La leçon islandaise


par  J.-P. MON
Publication : mai 2012
Mise en ligne : 26 juin 2012

  Un pays jadis prospère

L’Islande est une île de l’Atlantique Nord, située entre le Groenland et l’Ecosse, au Nord Ouest des îles Féroé. Elle se trouve sur la dorsale médio atlantique séparant les plaques tectoniques américaine et eurasienne. D’où le grand nombre de volcans toujours en activité qu’on y compte. Sa superficie est de 103.000 km2 et sa population d’environ 320.000 habitants. Sa capitale, et plus grande ville, est Reykjavik.

Son économie, dans laquelle les services, la finance, la pêche et les industries sont les principaux secteurs, était l’une des plus prospères du monde, avec, en 2006, un revenu par habitant de 42.768 euros, une croissance du produit national brut de 2,6 %, un taux de chômage de 2,9 %, une inflation à 6,7 %, un budget de l’État dégageant des excédents. Sa seule faiblesse était un fort déficit du commerce extérieur. Selon le classement de l’indice de développement humain, l’Islande était en 2007 et 2008 au premier rang des pays les plus développés du monde [1].

Politiquement, l’Islande est une république parlementaire dont l’unique assemblée est l’Althing, qui est le plus ancien parlement d’Europe puisqu’il fut fondé en l’an 930. Ses 63 parlementaires sont élus par les citoyens tous les quatre ans. Le président de la République, également élu pour quatre ans, nomme les ministres et préside leur Conseil. Dans la pratique, il se borne à entériner les choix des nominations faits par les partis politiques majoritaires à l’Althing. Les ministres assument le pouvoir exécutif. Le chef du gouvernement est le premier ministre.

L’Islande est membre de l’ONU, du Conseil de l’Europe, de l’OTAN, de l’Association Européenne de libre échange, de l’Organisation de Coopération et de développement économique et de l’Espace économique européen.

 Octobre 2008 : début du cauchemar

En moins d’un mois après la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, la crise financière frappe l’Islande de plein fouet. C’est la pire crise de son histoire : l’inflation atteint 15 %, sa monnaie (la couronne islandaise) perd en un mois 50 % de sa valeur par rapport au dollar, le PIB par habitant passe de 52.000 dollars à 27.000 dollars.

Le gouvernement du moment (droite libérale) réagit très vite. Il promulgue une loi autorisant la nationalisation des banques, notamment celle de Glitnir, Landsbanki et Kaupthing, dont le total d’endettement atteint 10 fois le PIB national. Il recapitalise les banques en faillite avant de vendre deux d’entre elles à des institutions financières européennes. Pour les remplacer, il crée des banques de dépôts. Dans le même temps, il demande l’aide des pays nordiques… qui ne répondent pas favorablement. Le gouvernement islandais fait alors appel au FMI. Très vite, dès la fin du mois d’octobre 2008, un plan de “sauvetage” de 5 milliards d’euros est élaboré : il comporte une aide directe du FMI (1,54 million d’euros) et des aides des pays scandinaves et de la Pologne.

Mais les malheurs islandais ne s’arrêtent pas là : les dépôts des clients de la banque en ligne Icesave, filiale de Landsbanki qui vient d’être nationalisée, sont gelés. Ce qui touche non seulement ses clients islandais mais surtout les quelque 320.000 clients anglais et néerlandais qu’elle avait réussi à attirer en leur promettant des taux intérêts élevés. Le gouvernement décide aussitôt d’indemniser les déposants islandais… mais pas les étrangers. Vive réaction du Royaume-Uni et des Pays-Bas, qui indemnisent immédiatement leurs citoyens en considérant que les 3,9 milliards d’euros en jeu constituent un prêt à l’Islande. Ils en exigent bien évidemment le remboursement. En novembre 2008, le gouvernement islandais est prêt à accepter cette demande, mais il n’en est pas de même de la population.

 La rue

Pendant que le gouvernement cherche des solutions “raisonnables”, la population s’agite : depuis le début de la crise, elle manifeste tous les week-ends. Dès les premiers rassemblements, les manifestants ont exigé le départ du président de la banque centrale islandaise, David Oddson [2], départ qui est devenu effectif en février 2009. Ils ont ensuite manifesté contre l’ensemble des membres de la coalition gouvernementale (Parti de l’indépendance et sociaux démocrates). La colère populaire est telle que les manifestations deviennent violentes. Celle du mardi 20 janvier 2009 l’est particulièrement : « Dans ce pays très respectueux de l’ordre, de mémoire d’Islandais, on n’a jamais protesté de façon musclée. (Sauf en 1949, lors des discussions sur l’entrée dans l’Otan). Mais mardi, les manifestants s’en sont pris pour la première fois au bâtiment du Parlement. Des gardes du corps ont fait leur apparition. Du jamais vu dans la vie politique islandaise » [3]. « Je me suis toujours considéré comme pacifiste, mais cette fois j’enrage », gronde un manifestant, père de famille et nouveau chômeur ; « on nous fait vivre une humiliation nationale…. Il faut retrouver notre honneur, changer de gouvernement », dit une mère de famille.

Mais, effet de la crise, ou des manifestations de rue, les principaux responsables politiques du pays tombent malades : alors que la ministre des Affaires Étrangères et leader des sociaux-démocrates, Ingibjörg Solrun Gisladottir venait de faire savoir qu’elle était atteinte d’une tumeur au cerveau, le Premier ministre Geir Haarde annonce en janvier 2009 qu’il souffre d’une tumeur à l’œsophage… Il convient que des élections anticipées pourraient être organisées en mai. Les deux formations au pouvoir sont en effet complètement discréditées. On estime que le gouvernement n’est plus soutenu que par 24% des Islandais. « C’est peut-être la fin de la première république d’Islande. Beaucoup appellent à une nouvelle constitution. Les Islandais se sont rarement autant passionnés pour la politique » [4]. En effet : réunions de citoyens, après le travail, se succèdent, création en ligne d’un “gouvernement d’urgence des femmes”, discussions sans fin dans les bains chauds où les Islandais ont l’habitude de se retrouver plusieurs fois par semaine pour se détendre. Dans les cafés, les restaurants, tout le monde parle de la crise… Autre signe des temps : les premiers personnages à avoir totalement disparu de la vie publique sont les banquiers, les stars de la finance, ceux qui ont mené le pays à la faillite. On les appelait les “nouveaux Vikings”. La classe politique au pouvoir les avait toujours laissé faire. « C’est pour cela qu’il faut changer le système », disent les manifestants.

 [5] À la suite de la démission du Premier ministre, un gouvernement intérimaire est formé en février. Il est dirigé par la social-démocrate Mme Jóhanna Sigurdardótti.

Les élections législatives anticipées ont finalement lieu le 26 avril 2009. Comme il fallait s’y attendre, les Islandais ont confirmé leur désir de tourner la page. Le résultat des élections est une véritable gifle pour le conservateur-néo-libéral parti de l’indépendance, jugé responsable de la crise. Ces élections « valident la nouvelle orientation à gauche de l’Islande, portée par l’équipe gouvernementale qui, avec 34 sièges, a obtenu désormais la majorité absolue au Parlement : 20 pour l’Alliance sociale-démocrate de la Premier Ministre sortante Mme Jóhanna Sigurdardóttir, et 14 pour ses partenaires de coalition du Mouvement Gauche-Vert » [6]. Tout en reconnaissant son échec le parti de l’indépendance promet un retour en force dans les prochains mois, avec son refus d’une adhésion de l’Islande à l’Union Européenne. C’est un problème qui divise le pays mais la nouvelle Premier ministre, Mme Sigurdardottir, souhaite demander une adhésion immédiate à l’UE et adopter l’euro dans les quatre ans à venir. (Faut le moral !!!). Quoi qu’il en soit, le 17 juillet 2009, l’Islande a déposé sa candidature à l’entrée dans l’Union Européenne. Mais, après accord des autorités européennes, cette adhésion sera soumise à un référendum dans le pays. (Les Islandais n’ont pas l’air de savoir que le référendum est une incongruité dans l’UE !)

On se rappelle qu’en novembre 2008, le gouvernement islandais avait accepté le principe du remboursement de “l’avance” faite par le Royaume-Uni et les Pays-Bas, moyennant le paiement d’un intérêt de 5,5 %. Mais, sans doute à cause des nombreuses manifestations qui secouaient le pays, l’accord était resté théorique. En juin 2009, le Parlement nouvellement élu le ratifie enfin, mais en lui apportant quelques modifications que les Britanniques et les Néerlandais refusent. Des négociations s’engagent et une nouvelle loi est votée fin 2009. Parallèlement, une pétition appelant le gouvernement à ne pas ratifier l’accord circule dans le pays et recueille plus de 50.000 signatures. Bien que la constitution ne lui confère que des pouvoirs limités, le Président de la République Olafur Ragnar Grimsson, réélu en août 2008 pour un quatrième mandat depuis sa première élection en 1996, fait preuve d’autorité en refusant de promulguer, en janvier 2010, la loi réglant le “litige” Icesave avec le Royaume-Uni et les Pays-Bas. En mars, un référendum est organisé à ce sujet : 60% des électeurs votent et 93% d’entre eux rejettent les modalités de remboursement de “l’avance” Anglo-Néerlandaise. Ils disent clairement [7] :

• nous ne voulons rien payer car il n’appartient pas à l’État, donc au contribuable islandais, de se porter caution sur une dette privée, contractée de surcroît hors du pays auprès d’épargnants qui auraient du être informés des risques qu’ils prenaient et les assumer ;

• nous sommes prêts à honorer les engagements pris en octobre 2008 par le gouvernement de l’époque, mais pas aux conditions prévues dans l’accord, car elles ont pour effet d’entraver notre redressement économique ;

• nous Islandais, « petit » peuple indépendant, refusons de subir la loi des Britannique et des Hollandais.

Le Premier ministre, Mme Sigurdardottir est, on l’a vu, très europhile et souhaite que l’Islande rejoigne l’UE le plus rapidement possible. Elle engage donc de nouvelles discussions avec le Royaume-Uni et les Pays-Bas avec lesquels il ne faut pas se fâcher pour avoir quelques chances d’adhérer à l’UE. Un nouvel arrangement est trouvé avec Londres et Amsterdam : “le prêt” sera remboursé à partir de 2016 avec un taux d’environ 3%. Cet accord doit cependant être avalisé par le Parlement islandais.

Mais le Président de la République refuse une nouvelle fois de ratifier l’accord voté par le Parlement et demande un nouveau référendum, qui a lieu le 9 avril 2011. Au grand dam du gouvernement de centre gauche (qui avait fait campagne pour le oui), des “élites” et des médias, le non l’emporte avec 60% des voix : pas question d’éponger les pertes d’une banque privée avec des fonds publics !

L’Islande attend maintenant le jugement de la Cour de justice de l’Association européenne de libre échange qu’ont saisie les Anglais et les Néerlandais !

Mais, fait nouveau, jamais convoquée depuis sa création en 1905, la Haute Cour de justice islandaise a auditionné l’ancien Premier ministre Geir Haarde pour juger de sa responsabilité dans la crise de 2008 qui a emporté le système financier de son pays [8].

Quoi qu’il en soit, la population d’un tout petit pays aura donné une belle leçon de résistance à la toute-puissance de la finance.


[1Ces informations proviennent de Wikipedia.

[2C’est lui qui, Premier ministre de 1991 à 2004, avait organisé la libéralisation tous azimuts du pays.

[3Marie-Joelle Gros, envoyée spéciale de Libération à Reykjavik, 24/01/2009.

[4Torfi Tulinius, professeur de littérature à l’université de Reykjavik.

[5L’évolution politique

[6France diplomatie, ministère des affaires étrangères et européennes.

[7La Tribune.fr , 07/03/2010.

[8Libération, 05/03/2012.


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