie de plus en plus virtuelle

L’hebdomadaire Marianne du 14 au 20 octobre 2006, sous la plume de Jean François Kahn, dont la lucidité est rarement en défaut, dénonce « le risque d’un séisme boursier majeur », ...à travers la finance qui est « devenue une fin en soi alors qu’elle n’aurait dû cesser d’être un moyen au service l’économie ». Et il poursuit : « Nous sommes sortis du système libéral qui induit qu’entre le capital et le travail la monnaie, le numéraire, soit un simple médiateur. Désormais, l’argent n’est plus le médiateur que de lui-même, expulsant de plus en plus ouvertement le travail du processus économique. Chaque jour, par exemple, les grandes sociétés tombent entre les griffes de fonds d’investissements, qui ne sont que des syndicats de placement anonymes... L’investisseur ne sait même plus dans quoi il a investi et ce que ça fabrique... Mais, sans qu’il puisse le prévoir, n’importe quel méga krach peut un jour provoquer un effet de dominos et ruiner des millions de petits et moyens épargnants déjà sur-endettés et de retraités soudain privés de leurs pensions »...

L’avertissement de 1997 n’a pas suffi. Les “hedge funds” ont succédé à “la nouvelle économie” et à l’essor des “start up”, le plus souvent créatures virtuelles grâce auxquelles on espère engranger de somptueux profits. La masse de ces derniers est estimée à 1.500 milliards de dollars ; les mouvements spéculatifs qu’ils génèrent sont astronomiques : en 2002, selon la même source, ils étaient estimés à 699. 600 milliards de dollars ! À titre de comparaison, les transactions sur les biens et services considérés comme des produits “réels” sont de l’ordre de 32.300 milliards de dollars !

Les deux tiers des “hedge funds” ont leurs sièges aux États-Unis et leurs transactions sont réalisées pour la plupart dans des paradis fiscaux. Ils échappent à tout contrôle et les banques centrales (Banque fédérale américaine ou Banque centrale européenne) avouent leur impuissance à contrôler de tels mouvements de fonds. Il suffirait d’une spéculation hasardeuse pour faire exploser la bulle financière tout entière. À signaler que l’économie illégale et les transactions frauduleuses sont évaluées à l’échelle planétaire, à 1.500 milliards de dollars.

On nous objecte : il est impossible de réitérer la grande dépression des années 30. Voire ! Certes, nous disposons aujourd’hui d’outils informatiques et de diffusion de l’information très sophistiqués qui permettent des échanges à la vitesse de la lumière. Mais les masses de capitaux virtuels sont tellement énormes, leurs flux si différenciés qu’il arrive un moment où ces derniers deviennent erratiques !

L’hebdomadaire Marianne cite plusieurs exemples précis de spéculations hasardeuses qui faillirent mettre en péril le système tout entier ! L’argent attire l’argent, c’est bien connu. Celui qui dispose de fonds importants servant de garantie peut s’endetter pour acquérir des valeurs spéculatives, puis encaisser les intérêts. Ce qui vaut pour des particuliers s’applique a fortiori aux États : le géant américain n’est pas à l’abri, par le biais de sa dette incommensurable à l’égard de pays tiers, en particulier de la Chine, de tels soubresauts majeurs...

 Une clause de sauvegarde

Mettre en circulation une monnaie de consommation embrayant directement sur une économie réelle et exempte de tout mouvement spéculatif constitue donc une clause de sauvegarde. Elle garantit le pouvoir d’achat des citoyens dans la plénitude de leur libre choix de produits ou services de grande consommation dont la disponibilité sur le marché est assurée ; ces produits ou services sont ciblés à l’avance et accessibles dans n’importe quel magasin ou hypermarché par le truchement d’une carte de crédit spécifique. Le revenu social garanti disponible sur un compte au nom de chacun et dont la valeur globale est tributaire des biens ou prestations accessibles doit éviter tout effet de substitution avec les revenus déjà existants - y compris le RMI. On jaugera ultérieurement la nécessité d’englober sous cette appellation d’autres modes opératoires.

En contrepartie, chaque citoyen devra souscrire un contrat qui l’engage personnellement vis-à-vis de lui-même et de la collectivité tout entière, en termes de droits et de devoirs ; il devra justifier d’une activité envers la société. Ce peut être un emploi, mais aussi une formation, etc. S’il souhaite par exemple apprendre le sanscrit, qui pourra s’insurger contre un tel projet ? Ce serait donner là un immense espoir à une jeunesse désœuvrée et en mal de repères, à condition de s’en donner les moyens. La liberté de choisir librement son activité doit être associée aux besoins de la société.

Disons la vérité : si le citoyen de ce pays-ci entrevoit tout le bénéfice, matériel et moral, qu’il peut tirer de cette orientation clairement énoncée, il a peur de sortir du système actuel de bousculer des groupes de pression extrêmement puissants et influents.

Il faut bien considérer que cette orientation est évolutionnaire, et non “révolutionnaire”. Nous sommes en présence d’évolutions scientifiques et technologiques sans précédent dans l’histoire de l’humanité, nous disposons d’atouts considérables, mais nous ne savons pas les utiliser, ou nous tentons d’en tirer parti d’une manière erronée. Nous sommes en Occident dans une économie d’abondance mais nos règles sont celles d’une économie de pénurie.

Je voudrais citer quelques exemples de bon sens : nous avons l’ambition de partir à la conquête de l’espace cosmique, alors que nous ne parvenons même pas à maîtriser la gestion de cette planète ; nous multiplions les satellites alors que des millions d’objets incontrôlés, du simple boulon au bout de fusée, se baladent dans la stratosphère mettant en péril l’existence même des cosmonautes. Nous propulsons sur les planètes et comètes de notre système solaire des milliers d’engins qui risquent de déposer inconsidérément nos bactéries terrestres là où elles ne devraient pas être, alors que nous recherchons désespérément des traces de développement d’une vie quelconque sur les autres planètes !

L’atmosphère de notre Terre hyper-polluée, regorgeant de déchets déposés par les humains et dont on ne sait que faire, se réchauffe dangereusement, condamnant irrémédiablement à la fonte, donc à la disparition, glaciers et banquises hyper-séculaires ; le gaz carbonique produit en abondance par nos automobiles et surtout nos camions met nos vies en grand danger, et multiplie virus et bactéries que nous ne savons ni ne pouvons maîtriser. Quel gouvernement aura le courage de dire : il faut élaborer d’urgence et mettre en pratique un plan de ferroutage pour transporter nos marchandises et dégager nos routes des poids lourds polluants qui les encombrent ? Il devient nécessaire de décongestionner nos cités, convaincre les citoyens d’utiliser des transports en commun et des véhicules non polluants ! Lorsqu’on entrevoit les difficultés de l’actuel maire de Paris à négocier et mettre en œuvre un plan de circulation cohérent pour la capitale, on mesure la difficulté de rompre avec les habitudes acquises et de préconiser des orientations adaptées à notre temps.

A fortiori lorsque nous évoquons, pour l’immédiat, d’autres modalités de recouvrement du budget de l’État, par le prélèvement automatique, d’une taxe de 0,1 à 1 % sur les transferts de fonds par les établissements financiers. Madame Ségolène Royal a eu le courage de dénoncer la participation des banques à l’appauvrissement et au surendettement des citoyens les plus modestes. Ce n’est un secret pour personne que les banques participent allègrement au mouvement de spéculation financière transnational et qu’elles en tirent des profits colossaux. Leur abondement public au budget national et sous une forme et une proportion à déterminer, apparaît comme une mesure de salubrité publique. Dans le même temps, pour autant que l’on réduise jusqu’à consomption sur trois ans, l’impôt sur le revenu, que l’on supprime les charges sociales qui pèsent sur les petites et moyennes entreprises et a fortiori les particuliers qui font vivre un ou plusieurs salariés, on augmente progressivement le pouvoir d’achat des citoyens, on dépénalise l’emploi, on rend beaucoup moins attractifs les décentralisations et le travail clandestin. Le système actuel des charges sociales pesant sur les activités salariales et entrepreneuriales, les modalités de financement de la sécurité sociale et du chômage, relèvent plus de l’assistanat que de la prise en charge des dépenses de santé ou de l’insertion sociale.

 Améliorer le pouvoir d’achat, en quantité mais aussi en qualité.

Il ne suffit pas, pour un candidat à la magistrature suprême, de proclamer que s’il est élu, il augmentera le SMIC. C’est un refrain bien connu qui révèle trop d’élans électoralistes : la proposition est a priori généreuse et séduisante, mais qui est prêt à en assumer toutes les conséquences ? Je préfère le discours de la candidate qui proclame en substance : « Nous allons étendre la réduction du travail à 35 heures à tous dans un esprit de justice et d’égalité sociale mais nous devons aussi en étudier préalablement toutes les conséquences dans certains secteurs d’activités : petites et moyennes entreprises, secteur hospitalier, hôtellerie restauration, par exemple ». C’est un discours beaucoup plus responsable.

Le même état d’esprit doit présider à l’amélioration du niveau de vie des retraités, qui ont affiché leur profond malaise en manifestant le 19 octobre dernier. Le pouvoir en place a annoncé, pour des raisons électoralistes, des mesures en direction de certaines catégories de combattants d’outre-mer, d’agriculteurs, etc. Mais il est désespérément demeuré muet sur l’amélioration du sort de l’ensemble des retraités, du moins ceux qui ne sont pas soumis à l’ISF.

À lire ce qui précède, on ne nous fera pas croire qu’il n’y aura pas d’argent pour alimenter les caisses de retraites.

L’actuel gouvernement laisse toujours comme un puits sans fonds le fonds de réserve des retraites institué par le gouvernement (de gauche) précédent.

Certes, le vieillissement actuel et à venir d’une part de plus en plus importante de la population est un fait. Ce n’est pas une raison pour affirmer à qui veut bien l’entendre que l’on ne pourra pas rémunérer à leur juste part les retraites et pensions de demain. Peut-être y a-t-il d’autres solutions que de rémunérer les retraites par prélèvement sur les salaires ? Ne peut-on imaginer un abondement élargi, du reste plus équitable, tout en respectant l’esprit et la lettre du système par répartition ? Il existe des propositions, hors des sentiers battus, auxquelles les organisations syndicales, familiales et de consommateurs devraient réfléchir. Il serait temps de les examiner sérieusement, plutôt que de rabâcher comme des mécaniques des recettes qui ont fait leur temps !

Mais il ne suffit pas de critiquer. Il faut oser innover, proposer, édifier. À titre d’exemple, et il n’est pas le seul, le mouvement Attac, fertile en analyses pointues sur la crise de l’ultra-libéralisme, n’a toujours pas donné un contenu constructif à ses cogitations sur l’alter-mondialisme. Il sort fort divisé de cette période d’élaboration, sans que l’on sache exactement sur quel type de société débouchent ses multiples et savantes réflexions.

Peut-être la solution réside-t-elle dans cette Grande Relève qui avance pour le moins un contenu précis...


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