La division internationale du travail, un fléau pour les peuples


Mise en ligne : 30 mai 2009

Pour le capitalisme, le profit est la valeur suprême. Rien n’a plus d’importance aux yeux de ses propagandistes et il convient d’y assujettir au mieux les sociétés humaines afin que la maîtrise du système économique par le marché soit assurée à son optimum. Cette logique doit donc s’imposer comme seul mode de relations sociales et c’est sans l’ombre d’un scrupule que depuis les années 1980, Reagan et les dirigeants des principaux pays industriels se sont employés, suivant les préceptes de l’école de Chicago, à “déconstruire” ce qui n’a pas lieu d’être car, comme disait Margaret Thatcher : « la société, ça n’existe pas, il n’y a que le marché ».

La France n’est pas en reste. Les principales actions du gouvernement s’inscrivent précisément dans cette stratégie, où le leitmotiv de la “réforme” désigne scandaleusement la destruction des services publics et des acquis sociaux, richesses pourtant tenues pour essentielles par une écrasante majorité d’entre nous.

La nocivité sociale de cette politique est si grave que les prétextes de modernisation mis en avant pour la justifier deviennent impuissants à la faire accepter, y compris dans les rangs de ceux qui y sont acquis de longue date. D’autant que la crédibilité du système capitaliste pour gérer l’avenir de l’humanité est fortement plombée par l’ampleur d’une crise qui, en quelques mois, a détruit plus du quart des richesses monétaires du monde. Et les tenants de ce système le confirment dans leur fuite en avant au G20 de Londres en décidant d’engloutir encore des milliers de milliards de dollars de fonds publics dans un système bancaire privé qui fait eau de toute part. Ce radeau de la méduse ressemble de plus en plus à un naufrage de fin de règne.

 Utopie d’une exploitation sans limite

Il faut donc imaginer, pour comprendre l’obstination des politiciens au pouvoir à poursuivre cette politique désastreuse et dévastatrice, que l’utopie de l’exploitation sans limites du travail des êtres humains reste à leurs yeux le dogme indépassable “tombé du ciel” que rien ne saurait contredire.

L’oligarchie régnant sur le capitalisme mondial a ainsi réussi à faire en sorte qu’une part croissante des richesses que nous produisons soit affectée au perfectionnement de son système, en particulier pour développer sans cesse la “division internationale du travail (DIT)” qui est devenue sa pièce maîtresse.

Mise en place à la fin des trente glorieuses, la DIT reposait sur une spécialisation néo-coloniale des échanges commerciaux : aux pays pauvres les matières premières ou agricoles, aux riches la production industrielle (là où les gains de productivité liés au progrès technique stimulaient l’élévation du niveau de vie). Les activités jugées les moins efficaces économiquement face aux importations concurrentes (selon les critères du profit capitaliste) furent ensuite abandonnées pour affecter les ressources ainsi libérées (hommes, capitaux, matières premières…) aux activités “les plus efficaces” sur les marchés d’exportation.

La recherche d’une rentabilité accrue des investissements a ainsi conduit progressivement au développement d’unités de production de grande échelle pour réduire les coûts, ce qui fut imposé aux pays dits “en développement” par les injonctions des plans d’ajustement structurel du FMI, par la libéralisation des échanges au sein de l’OMC et par les investissements des firmes étrangères à la recherche de nouveaux marchés ou de sites de production au coût attractif.

Le développement rapide de cette stratégie après le premier choc pétrolier a profondément modifié le paysage de l’industrie mondiale. Les pays en développement se sont spécialisés dans les activités à fort taux de main d’œuvre, exportant des produits à bas prix sur les marchés des pays riches, tandis que l’Europe et les États-Unis déversaient sur les marchés mondiaux des surplus agricoles fortement subventionnés, contraignant ainsi les pays du sud à réorienter leur économie selon les plans d’une DIT dévolue aux multinationales des pays industrialisés (abandon des cultures vivrières traditionnelles devenues non compétitives, réduction drastique des dépenses publiques de transport, santé, éducation…). Celles-ci ont d’ailleurs très vite développé des échanges croisés au sein des industries, en contradiction avec le principe de spécialisation des pays. Plutôt que de dupliquer leurs unités de production dans leurs différentes implantations, elles se sont réorganisées sur une base globale, fractionnant la chaîne de valeur ajoutée entre leurs différentes filiales, et délocalisant ou sous-traitant une partie de leurs productions.

 Un effet d’amplification

Sans pouvoir donner ici une analyse technique plus approfondie des conséquences de la DIT généralisée, nous pouvons cependant insister sur l’effet d’amplification qu’elle joue dans le développement de la crise majeure actuelle du système.

Elle y contribue fortement en soumettant aux marchés spéculatifs l’appropriation privée et l’adaptation accélérée de l’ensemble des structures d’échange et de production de la quasi-totalité des pays du globe.

Avec en complément l’explosion des marchés bancaires de produits dérivés “pourris” en pleine crise, c’est ainsi que le système apporte sa réponse aux exigences de profits faramineux à court terme d’un système liant banques et actionnaires dans une totale irresponsabilité, démontrée par des affaires innombrables de fraudes, faillites, détournements massifs et délits d’initiés dans les plus grands établissements et entreprises de la planète (banques, compagnies d’assurances, agences de cotation, énergie, transport, armement...).

Les contradictions entre cette politique globale et l’intérêt des populations locales sont tenues pour négligeables, malgré l’explosion du chômage qui en résulte et les contraintes économiques très lourdes qu’elles imposent.

 Le résultat

Il faut malheureusement bien admettre qu’en ravageant les liens sociaux et les cultures, par delà les continents, en maintenant dans un état de misère extrême des centaines de millions de nos semblables, en détruisant à grande échelle les équilibres naturels et la biodiversité, en poussant à la privatisation de toutes les richesses collectives, y compris par des brevets sur le vivant, l’utopie totalitaire d’un capitalisme régissant le monde sans partage, est en passe d’être réalisée.

Le rôle joué par la division internationale du travail, dans la domination des peuples est généralement passé sous silence, ou évoqué d’une façon très vague. Sans doute est-ce le résultat des mesures draconiennes prises pour tenir les populations dans l’ignorance de projets dont elles ne connaissent, après coup, que les conséquences locales lorsque leurs emplois sont en jeu. Les secrets sont bien gardés, et depuis fort longtemps, comme des témoignages directs recueillis lors des premières grandes délocalisations des usines de construction automobiles françaises nous le montraient déjà. Pour que rien ne filtre des projets en cours, les responsables des sociétés d’équipements fournissant des pièces ou des sous-ensembles aux chaînes d’assemblages des véhicules étaient convoqués dans les bureaux du constructeur automobile pour des réunions “informelles”, durant lesquelles il leur était interdit de prendre des notes, la teneur des échanges devant rester strictement confidentielle. Lors de ces réunions, les équipementiers étaient tenus de préciser les mesures qu’ils s’engageaient à prendre pour “accompagner” les délocalisations du constructeur, c’est à dire quelle part de l’activité de leur propre société serait également délocalisée. Il va de soi qu’aucune réserve sur ces délocalisations n’était concevable : elle aurait conduit à l’élimination pure et simple de l’équipementier du panel des fournisseurs du constructeur.

On constate aujourd’hui que ces pratiques sont non seulement toujours en vigueur, mais se sont multipliées et généralisées. Par exemple, ces derniers jours, l’interception d’accords écrits entre le constructeur français PSA et l’équipementier américain Molex ont révélé aux salariés de l’usine de fabrication de connecteurs électriques de Villemur-sur-Tarn que la fermeture de leur usine et le transfert à l’étranger de ses fabrications n’avaient rien à voir avec la crise actuelle, comme on tentait de leur faire croire. Elle avait été préparée de longue date, dans le cadre des restructurations industrielles programmées (pour accroître les profits des actionnaires des groupes en question au détriment des salariés, cela va sans dire).

Les grandes manœuvres industrielles et commerciales de ce type, qui modifient sans cesse les structures de production, donc la nature et la localisation des emplois, sont totalement déconnectées de processus décisionnels publics et démocratiques, interdisant ainsi aux peuples d’intervenir dans ce domaine économique majeur qui conditionne largement leur avenir et celui des générations futures. Le système politique s’est progressivement dessaisi de tout pouvoir en la matière au point d’avoir supprimé, en France, son Ministère de l’Industrie. Laissant le champ libre à la cupidité des “investisseurs”, le pouvoir ne conserve en réalité comme prérogatives que les replâtrages censés remédier aux conséquences sociales et environnementales de la DIT. Comme le déclare en substance, avec suffisance et mépris, l’un des acteurs de ces ravages dans le remarquable film documentaire Let’s make money d’Erwin Wagenhofer : « Je ne pense pas que l’investisseur doive être responsable de l’éthique, de la pollution ou de quoi que ce soit que produise la société dans laquelle il investit. Ce n’est pas son boulot. Son boulot est d’investir et de gagner de l’argent pour ses clients ».


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