Les boulangers dans le pétrin
par
Publication : octobre 1986
Mise en ligne : 1er avril 2008
Voici les réflexions d’un boulanger.
Elles lui ont été Inspirées par la lecture de la
Chronique Economique de la revue « Les nouvelles de la boulangerie
» sous la signature de Marie Régnier concernant le livre
de Philippe Vasseur Intitulé « Le Chômage, c’est
les autres ».
Coïncidence ? Marie Reignier ne savait pas. de
dans la page suivant son article, les Nouvelles de la Boulangerie présentaient
un reportage sur Europain 86 intitulé : « Des machines
extraordinaires », dans lequel il n’est question que de «
rythmes éblouissants, de cadences, d’automatismes, de performances
», ainsi que « de régularité, de sécurité
», et même de « spectacle ». Une preuve incontestable
et incontestée du remplacement inévitable du travail de
l’homme par la machine.
Mais que nous rapporte Marie Reignier sur les idées que Philippe
Vasseur, par ailleurs rédacteur en chef économique du
Figaro, développe dans son livre ? Rien de bien nouveau : des
réflexions sur la croissance et la flexibilité, un exemple
de restructuration de Chrysler aux Etats-Unis, et pour l’avenir, «
des armes nouvelles et un changement des mentalités »,
c’est-à-dire « le choix de son temps et de son statut »
et un « éclatement des structures : partage d’un emploi
entre deux personnes ». (je vous fais grâce des expressions
américaines, heureusement expliquées).
Nous constatons encore avec regret, le manque d’imagination de nos «
spécialistes en économie », qui restent enfermés
dans un système capitaliste basé sur le profil. Pourtant,
partout dans le monde des personnes osent remettre en question ces sacro-saints
principes. En effet, l’heure n’est plus à l’amélioration
ponctuelle d’un système rétrograde, mais à la mise
en place de nouvelles formes de sociétés.
Comme le souligne John Farina, professeur à la faculté
des Sciences Sociales de l’Université de Waterloo (Ontario) qui
déclare dans un article économique du journal «
La Presse » de Montréal (Canada) du 25 Avril 1985 : «
L’homme a inventé des machines pour se dispenser de travailler.
Cela a tellement bien marché qu’il y a aujourd’hui un million
et demi de chômeurs. Mais, au lieu de nous en réjouir,
nous nous en mordons les doigts. Voilà qui est tout. à
fait illogique ! ».
Sans vouloir polémiquer sur le nombre de chômeurs
en France, quelles proportions faut-il atteindre pour nous amener à
réfléchir sur la contradiction existant entre notre système
économique et la performance des machines. Faut-il revenir aux
temps décrits par RL Sancerre (témoignage toujours intéressant
du passé), pour que tout le monde ait du travail ? Dans nos sociétés
modernes, la production devenant indépendante du travail humain,
ne serait-il pas préférable de dissocier le travail de
chaque individu de son pouvoir de consommation ? En d’autres termes,
ne pourrait-on pas imaginer un système dans lequel le travail
fourni ne correspondrait plus à un salaire mais à un quota
précis de biens de consommation ? Dans ce type de société,
le chômage ne serait plus aggravé par le phénomène
de mécanisation et tendrait à disparaître, les tâches
indispensables étant accomplies par l’ensemble de la population
active.
Actuellement, le secteur artisanal, encore présenté comme
possible créateur d’emplois tiendra-t-il ses promesses ? Sa mécanisation,
toujours croissante n’entraînera-t-elle pas une diminution des
postes de travail comme c’est déjà le cas dans les secteurs
secondaire (industries) et tertiaire (banques) ?
L’évolution du travail en boulangerie est édifiante lorsqu’on
fait la comparaison du nombre d’heures de travail humain nécessaire
à la panification entre hier et aujourd’hui. Quel sera-t-il demain
? Quel potentiel d’embauche pouvons-nous prévoir ? Une chose
est facilement prévisible : il y aura de moins en moins de travail
pour tous, et moins encore pour le personnel non qualifié. Cela
augmentera les différences entre deux catégories d’individus :
- des chômeurs devenant plus pauvres et plus nombreux ;
- des « riches » devenant plus riches et moins nombreux.
Jusqu’à quand va se maintenir cette dualité
de situation, la même qui sévit entre « pays pauvres
» et« pays riches » ?
Ne serait-il pas « plus facile de faire consommer le surplus de
la production aux chômeurs que de faire absorber les chômeurs
par une production qui n’a plus besoin d’eux ? ».
Ces commentaires ont été refusés par le journal
« Les nouvelles de la boulangerie » à qui elle ont
été adressées.