L’irrationalité dominante

Toujours la censure
par  É. LALLEMAND
Publication : juin 1985
Mise en ligne : 11 mars 2009

L’article suivant a été proposé aux journaux « Le Monde », « Libération », « Le matin » et « l’Humanité »... sans succès. Les rédacteurs en chef de ces journaux ont-ils eu peur de troubler le ron-ron de leurs lecteurs ? Cet article, par contre, n’étonnera pas ceux de la Grande Relève :

Toute réalisation technique est née d’une utopie. De même, tout progrès social est né d’une utopie. La bombe atomique et le congés payés sont nés de la même utopie, qui est de croire que tout est possible, tout peut se réaliser. Croire que le progrès social est plus utopique que le progrès technique prouve que la civilisation technicienne sécrète un mode de pensée qui rejette les idées et les aspirations non conformes à la rationalité dominante ou plutôt l’irrationalité dominante. C’est cette irrationalité dominante qu’incarne le gouvernement lorsqu’il parle de « modernisation industrielle ». En effet, en quoi la réduction du temps de travail est-elle plus utopique que l’automatisation  : pierre angulaire de cette modernisation industrielle ?

Dans une société industrielle rationnelle, l’automatisation libère peu à peu l’homme de son assujettissement au travail grâce à une réduction progressive du temps de travail. De plus, le rapport homme-machine s’améliore du fait que l’accroissement de la productivité n’est plus lié à l’intensification du travail humain. L’automatisation est donc synonyme de progrès social puisqu’elle permet un mieux-être. Or à l’âge de la modernisation industrielle, nous constatons qu’au contraire, l’automatisation est synonyme de misère, donc symbole de régression sociale puisqu’elle retire à l’homme le moyen de subsister en l’excluant totalement de la production. Ce qui constitue un saut qualitatif dans les moyens de production n’entraîne pas un saut qualitatif dans les rapports de production.
C’est un fait aujourd’hui que cette modernisation industrielle supprime plus d’emplois qu’elle n’en crée. Dire que le potentiel humain nécessaire à la fabrication de robots et d’ordinateurs permettra une résorption plus ou moins grande du chômage est une mystification relevant du technocratisme qui caractérise la politique de l’élite au pouvoir. A la limite l’industrie du robot et de l’ordinateur fera elle- même appel à l’automatisation comme d’ailleurs les autres industries du futur. Il est bon de rappeler que les revendications salariales rendent l’automatisation toujours plus attrayante pour le chef d’entreprise et l’état-employeur. L’automatisation permet une accumulation du capital enfin libérée des conflits sociaux entre salariés et employeurs. D’autre part accumulation du capital ne veut pas forcément dire investissements productifs générateurs d’emplois. Préférer le mot « investissement » à l’expression «  accumulation du capital », C’est faire passer les chefs d’entreprises et l’état-employeur pour des philanthropes (n’est-ce pas là l’utopie ou une fourberie).
Nous pouvons dire que l’application technocratique de l’automatisation dans le monde du travail engendre le sous-emploi. Pourtant il serait temps de trouver le juste équilibre entre la nécessité de gagner sa vie et le fait de la perdre en la gagnant, entre le travail qui aliène et le non-travail qui « marginalise ». Cela ne peut se traduire que par un partage du travail entre tous pour que tout le monde puisse travailler mieux et vivre mieux. Le progrès technique devient progrès social si, mettant fin à l’insuffisance des biens et la misère, il permet d’abandonner la lutte pour l’existence au profit du contenu de cette existence. L’irrationalité dominante réside dans le fait qu’à l’heure de la fusée Ariane et de la surproduction généralisée, une fraction grandissante de la société (et du monde) se trouve privée du minimum vital. En réalité, les privations endurées par ces nouveaux pauvres permettent le confort plus ou moins grand des catégories médianes de la société (ceux qui pensent que le chômage, n’arrive qu’aux autres et aux fainéants) ainsi que le luxe d’une minorité privilégiée (les détenteurs des grandes fortunes). Un projet de société fondé sur le partage du travail est une utopie pour les consciences obnubilées par la sempiternelle dichotomie manichéenne gauche-droite qui occulte la vraie question - la question de la cause finale du développement technologique. Dans la société technicienne cette question ne se pose plus puisque la vérité ne se rapporte qu’à ce qui peut être mesuré et calculé. Productivité, investissement, croissance sont les dogmes économiques qui font que le progrès technique reste le progrès d’un travail aliéné et aliénant où l’homme n’est que l’instrument d’une productivité répressive qui continue à faire de sa vie un moyen de vivre.


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