La leçon de l’Anschluss
par
Publication : août 1990
Mise en ligne : 14 avril 2008
Les commentateurs de l’actualité tombent d’accord
pour dire que "l’union économique, monétaire et sociale"
de la RFA et de la RDA est un évènement historique sans
précédent, parce que jamais un ac-cord de cette ampleur
n’a été réalisé aussi vite et en temps de
paix.
En fait, c’est à Panschluss" de la RDA par la RFA.qu’on
vient d’assister. Notre ministre de l’Industrie vient de l’apprendre
brutalement. II est allé à Berlin, avec une trentaine
d’industriels français , espérant pouvoir conclure quelques
contrats intéressants. Quelle innocence ! Rien à faire.
Les firmes et les banques allemandes de l’Ouest entendent bien faire
seules mainbasse sur tout ce qui peut s’avérer rentable à
l’Est. Trois grandes compagnies électriques de la RFA ont déjà
acheté en catimini, fin juin, toute la distribution d’électricité.
Le Parlement de la RDA ayant dénoncé l’affaire, on va
maintenant essayer de faire intervenir la CEE sur un autre rachat, tout
aussi rapide et suspect, celui de la distribution du gaz. Mais le seul
assureur d’Allemagne de l’Est a déjà été
racheté par un groupe d’assurances OuestAllemand. Quant aux huit
mille autres"combinats" et entreprises (80% de l’économie
Est-Allemande et quatre millions d’emplois), jusque là "proprités
du peuple", ils ont été confiés à un
"trust" avec pour mission de "réorganiser et privatiser’’
l’ensemble. II est évident que ce ne sera pas au bénéfice
des firmes ouestallemandes de faible importance ni de groupes étrangers,
les observateurs commencent (seulement !) à s’en apercevoir.
Cette main-mise financière de tout un pays par quelques grosses
firmes et les banques qui les soutiennent n’a rien de surprenant. Elle
est dans la logique même du capitalisme, comme elle est l’aboutissement
logique de l’échec des économies qui se disaient communistes
mais prétendaient faire le bonheur des gens sans leur demander
leur avis.
On a amplement décrit l’immense braderie en RDA, le samedi 30
juin, et la fête monstre organisée dans la banlieue de
Berlin pour célébrer la mort du mark-Est, car, explique
le Monde : "L’avènement du deutschmark est avant tout l’accomplissement
d’un vieux rêve, quand on venait lécher les vitrines des
Intershop, pour voir les produits de l’Ouest disponibles seulement contre
les précieuses devises." Henri de Bresson a raison d’attirer
l’attention sur l’arme utilisée par les affairistes de l’Ouest
quand ils préparaient le terrain. Ce rôle central assigné
à la monnaie , "cet équivalent allemand de la force
de frappe française" , selon l’expression du secrétaire
général de l’Elysée est une première leçon
à tirer de cette annexion. "La population de RDA attendait
le Deutschmark comme la manne dans le désert" rapporte un
témoin. Pourtant l’idée d’offrir le Deutschmark aux "frères"
de l’Est comme cadeau d’entrée dans la communauté des
nations libérées de la dictature poststalinienne, ne vient
ni du Chancelier Kohl, ni d’un membre de son gouvernement, mais d’un
député, I.Matthaus-Mayer, qui l’a lancée dans l’hebdomadaire
die Welt ... en janvier dernier !
II est une autre leçon qu’il ne faut pas manquer de noter. C’est
la possibilité pratique, en s’appuyant ainsi sur un changement
de monnaie, de tout changer en seulement quelques mois, pouvu qu’une
volonté forte en ait décidé ainsi. Quelques mois
de préparation, car l’opération s’est faite concrètement
en une semaine.
Tout citoyen de RDA s’étant fait ouvrir un compte en banque,
le 2 juillet, la Bundesbank a transféré 25 milliards de
DM à ses nouvelles antennes de RDA, pour qu’ils soient répartis
vers les banques, les centres de paiement, les municipalités.
II a suffi d’une semaine pour que le changement de monnaie soit opéré
sur tous les comptes des particuliers et sur ceux des entreprises. De
même qu’en une seule semaine, les rues des grandes villes avaient
complètement changé d’aspect. On a vu surgir brusquement,
par camions entiers, des productions de l’Allemagne de l’Ouest qui ont
été déversées sur les rayons des magasins,et
des représentants viennent tenter de placer leurs produits. Bref,
il n’y a aucun problème de production pour faire face à
la demande des nouveaux consommateurs, qu’on avait au préalable
solvabilisés : tous les Allemands de l’Est pouvaient retirer,
à leur banque, dès le 1er juillet, deux mille deutschmarks
en liquide.
Pas de problème non plus pour trouver l’argent afin que les sociétés
puissent verser les premiers salaires dans la nouvelle monnaie. Les
sommes prévues se montent, selon le ministre Est-Allemand des
finances, et pour les trois premiers mois à venir, à un
milliard de DM pour les artisans et petits entrepreneurs et à
dix milliards pour les grandes entreprises. Et la CEE prévoit
qu’elle va consacrer en aide régionale et sociale 7 milliards
de francs par an pendant trois ans pour que la RDA s’adapte à
la règlementation communautaire. Quand il y a la volonté
politique, les moyens de production et les moyens financiers suivent.
Reste aux Allemands de l’ESt à découvrir les autres aspects de leur annexion. Leur ministre des finances a déjà remarqué : "Nous avons acquis notre souveraineté le 9 octobre dernier, nous en redonnons déjà une partie le 1 er juillet"..Aux dernières nouvelles, les agriculteurs ont manifesté leur colère le 10 juillet à Leipzig en menaçant de déverser 10000 tonnes de lait invendues...