Les ingrédients du marché de la détresse

TRIBUNE DES LECTEURS
par  H-C MATTON
Publication : janvier 2005
Mise en ligne : 4 novembre 2006

Il y a un demi-siècle, les biologistes Crick et Watson découvraient le mécanisme de copiage du matériel génétique. Depuis les choses sont allées bon train à l’aune du formidable marché que représente le génie génétique pour les firmes issues de la phyto-pharmacie qui ont subodoré les prodigieux bénéfices à réaliser sur les manipulations du génome et l’obtention de brevets. Ces manipulations ont abouti aux fameux OGM, qui ont fait couler tant d’encre et alimenté tant de débats à sens unique…

Récemment, une exposition de la Cité des Sciences de La Villette, intitulée Climax, montrait les résultats d’une simulation sur le réchauffement climatique. Le climat se réchauffe-t-il ? La tendance va-t-elle se poursuivre, s’accélérer ? On a quelque raison de le penser. Y sommes-nous pour quelque chose, c’est fortement probable. Et si ça se confirme, cela signifie qu’en deux siècles, nous aurons libéré le carbone qui a été piégé pendant deux cent millions d’années dans les profondeurs de la terre et les conséquences de l’effet de serre sont inquiétantes. Que va-t-il se passer ? L’atmosphère de la terre risque-t-elle de tendre vers celle, invivable, de Vénus ? Ne pas prendre en considération les causes du désordre au plus vite, c’est s’exposer à un risque majeur, magistralement explicité par Michel Serres dans Le Contrat Naturel.

Dans les années 70, le Club de Rome avait déjà tiré la sonnette d’alarme sur les questions environnementales, préconisant l’arrêt de la croissance économique dans les pays développés. Sans débat, cette proposition n’avait reçu que mépris pur et simple : quels problèmes l’homotechnologicus n’était-il pas capable de résoudre ! C’est la croissance économique qui allait résoudre les problèmes du Sud et cela en moins d’une génération. On allait voir ce qu’on allait voir, avec la révolution verte et toutes les technologies qu’on allait introduire de gré ou de force chez les nègres et les indiens.

En fait de croissance, c’est le pillage qui a été organisé avec les résultats que l’on connaît. Entre temps, on a continué à envoyer dans l’atmosphère les miasmes des millions de tonnes d’équivalents pétrole nécessaires à notre consommation, qui double tous les trente ans, moins à cause de la croissance démographique que de notre folie consumériste. Aucun individu normalement constitué ne peut plus aujourd’hui ignorer cette épée de Damoclès, environnementale et aussi énergétique, car l’énergie fossile qui a pourri notre vie, va se raréfier puis disparaître avant la fin du siècle, et encore plus vite si nous continuons à prôner une croissance qui non seulement n’a plus de sens, mais est criminelle dans le contexte actuel.

Contrairement aux autres espèces animales, qui occupent le biotope qui leur est favorable à seule fin d’assurer leur pérennité, notre espèce occupe tous les biotopes ou presque, et grâce aux technologies qu’elle a développées au cours de sa courte mais brillante carrière, elle s’est peu à peu libérée des contraintes de la sélection naturelle. Le prix payé par les espèces voisines a été catastrophique. Mais l’intelligence humaine, en se développant en dehors d’ellemême, en fabriquant tous ces éléments de notre confort que sont bateaux, avions, trains, etc. ne va-t-elle pas aboutir à une intelligence artificielle capable, selon J.M. Truong, d’éliminer même notre espèce ?

Sachant qu’un quart de la population mondiale consomme à elle seule 80% des richesses produites, comment se fait-il qu’un grand débat ne s’engage pas sur la survie de l’humanité ? Ce quart de la population mondiale, qui vit essentiellement dans les États dits du G8 (les 8 plus riches), dépense pour son confort 100 fois ses besoins métaboliques de base, ce gaspillage énergétique insensé rendant impossibles tous les programmes des nations dites unies. Pour leurs déplacements, quelques centaines de milliers de privilégiés ont accès aux avions, quelques centaines de millions utilisent l’automobile et quatre milliards d’êtres humains vont parfois à vélo, mais surtout à pied. Dans nos pays riches, il y a même souvent plusieurs véhicules par ménage, et des véhicules toujours plus sophistiqués, toujours plus gourmands, tels ces 4x4 qui situent d’emblée leur propriétaire dans la catégorie des “winners”… !

Si le rêve de tous les miséreux qui n’ont qu’un ou deux dollars par jour pour vivre est de se jeter dans notre société de consommation, imagine-ton six milliards d’habitants accédant au niveau de confort de l’occidental moyen ? Pays “en voie de développement”, pays “émergents”, quelle rigolade ! C’est absolument impossible pour des raisons environnementales, avec la pollution et la disparition de la biodiversité. Et aussi à cause de l’épuisement de l’énergie fossile car si on ne sait toujours pas par quoi cette énergie sera remplacée, on sait, par contre, quelle guerre féroce se livrent les États pour en contrôler les réserves.

Le triptyque démographie, environnement, énergie, voilà le véritable problème. Il devrait être l’objet de toute notre attention, sachant que la solution n’est pas plus dans un utopique progrès technologique que dans la tarte à la crème de la croissance infinie, mais dans le partage. Et d’abord dans l’abandon du formidable gaspillage sur lequel repose notre société, qui est en vérité la société du déchet : la preuve, 70% du budget d’une collectivité de communes passe dans le traitement de ses déchets !

Partager, c’est remettre notre niveau de vie en cause et pas qu’un peu. C’est toute la philosophie de l’économie distributive, une société plus égalitaire, reposant sur un revenu social, une philosophie mondialiste débarrassée de ses aspects mercantiles. En sommes-nous capables ? Alors que toute notre éducation, au contraire, est basée sur la compétition, le mérite individuel, la récompense, la propriété, etc. ? Alors que l’épuisement des ressources fossiles et le réchauffement climatique, conséquences directes de notre religion du profit, sont encore à cent lieues des préoccupations d’une population qui croit ou feint de croire aux vertus de la croissance ? Alors que légèreté ou criminelle inconscience, sentiment d’incapacité, inféodalisation aux puissances qui les font vivre, les médias préfèrent l’événementiel, le feuilleton de la comédie humaine, l’éternel “panem et circenses”, la société du spectacle.

Évoquer le problème est peut-être un commencement…

Mais nous sommes fous de réclamer toujours plus de technologie alors que nous sommes incapables de la maîtriser. Bref, nous sommes en train, si ce n’est déjà fait, de perdre ce qui fonde notre qualité d’humains, la convivialité dont parlait Yvan Illich, et qui n’a déjà plus aucune réalité pour les millions de laissés pour compte de notre société de consommation, ni pour les milliards dont l’existence ne pèse pas plus qu’un pet de sansonnet et qui encombrent le Marché de la Détresse.


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