Le rétroviseur


par  M. DUBOIS
Publication : novembre 1980
Mise en ligne : 13 mai 2008

Jean DORST, de l’Institut, vient de publier sous le titre : « La force du vivant » (Éditions Flammarion), une série de réflexions sur l’écologie et sur les mesures à prendre de toute urgence si l’on veut éviter le déclin puis la mort de notre civilisation.

Ce savant est déjà connu des lecteurs de la « Grande Relève » puisque nous avions publié en son temps (il y a déjà plus de 10 ans) une analyse du livre « Avant que Nature meure » dont « La force du vivant » est la suite logique.

Jean DORST, après avoir dressé une sorte de bilan des rapports de l’homme et de la nature dans le monde actuel, et recherché à travers la mécanique du monde vivant les causes des erreurs écologiques de nos civilisations industrielles, énumère les trois niveaux auxquels il convient maintenant de les corriger :

- une recherche scientifique accrue pour nous donner les bases sûres d’une saine conduite de nos entreprises ;

- un dialogue du savoir et du pouvoir, à charge pour ce dernier de tenir davantage compte des enseignements objectifs de la science ;

- un changement profond de la philosophie de l’homme vis-à-vis de la Nature, clef d’une nouvelle éthique.

 ÉCOLOGIE ET ÉCONOMIE

Sans entrer dans le détail de cette remarquable étude dont nous ne saurions trop vivement conseiller la lecture à nos amis, il nous paraît intéressant de souligner que Jean DORST, tant dans son analyse que dans l’énoncé des solutions possibles, ne peut manquer d’évoquer les liens étroits existant entre la défense de la Nature et notre système économique actuel.

 A. - Sur le plan du gaspillage des ressources naturelles d’abord :

Page 12 : Aiguillonnés par une publicité tapageuse, et le culte généralisé du gadget, nous croyons ne plus pouvoir nous passer d’une multitude d’objets pour beaucoup inutiles... les hommes d’affaires des pays industrialisés soumettent les acheteurs en leur proposant les fragiles et vains hochets de la civilisation industrielle.

Page 92 : Nous jetons à plaisir et Jean-Marie PELT a raison de qualifier notre société de celle du « prêt à jeter ». Les conditions économiques, les prix des matières premières comparés à ceux des produits finis et de la main-d’oeuvre sont tels qu’il n’est plus rentable de récupérer les objets usés ni de recycler leurs déments.

Page 93 : à propos des récupérations de déchets « De telles opérations sont possibles même dans les pays industrialisés où elles ont été gênées par le coût jugé excessif dans une économie de marché et surtout par l’inertie d’une opinion publique habituée au gaspillage. »

 B. — Sur la nocivité du régime financier actuel ensuite :

Page 20 : à propos de l’accident survenu à une plate-forme d’Ekofrok en mer du Nord : « Un grand quotidien parisien rappela un voeu de l’Académie des Sciences concernant les précautions à prendre lors de la recherche et de l’exploitation du pétrole en haute mer, et se fit l’écho des préoccupations des écologistes, les colonnes voisines du journal rappelaient en même temps celles des compagnies pétrolières : celles-ci craignaient les retombées inévitables de cet accident sur les mesures de sécurité qu’elles auront à prendre et sur les indemnités qu’elles auront à verser. Naïvement, on aurait cru que les pétroliers se seraient en priorité inquiétés de l’avenir des pêcheries, d’une importance extrême dans cette partie du globe, et même de l’équilibre écologique de la mer du Nord. La menace d’une réduction de leur bénéfice était leur souci majeur. »

Page 126 : « Les fleurs des champs sont pour lui sans valeur : a-t-on vu leurs prix inscrits aux mercuriales des fleuristes ? Personne n’agira de même à l’égard de fleurs achetées à l’étal du commerçant, car elles ont coûté quelque argent... les fleurs de la Nature sont gratuites, et de ce fait méprisables pour des hommes qui mesurent tout à l’aune du profit. »

Page 127 : « Cette vie sauvage ne vaut rien, car elle n’est pas cotée à la bourse du profit... Rien n’arrête l’homme de notre temps pour autant que sa bourse n’est pas en cause. »

Pages 221 et 222 : « Voulut-on transformer un milieu naturel ? On se préoccupe de l’avis de l’agronome, de l’ingénieur, de l’économiste, du financier et même du sociologue. Tout fut calculé en termes de profit, de revenus, de nombre d’emplois, de quantités d’énergie et de produits manufacturés. A-t-on solicité l’avis de spécialistes de ces questions ? Ce fut bien le moindre souci de ceux qui décident... Construit-on un barrage ? Tout de suite les ingénieurs alignent des chiffres, calculent en kilowatts et en hectares de terres irriguées, données que le financier traduit en termes monétaires. Tient-on compte des effets nocifs, de possibles nuisances ? : Jamais. »

 C. - Sur la nécessité de changer complètement notre système économique et nos modes de pensée :

Pages 20 et 21 : Le développement économique continue d’être fondé sur la politique en cours depuis 100 ans et plus. Le culte du profit est toujours à l’honneur... C’est le système lui-même que nous devons mettre en question maintenant.

Page 81 : Les civilisations ne savent pas s’adapter...

Page 117 : Cette forme de civilisation technique nous a conduits à avoir plutôt qu’à être, car la recherche du bénéfice à tout prix et d’une rentabilité maximale est aussi la conséquence directe de cette philosophie de l’action.

Page 215 : Il faut abandonner une attitude passéiste et prendre une position active, positive et réaliste en proposant des solutions constructives.

Page 253 : La nature prise dans son ensemble nous est indispensable et pour bien d’autres raisons que parce qu’elle est source de richesses et de denrées. Ses valeurs immatérielles ne peuvent être estimées en termes financiers. Elles entrent pourtant en compte dans un bilan des besoins nécessaires à réaliser une destinée humaine. Cessons de tout examiner à la lumière du profit.

 SATISFAIRE LES BESOINS

Comme vous pouvez le constater, le ton est donné, et, si Jean DORST ne plaide à aucun moment en faveur de l’économie des BESOINS telle que nous la définissons, la nature même de ses critiques et de ses réflexions montre sa parfaite identité de vue avec nos thèses.

Et il n’est peut-être pas inutile d’ouvrir ici une parenthèse à propos d’une objection qui revient assez fréquemment actuellement dans la bouche de ceux qui n’ont pas suffisamment réfléchi aux solutions constructives présentées par notre campagne.

On nous rétorque, en effet, volontiers, que parler de société d’abondance au moment précis où la crise de l’énergie éclate dans toute son ampleur et où l’homme prend enfin conscience du caractère fatalement limité des ressources de notre planète, est un anachronisme d’autant plus inacceptable que l’explosion démographique ne peut qu’accentuer les distorsions entre les réserves et les Besoins.

Ce raisonnement démontre simplement que, pour beaucoup, l’économie des Besoins continue à apparaître comme cette prise au tas plus ou moins anarchique que Jacques DUBOIN lui-même n’a jamais cessé de réfuter. Alors que, par la suppression des gaspillages, par une saine gestion débarrassée des images faussées du monde vu par les financiers, il est souhaitable, indispensable et possible de préserver l’avenir des futures générations tout en satisfaisant mieux les VRAIS BESOINS des hommes d’aujourd’hui.

S’il fut une époque où apparut clairement la nécessité absolue d’abandonner l’économie de marché, ses miasmes, ses contradictions et sa suicidaire fuite en avant, c’est bien la nôtre. Jusqu’à maintenant, nous avons réclamé l’économie des Besoins en mettant surtout l’accent sur un souci de justice sociale. La venue au grand jour de la crise de l’énergie nous permet maintenant d’en souligner le caractère inéluctable, et l’obligation de ne plus confondre le bonheur des hommes avec un produit national brut dans lequel entrent en ligne de compte les fabrications militaires et les accidents de la route.

Vivre mieux en consommant moins de richesses réelles ? Oui, c’est parfaitement possible à condition, comme l’écrit Jean DORST, de ne pas considérer le passé comme une espérance, et de ne plus regarder devant nous dans un rétroviseur.


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