Le débat s’ouvre chez les Verts


Publication : février 2004
Mise en ligne : 10 novembre 2006

Le débat autour du revenu garanti, qui est l’objectif de l’association BIEN que nous avons contribué à créer en 1986 à Louvain-la-Neuve (relire à ce propos “Pour ou contre le revenu garanti”, GR 1019, p.12, l’un des derniers articles dans lesquels la GR a abordé ce sujet) est ouvert depuis longtemps. Ce qui est nouveau, c’est qu’il soit enfin abordé par les Verts.

Pour leur assemblée générale, destinée à établir leur programme, et qui doit avoir lieu le 31 janvier, deux textes seront débattus au chapitre travail et revenu. Si le texte 2 est classique, revendiquant essentiellement la hausse des minima sociaux pour réduire les inégalités, le texte 1, au contraire, marque une ouverture certaine vers une nouvelle réflexion, il ne rejette plus le débat sur le sens du salaire ni même sur celui du travail.

La nouveauté apparaît dès la première phrase de ce texte 1, même si on peut s’en étonner : « L’écologie a toujours été critique vis-à-vis du travail », avant qu’il y soit rappelé que la critique du travail (faut-il préciser “salarié” ?) était un des principaux thèmes de Mai 68.

La suite témoigne de l’heureuse influence qu’a dù avoir sur les auteurs la lecture d’André Gorz, car la nécessité d’avoir une position critique, tant des conditions du travail que de sa finalité, est revendiquée en évoquant de nouvelles forces productives, l’autonomie et le libre choix de l’activité, dans une économie devenue “cognitive”, en réseaux, et exigeant plus de formation, plus de mobilité et plus de créativité depuis le retour [1] du chômage de masse, et résumée en ces termes : « Le travail doit être aboli comme moyen de gagner sa vie (au risque de la perdre) et valorisé comme source d’épanouissement personnel », choisi sans contrainte et dont on assume la finalité.

Ces écologistes évolués expliquent en effet qu’« aujourd’hui il est bien difficile de chiffrer l’apport de chacun dans un système où la productivité dépend complètement de la productivité globale de l’entreprise d’une part, et d’autre part de la formation, de l’expérience, de l’histoire de chacun ». Ils pourraient plutôt dire que c’est la collectivité, ou la société on préfère ce mot, qui forme cet ensemble qu’est un individu d’aujourd’hui. Mais ils ont le courage de préciser qu’ils« s’opposent aux syndicats productivistes faisant du salariat l’institution socialisante » mais soumise au rendement du capital, car pour eux, comme l’a montré H. Arendt, la société salariale est une société de consommation et on est passé de la production pour satisfaire les besoins à la consommation pour donner du travail aux salariés. On retrouve ensuite des éléments du projet de Jacques Robin et de nos amis de Transversales pour une alternative à l’économisme et une “économie plurielle” que nous avons présenté il y a un an (GR 1029). Ils écrivent en effet : « Considérant le travail sous l’angle du développement humain, de la socialisation et de la diversité des talents… l’écologie construit une économie plurielle faisant une place de plus en plus grande à une production non marchande, à la coopération plutôt que la concurrence, à la réduction du temps de travail ». Les auteurs du “texte 1” vont plus loin : « Ce qui apparaît dans cet aperçu de la conception écologiste du travail, c’est que le travail n’a pas de rapport avec le revenu, ou très peu, contrairement à ce que croient la plupart des “marxistes”…. On n’est plus ici dans une logique comptable, mais plutôt dans la logique de la formule de P.Enfantin reprise par Marx [2] “De chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins” ». Puis ils reviennent à “l’économie plurielle” où ils trouvent « le plus intéressant sans doute, pour le revenu, c’est la proposition de monnaies plurielles non thésaurisables, proches des tickets restaurant ».

Après quoi ils se rapprochent des distributistes, apparemment sans le savoir, en commentant : « Cela permet de différencier des besoins de base qui doivent être assurés à tous [ce qui constitue le revenu de base assuré de la naissance à la mort que proposent les distributistes], l’accès aux biens culturels et immatériels qui doit être le plus large possible [qui pour nous doit donc être gratuit, comme un bien qui n’est pas détruit par sa consommation], et enfin les biens matériels, les ressources rares et non renouvelables dont la consommation doit être découragée par des prix élevés [c’est pour cette raison que nous proposons que les prix soient des prix “politiques” débattus et fixés en amont de la production et non pas ensuite, quand ils sont mis en vente]. Ils partagent notre conviction que « le revenu garanti donne à chacun la liberté réelle de choisir son mode de vie et de réaliser des projets. C’est un don que fait la collectivité à l’individu, sans exiger de contrepartie, en sachant toutefois que ce don matérialisera la citoyenneté et obligera donc l’individu au point de vue moral […] Le revenu garanti permettra des expériences sociales innovantes en représentant une subvention de fait aux […] travailleurs intermittents. Il permettra des initiatives économiques et artistiques. Il autorisera sans jugement chacun à suivre des études, à restaurer une maison ou à perdre du temps pour élever un enfant ». Nous n’employons pas ce terme de perdre du temps pour élever un enfant, mais nous parions qu’en réfléchissant à l’organisation nécessaire, ils déboucheront sur le contrat civique !

Ils n’en sont pas encore là puisqu’un peu plus loin ils en restent à la nécessité de prélever des impôts et abordent des calculs de crédits d’impôts, de progressivité, de seuils, de compensation, de taux nominal, etc. Ils réfléchissent au financement du revenu garanti en utilisant les sommes actuellement consacrées aux minima sociaux, aux aides diverses, aux bourses d’étude et à la prime pour l’emploi.

Il y a donc des chances qu’ils refassent les interminables débats autour de ces calculs qui ont tant occupé les neuf congrès internationaux de BIEN entre 1986 et 2002, après quoi il faudra qu’ils songent à aborder, par exemple, la question des paradis fiscaux, etc… Mais l’essentiel est qu’ils semblent enfin avoir compris la nécessité de débarrasser la production des “lois” du marché si on veut que soient pris en considération des critères tels que ceux liés à l’écologie.

Cette attitude témoigne d’un formidable progrès puisqu’ils sont capables de passer outre au tabou qui entoure généralement nos propositions. Ils écrivent en effet : « Certains doutent de la crédibilité de cette utopie, que les nouvelles forces productives imposeront pourtant ». C’est exactement cette réflexion qui a inspiré à J.Duboin le titre d’un de ses ouvrages :“L’économie distributive s’impose !”.

Il ne nous reste qu’à souhaiter qu’ils seront entendus et que leurs réflexions leur permettront d’aller plus loin. Mais c’est une autre histoire, puisque cela dépend du niveau de conscience de leurs adhérents, dont le vote témoignera.


[1allusion probable à la fin des trente glorieuses et à l’apparition des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

[2S’ils étaient bien informés, ils devraient ajouter « et par J. Duboin »


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