Le printemps bourgeois

Une hirondelle ne fait pas le printemps
par  H. MULLER
Publication : juin 1991
Mise en ligne : 18 mars 2006

 [1]

Rendons justice à fauteur. Emule de J. Fourastié, sans doute a-t-il tort de conclure, pareillement piégé par des données statistiques portant sur des moyennes, à un embourgeoisement quasi-général des Français. Après s’en être réjoui, il en relève les inconvénients envahissement de domaines réservés, jusque-là, à une minorité cultivant un certain art de vivre, mais, aussi, difficultés d’y accéder pour un nombre croissant d’universitaires leurrés par la démocratisation d’un enseignement dégradé, privés le plus souvent des moyens financiers de profiter de leur nouveau statut social. En somme, l’auteur découvre une notion dérangeante, occultée par les économistes férus de statistiques : le taux d’insatisfaction, son évolution en fonction du considérable accroissement des besoins face à une progression modérée des revenus dont e pouvoir d’achat suit le caprice de millions de prix. Il souligne honnêtement les conséquences multiples de cette frustration ressentie par ces nouveaux bourgeois confrontés à une masse de besoins qu’ils ne sont pas en mesure de satisfaire. Ainsi les études supérieures, rendues accessibles à une frange plus large de population, ont-elles surtout developpe ses besoins en aggravant les taux d’insatisfaction.

Cependant, toute la France n’est pas, loin s’ en faut, le milieu issu de l’université bourgeoise. Le déchet reste immense même s’il n’ apparaît que furtivement sous l’éclairage du livre. Peut-on parler de vie bourgeoise pour ces masses d’employés, de petits bureaucrates, de ratés aux prises avec les aléas du quotidien, vivotant dans la médiocrité, dans l’insécurité, dans l’anxiété ? Une hirondelle ne fait pas le printemps. La nouvelle élite demeure ultra-minoritaire. Elle n’a pas détrôné les "200 familles". Une solide barrière continue de séparer les chanceux des malchanceux, les "profiteurs" et leurs victimes, les riches et les pauvres...

Des valeurs dites bourgeoises, l’auteur fournit une liste non exhaustive reproduisant les mythes contemporains attachés à la seule réussite financière, comme si l’argent était le but suprême de la vie. Ainsi les valeurs dominantes seraient-elles le succès et la dépense, le non-travail. Le bourgeois fait du golf, joue au bridge, voyage au loin, fréquente cercles et clubs. L’enfant l’encombre. S’y ajoute toutefois une attaque au vitriol sur la culture de masse, sur l"imposture de tant d’oeuvres qui se veulent oeuvres d’art", sur ce "marché de la naïveté". Encore un coup au but sur les "sciences humaines et la parapsychologie". Une volée de bois vert en direction de la nouvelle bourgeoisie enrichie par le commerce et qui s’efforce de singer l’art de vivre propre à l’aristocratie.

Marquant sa préférence pour les grandes écoles, mieux adaptées à l’entrée des jeunes dans la vie professionnelle que l’Université avec "ses directions fantômes et ses professeurs faisant trois petits tours et puis s’en allant", avec son année scolaire de 5 à 6 mois, J.F. de Vulpillières n’est guère tendre pour l’Education nationale, au terme d’une étude sociologique approfondie de la jeunesse étudiante.

"Vive la préretraite" eu égard à "l’effritement de la valeur travail". Ici, l’auteur semble oublier que le travail reste une contrainte pour une majorité de salariés assujettis aux horaires, à des hiérarchies, à une discipline, aspirant au repos, aux loisirs et que l’aura conférée au travail rendu obligatoire, n’est qu’une invention de la propagande patronale en vue de disposer d’une main-d’oeuvre docile, dévouée à la cause du profit.

La même remarque vaut pour la "participation" mise au placard dans la grande masse des petites entreprises, dans celles qui fonctionnent à la limite d’un endettement supportable. Elle a surtout créé des zizanies au sein des personnels de qualification équivalente.

La vie sociale au sein de l’entreprise ? L’exception. Rendement, productivité, automatisation, cadences, imposent un rythme qui ne laisse guère de place aux palabres, aux échanges, à la communication. Elle se développe plus efficacement hors de l’entreprise, dans les activités de bénévolat. Dans l’entreprise, on se borne à faire du profit. Un point, c’est tout. La règle du jeu.

Décrit comme une conquête du capitalisme, l’embourgeoisement n’échappe pas à la critique. J.F. de Vulpillières ne manque pas de faire état du désenchantement des victimes de la concurrence, en raison de l’encombrement des professions les plus convoitées. Il souligne également les limites de cette réussite, son coût social, l’effacement des règles morales, la décadence des moeurs, le dessèchement spirituel, la baisse de la qualité, les effets d’une pollution galopante, la menace économique du Tiers-Monde. Voilà qui nous éloigne fort du progrès social et humain que revendique la thèse libérale.

Une dimension manque à l’ensemble du discours : les moyens concrets de moraliser une économie articulée sur le profit, sur son individualisation ; les moyens concrets de distribuer, dans l’équité, tout ce qu’il est possible, matériellement et techniquement, de produire en matière d’utilité ; les moyens concrets, enfin, de lever l’obstacle financier [2].

Le progrès technologique multiplie les quantités que le marché ne peut toujours absorber. L’existence, la permanence de "surplus" provoque la chute des prix et des profits, paralysant les rouages du capitalisme. Le système se voit ainsi contraint de mener un combat sans merci contre l’abondance, devenue fléau : élargissement des débouchés étatisés, y compris l’aide au TiersMonde, malthusianisme agricole, armements, guerres et gaspillages encouragés par une délirante publicité. Liés aux à-coups, aux caprices de la circulation monétaire, les revenus, formés dans l’anarchie, n’épousent qu’épisodiquement l’ampleur croissante d’une production parfois peu maitrisable encombrée d’inutilités, de futilités et d’un fatras d’offres accessoires tels les titres boursiers, occasions, antiquités, faisant pareillement office de marchandises, vendues et revendues cent fois. Le système du profit ne doit ainsi sa survie qu’à une lutte incessante contre l’abondance de l’offre, une lutte qui coûte chaque jour davantage aux contribuables et au gros des consommateurs. Mais ce genre d’analyse, propre à l’école d’ Edward Bellamy et de Jacques Duboin, reste ignorée des générations d’économistes férus des thèses d’Adam Smith et de J-B. Say tombées en désuétude.

N’accablons pas l’auteur. Bien né, J.F. de Vulpillières, profondément marqué par son milieu familial, reste attaché à ses valeurs traditionnelles. Truffé de références statistiques, d’exemples concrets, son texte, bien écrit, aéré, de lecture agréable, abordant mille et un sujets de la vie quotidienne, accessible au vulgum pecus, s’apprécie comme un utile instrument de réflexion.


[1Le printemps Bourgeois, Jean-François de Vulpillières (Editions de la Table Ronde - septembre 1990)

[2cf "Projet de société pour demain" (décembre 1982). "La carte de paiement à mémoire. Aujourd’hui, une révolution monétaire. Demain une révolution économique" (septembre 1985)


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