L’abondance devant le buffet

Soit dit en passant
par  G. LAFONT
Publication : mars 1980
Mise en ligne : 22 septembre 2008

C’est, du moins je le présume, après la traditionnelle cérémonie des adieux venant mettre fin à une brillante carrière dans l’Administration, cérémonie suivie, comme il se doit, des discours et libations qui accompagnent d’ordinaire ce genre d’événement, que notre camarade Hilarius, nouveau retraité et tout fier de l’être, sourire en coin et médaille du Travail en sautoir, muni en outre de sa carte de Retraité enfin récupérée avec toutes ses estampilles au fond d’un tiroir - ouf ! -, que notre camarade Hilarius, dis-je, se permettait de rigoler, et nous avec lui, dans le numéro de janvier de la Grande Relève en brocardant l’Administration et ses méthodes courtelinesques.

Peut-être, ce qui n’est pas une excuse, avait-il un peu forcé sur le Beaujolais nouveau durant la cérémonie. Mais je crains fort que l’hilarité d’Hilarius ne soit de courte durée.

Maintenant que la fête est finie et que les vapeurs du Beaujolais sont dissipées, du moins j’ose l’espérer, je serais curieux de voir la tête de notre camarade à la pensée du sort qui va être le sien ainsi que celui de tous les autres retraités de la Société Libérale Avancée en route pour l’an 2 000. Au cas où il lui serait resté quelques illusions, vrais ça m’étonnerait, une lecture attentive de la Grande Relève, qu’il illustre si bien de sa plume, le ramènerait bien vite aux réalités. Et tout par. ticulièrement, dans le numéro en question, ce renvoi en bas de page, de l’intéressant article de Félix Lévy .

« Simon Nora l’a démontré dans son rapport sur l’informatique aux Etats-Unis, Richard Bellmann, de l’Université de Californie, précise que 2% de la population suffiraient à produire tout ce qu’elle consomme aujourd’hui. »

C’est de l’Amérique qu’il s’agit, mais cela nous pend au nez à nous autres aussi, Hexagonaux. comme à tous les pays modernement équipés, déjà encombrés de retraités et de chômeurs, lorsque toutes les ressources de la science et des techniques nouvelles, avec l’entrée en force de la télématique, seront mises en oeuvre et jetées dans la grande bataille économique de cette fin de siècle.

Alors, quand il ne restera plus que 2 % de la population pour faire le boulot, je vous le demande, qui c’est qui va payer les 98% qui restent à rien foutre ? ça va pas faire bezef la pension de retraite. Finies les cérémonies d’adieux arrosées au Beaujolais. Et le trou de la Sécu ne sera plus un trou mais un cratère. Un cratère dans lequel notre Joffre de l’Economie risque de sombrer avec son plan de redressement, avant de sombrer lui-même dans le ridicule.

On va dire que le professeur Barre ne se laisse pas impressionner pour si peu. Et qu’il ne se dégonfle pas. Sa dernière trouvaille, du reste, une idée géniale, comme l’on sait, qui revient en somme à faire payer par les vieux le déficit des caisses de retraites, même si elle n’a pas encore fait ses preuves - faut le temps - peut encore servir. Et pour le cas où cette mesure se révèlerait insuffisante, l’imagination des princes qui nous gouvernent n’étant jarnais prise en défaut, on peut envisager d’autres moyens tout aussi géniaux pour faire cracher au bassinet les contribuables rétifs. Pourquoi, par exemple, les seuls automobilistes seraient-ils invités à payer la vignette ? Et pas les vieux qui en sont les bénéficiaires  ? C’est pas juste.

Ce n’est qu’une simple suggestion, mais tous les espoirs sont autorisés dans ce monde à l’envers. Verrons-nous un jour prochain des vieux retraités verbalisés sur le trottoir pour n’avoir pas leur vignette ? Mais où pourraient-ils bien se la mettre pour qu’elle soit visible ?

Si cette solution était adoptée, c’est du coup que la carte de retraité comme celle qu’Hilarius a eu tant de mal à récupérer après une randonnée de 25 kilomètres à travers les services de son administration, à la vitesse de 20 m 78 à l’heure (record homologué), sortirait comme par enchantement de son tiroir.

Cette idée, dont je me refuse, par pure modestie, à assumer la paternité - je la laisse à feu Paul Ramadier - vaut ce qu’elle vaut. c’est-à-dire pas cher, mais si vous en connaissez une meilleure adressez-vous à Matignon. On est preneurs en ce moment.

En attendant le Revenu Social qui, seul, dans notre monde moderne, de plus en plus déboussolé, est capable de réaliser l’égalité économique et d’assurer à tous une existence décente, nos vieux - ils sont 2 300 000 qui subsistent grâce à l’aumône du Fonds National de Solidarité - s’efforcent de survivre au milieu de l’abondance, assistant au spectacle effarant de la destruction des richesses que l’homme du XXe siècle peut si bien produire mais qu’il ne réussit plus à vendre.

Ils sont fin prêts pour accueillir dans leurs rangs les 98 % de veinards qui vont venir peut-être un jour grossir leurs rangs et réduire leurs rations de rutabagas. Un buffet campagnard est prévu à cette occasion. On pourra danser.


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