Les mécanismes de l’étranglement
par
Publication : juillet 1987
Mise en ligne : 17 juillet 2009
Nous aurons certainement l’occasion de reparler ici du règne abusif du dollar dans le commerce international (1) et des mécanismes capitalistes qui génèrent l’appauvrissement des pays pauvres au profit des pays riches. Mais voici un moyen simple, clairement exposé par F. Clairmonte et J. Cavanagh (2), pour comprendre comment les pays du Tiers-Monde sont écrasés par les prêts que leur "consentent" les banques :
Soit un pays qui emprunte 1 000 $ par an à une banque américaine, pendant dix ans. Le remboursement est prévu sur 20 ans et le taux d’intérêt est de 10 %.
La première année, ce pays rembourse 1120e des 1 000 $ reçus, soit 50 $ et paie 10 % d’intérêts, soit 100 $. Il dispose donc de 850 $.
La seconde année, il reçoit à
nouveau 1000$ ; le remboursement est 2 x 50 = 100 $ et les intérêts
sont de 95 $, pour ce qui lui reste à rembourser du prêt
de l’année précédente, plus 100 $ pour l’année
en cours. Il dispose donc de 1000 - 100 - 95 - 100 = 705 $.
Les mêmes calculs pour les années suivantes donnent les
résultats encadrés. Ils montrent que la 8e année,
les 1 000 $ prêtés ne suffisent même plus à
couvrir les sommes dues. La dixième année, le bilan
négatif est tel que l’emprunteur doit ajouter 275 $ aux 1 000
qu’il reçoit. Les deux années suivantes, il ne reçoit
plus rien mais doit verser 2 400 $. I I a alors pratiquement déboursé
autant qu’il a reçu mais il se retrouve néanmoins avec
une dette supérieure à la somme qu’il a empruntée
!
Ce modèle simple montre bien les mécanismes capitalistes
en général, et comment, en particulier, les pays du
Tiers-Monde sont pris au piège. Mais en réalité,
les choses sont bien pires pour ces pays, et ce pour au moins les
trois raisons suivantes
Nouveau prêt |
Service de la dette
|
Marge disponible |
|||
Intérêt |
Amortiss. |
Total |
|||
Année 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 |
(1) en $ 1000 1000 1000 1000 1000 1000 1000 1000 1000 1000 |
100 195 285 370 450 525 595 660 720 775 |
50 100 150 200 250 300 350 400 450 500 |
(2) en $ 150 295 435 570 700 825 945 1 060 1 170 1 275 |
(1) - (2) 850 705 565 430 300 175 55 -60 -170 -275 |
11 à 29 |
5 285 |
7 250 |
13 075 |
- 13 075 |
|
TOTAL |
10 000 |
10 500 |
10 000 |
20 500 |
-10 500 |
1) dans ce modèle, les taux d’intérêts
sont supposés constants. En réalité, les taux
américains ont doublé en moins de 18 mois à partir
de l’automne 1979 et sont restés élevés, ce qui
a ajouté des milliards de dollars à une charge déjà
écrasante.
2) nous avons supposé que le prêt était constant,
alors qu’en réalité les banques en ont baissé
le niveau en 1981 quand elles ont réalisé que le Tiers-Monde
ne serait jamais en mesure de payer ses dettes.
3) comme les pays du Tiers-Monde traînent à payer tant
le capital que les intérêts, la somme due chaque année
s’ajoute à la dette cumulée, et la vitesse de l’endettement
s’accélère inexorablement.
C’est ainsi que 70 à 80 % des nouveaux prêts depuis 1979
ont été engloutis par le paiement des emprunts antérieurs
: en 1981, pour la première fois dans l’histoire de l’après-guerre,
les pays du Tiers-Monde sont devenus exportateurs de capitaux : transfert
net 7 milliards $ en 1981, 56 en 1983 et 74 en 1985 ; par exemple
l’exportation de capitaux de l’Amérique Latine a été
multipliée par 85 entre 1981 et 1985. Et ceci ne tient pas
compte des profits des sociétés transnationales basées
dans le Tiers-Monde, ni des transferts de capitaux par ces sociétés
: le chiffre atteindrait 230 à 240 milliards de dollars américains,
ce qui est une somme égale à 4 fois le montant du Plan
Marshall. Or, n’oublions pas que "l’aide" apportée
sous ce nom a été remboursée avec intérêts
aux Etats-Unis alors que ce tribut des nations pauvres aux nations
riches ne sera pas remboursé !
(1) Voir "L’Economie Libérée",
supplément è la Grande Relève, n° 840.
(2) Dans "IFDA", dossier 59, mai-juin 1987, page 42.