Le coin des téléphiles
par
Publication : septembre 1936
Mise en ligne : 7 mars 2008
Le 2 août, la télévision française
a commencé à diffuser sur « Antenne 2 », à
18 h 15, une émission originale et qui s’annonce très
intéressante, du producteur-réalisateur Armand Panigel,
sur les « Chroniques du temps de l’ombre », véritable
encyclopédie de la Résistance Française de 1940
à 1944, qui comprendra une série de trente films de 26
minutes se suivant quotidiennement, sauf le samedi.
Etant donné que lors des deux premières émissions,
il m’avait été donné de constater deux lacunes
qui me paraissaient regrettables, parce qu’elles concernaient deux faits
historiques non négligeables, j’ai estimé devoir les porter
à la connaissance de M. Armand Panigel.
Et cela, essentiellement, parce que l’un des événements
oubliés m’autorisait à tenter d’obtenir que justice soit
rendue à Jacques Duboin en démontrant que s’il fut un
précurseur aujourd’hui connu dans le domaine de l’économie
pour sa conception originale d’une ECONOMIE DISTRIBUTIVE - dont l’embryon
se développe d’ailleurs sous la forme des allocations et indemnités
diverses - il fut un précurseur indiscutable, mais ignoré
à la fois par les journalistes, les historiens (militaires et
civils) et les responsables politiques, dans le domaine de la défense
nationale, QUATORZE ANS avant le Général de Gaulle.
Je vous donne ci-dessous la copie des lignes essentielles de ma lettre
à M. Armand Panigel :
« Lorsque j’ai entendu, dans vos premières « chroniques
des temps de l’ombre »,
- d’une part, la réflexion de M. Pierre Boutang sur l’impréparation
de l’Armée française qui subit la défaite de Mai
1940 ;
- d’autre part, l’évocation de l’attaque de la flotte française
de Mers-el-Kebir par la flotte anglaise, le 3 Juillet 1940, je me suis
pris à regretter vivement de n’avoir pas porté à
la connaissance de l’historien Henri MICHEL plus tôt que je ne
l’ai fait, les deux témoignages précisés ci-après
dont il aurait pu faire état, ainsi qu’il me l’a écrit.
Bien qu’il n’y ait guère de chance pour que vous soyez en mesure
de les mettre à profit avant la fin de l’émission en cours,
je crois devoir vous faire part des renseignements que j’ai communiqués
à M. Henri MICHEL et de l’appréciation qu’il a portée
sur mes témoignages.
Témoignage sur les responsables de l’impréparation des
armées françaises à la veille de la guerre
de 1939-1940.
C’est le 5 juillet dernier que j’ai écrit ce qui suit à
M. Henri MICHEL :
« Comme j’ignore si vous avez eu connaissance en son temps (1922)
- ou même après lorsque vous avez étudié
les causes qui furent à l’origine de la déroute des armées
françaises en juin 1940 - de la séance de la Chambre des
Députés du 14 mars 1922, je n’hésite pas à
vous faire parvenir la copie du texte du discours nue prononça
le jeune et courageux député de la Haute-Savoie Jacques
DUBOIN lors de la discussion du projet de loi sur l’organisation de
la Défense Nationale déposé par le gouvernement.
Albert SARRAUT étant Président du Conseil et André
MAGINOT ministre de la Guerre. Cette copie est constituée par
les dix papes de l’appendice du livre de J. Duboin « LIBERATION
» (économique) 2e édition, de 1946. Ce texte a été
vérifié par moi sur les pages 784 à 788 du Journal
Officiel n° 30 du 15 mars 1922.
J’ai d’autant moins hésité à m’adresser à
vous que peu de temps après l’émission des « Dossiers
de l’écran » du 3 juin 1970, sur la « Bataille de
France ». à laquelle il avait pris part, le colonel LE
GOYET, alors chef du service historique de l’Armée, a eu avec
moi un entretien au château de Vincennes, au cours duquel il m’avoua
ignorer l’événement que constituait le discours de Jacques
Duboin à la Chambre des Députés le 14 mars 1922.
Or, c’est en général la Chambre des Députés
du FRONT POPULAIRE de 1936 et les gouvernements de l’époque qui
ont été tenus pour responsables de la défaite de
1940. En fait, il apparaît à la lecture des réactions
suscitées par les propositions de modernisation de l’armée
faites par Jacques Duboin et restées sans suite (motorisation
: création d’un corps de chars d’assaut), que la responsabilité
de l’impréparation de notre armée en 1940 INCOMBE avant
tout à la Chambre des Députés de 1922, dite Chambre
« bleu horizon » et au Président du Conseil Albert
Sarraut ainsi qu’au ministre de la Guerre André Maginot.
En m’accusant réception de mon envoi, M. Henri MICHEL m’écrivait
le 6 juillet : « ces textes contiennent une information tout à
fait neuve pour moi. Vous avez bien raison de souligner son importance
».
Aussitôt après la fin de la première partie de l’émission
télévisée sur la Bataille de France, évoquée
ci-dessus, j’avais demandé à M. Armand Jammot de profiter
de la deuxième partie annoncée pour informer les téléspectateurs
sur l’importance de la séance de la Chambre du 14 mars 1922 et
la part de responsabilité qu’elle avait dans la défaite
de 1940, mais il n’en a rien fait. Il n’a même pas eu la courtoisie
de me faire accuser réception de ma lettre. C’est pourquoi, dans
un article de « La Grande Relève » de janvier 1971-
reprenant le titre d’un livre célèbre de PIERREFEU je
n’hésitais pas à affirmer avec force à l’adresse
d’Armand Jammot, que « Plutarque a menti »... par omission.
A propos de cet article, nous rappellerons sommairement qu’au cours
des débats gui suivirent la projection du film des « Dossiers
de l’écran » de 1970, op avait fait observer avec raison,
que du fait de l’avance prise par l’Allemagne dans son réarmement,
il était beaucoup trop tard en 1936 pour pouvoir espérer
réaliser le projet de réorganisation de l’armée
française présenté par Paul REYNAUD conçu
sur les bases des conceptions que le Colonel de Gaulle avait exposées
en 1934 dans son livre au titre malheureusement mal choisi « Vers
lune armée de métier ». Mais. assez curieusement,
s’il n’était pas trop tard le 14 mars 1922, quatorze ans avant
le projet DE GAULLE - PAUL REYNAUD de 1938 il était beaucoup
trop tôt lorsque le jeune député Jacques Duboin
eut le mérite et le courage d’affronter une Chambre des Députés
en majeure partie hostile, pour s’efforcer de faire comprendre à
ses collègues qu’il était temps de renvoyer dans l’agriculture
les chevaux de la cavalerie et de créer une armée moderne
sur la base des conceptions nouvelles, nées de l’expérience
de la guerre, qui avait été développées
depuis la fin du conflit par celui qui fut, en 1915, le « père
des chars d’assaut » : le Général ESTIENNE, sous
les ordres duquel Jacques Duboin avait servi au front comme capitaine
après s’être engagé volontairement en 1914, alors
qu’il était classé « réformé ».
A ceux de ses collègues qui l’interrompaient et lui demandaient
ce qu’il entendait par une armée moderne, il répondait
: « c’est une armée qui se reconnaît à l’odorat,
elle sent le pétrole et ne sent pas le crottin. C’est une armée
où le moteur mécanique joue le principal rôle ».
Au cours des débats, le rapporteur du projet de loi, le Colonel
Fabry, déclara : « notre collègue Duboin peut apparaître
ici, peut-être comme un précurseur, mais ce sera le seul
reproche que l’on hourra lui adresser. Il va beaucoup trop vite ».
On sait comment on alla par la suite si lentement dans la modernisation
de l’armée qu’elle partit en guerre sans une seule division blindée
véritable, mais avec de nombreuses divisions de cavalerie montée.
J’en viens maintenant à l’autre témoignage, celui de Mers-el-Kebir,
qui fut d’ailleurs le premier dans le temps.
Le 10 août 1940, à ma table de restaurant de l’hôtel
thermal, à Vichy, le Général de l’Armée
de l’air BERGERET, qui arrivait de Turin où il était Président
de la délégation française à la Commission
d’armistice - et qui devait devenir peu après Secrétaire
d’Etat à l’Air du gouvernement de Vichy - a déclaré
ce qui suit que j’ai rapporté de Londres en mars 1943, puis à
Alger en 1944 au juge d’instruction : « Les boches (sic) ont cent
pour cent de chances de gagner la guerre, c’est le moment pour la France
de jouer la bonne carte, c’est-à-dire de faire la guerre à
l’Angleterre avec les boches ».
Un moment après il ajouta :
« J’ai acquis la conviction à Turin que l’affaire de Mers-el-Kebir
a été voulue et montée par les boches qui ont réussi
à faire croire aux Anglais que la flotte française était
sur le point de sortir de sa base, ce qui devait inciter la flotte anglaise
à l’attaquer ».
En me remerciant le 16 juin de mon témoignage, M Henri MICHEL
m’écrivait :
« Vos souvenirs rejoignent le compte rendu que l’ambassadeur BULLITT
a envoyé à ROOSEVELT le 1er Juillet 1940 (avant Mers-el-Kebir)
d’une conversation qu’il avait eue aven Darlan à La Bourboule.
Darlan avait déclaré que l’Angleterre était battue,
que les Anglais étaient tellement lâches qu’ils capituleraient
au premier bombardement ».
Général Robert LASSERRE.