Lettre ouverte


par  J. HAMON
Publication : août 2005
Mise en ligne : 1er novembre 2006

à

Monsieur François Hollande
Premier Secrétaire du PSF
10 rue de Solférino
75333 Paris Cedex 07

le 30 juin 2005

Monsieur le Premier Secrétaire,

Mon âge, mon état de santé, et de lourdes obligations familiales ne me permettent pas de me déplacer autant que je le souhaiterais, d’où mon recours à la correspondance pour présenter mes points de vue et les appuyer à l’aide d’une documentation appropriée. J’ai lu dans la presse les réactions des principaux animateurs de notre vie politique nationale suite au référendum du 29 mai, et ai été surpris par certains propos. Vos déclarations sont surprenantes car elles ne traitent pratiquement pas des problèmes cruciaux que la France, la Communauté, et le Monde vont avoir à résoudre au cours des décennies qui viennent si l’espèce humaine veut survivre dans des conditions acceptables. J’ai déjà abordé avec vous certains de ces problèmes pour déterminer si le projet de Constitution de l’Union était compatible avec une lutte efficace contre la fracture sociale, et avec une stabilisation du climat ; de toute évidence, ce n’était pas le cas.

Les Français ont refusé le projet d’usine à gaz qui leur était proposé dont l’inacceptabilité était caractérisée par l’association de deux termes incompatibles : économie sociale de marché et concurrence libre et non faussée, tant au sein de l’Union qu’au niveau international. Le divorce entre le pays légal et le pays réel n’a probablement jamais été aussi notable. Faute de pouvoir dissoudre le pays réel, il faut tenir compte de ses points de vue. Sauf exception, les traités signés par les gouvernements français successifs n’ont jamais été soumis aux citoyens. Lorsque ces derniers en ont découvert leurs implications, dans la partie III du projet de traité constitutionnel, ils les ont refusées. Ne devrions-nous pas en déduire que les traités correspondants n’engagent plus la France, car refusés par ses citoyens ? Un problème fort intéressant à soumettre au Conseil Constitutionnel.

Réagir à ce refus escompté exige de rétablir la confiance entre les citoyens et les élus et de recréer une économie sociale de marché tout en traitant trois problèmes :

- réduire la fracture sociale, en France, au sein de l’Union, et dans le Monde ;
- contribuer efficacement à stabiliser le climat ;
- équilibrer les comptes de la France.

Je vous ai adressé des courriers sur ces deux premiers sujets, dont un échantillon est joint.

Sans négliger la situation nationale, la priorité la plus urgente est d’aider les nouveaux États arrivants à améliorer la situation sociale de leurs citoyens tout en s’insérant harmonieusement au sein du marché communautaire. Cela paraît difficile sans accroître le budget communautaire ou, à défaut, sacrifier les composantes les plus discutables de la PAC. qui pénalise depuis des décennies les plus fragiles de nos exploitants agricoles, avec environ 30.000 disparitions d’exploitations par an depuis des décennies.

Au niveau international, une première priorité est d’aider les pays les moins avancés à nourrir leurs habitants, en abandonnant toutes les pratiques d’exportation à perte qui nous coûtent cher et ruinent les paysans du Tiers monde. Bénéficier au sein de l’OMC de l’appui sincère des pays les moins développés nous serait fort utile pour résister aux pressions (hélas OMCment légitimes) du Brésil, de la Chine, de l’Inde, et de quelques autres. Comme vous le savez, nos productions, tant industrielles qu’agricoles et dérivées, et de services, ne sont que rarement compétitives au niveau mondial, mais la majorité d’entre elles doivent être préservées, pour assurer des revenus à la République et à ses résidents. Comment ce faire ? Dans son discours devant les cadres UMP, le 11 juin 2005, Nicolas Sarkozy à suggéré de rétablir la préférence communautaire ; ses déclarations, et les commentaires qui ont suivi sont accessibles sur le site www.u-m-p.org.

Parler de la lutte contre la dérive climatique ne suffit pas. Passer le plus rapidement possible, en France et au sein de l’Union, des énergies fossiles conventionnelles aux énergies renouvelables les plus avancées est essentiel. C’est essentiel car le prix du pétrole et du gaz naturel ne saurait que monter, les pics mondiaux de production étant proches (2007 à 2015 pour le pétrole, 2025 à 2030 pour le gaz naturel en absence d’effet domino, mais dès 2020 en cas d’effet domino). C’est essentiel pour renforcer notre influence lors des négociations internationales. C’est vital parce que les économies d’énergie, et l’appel systématique aux énergies renouvelables, devraient pouvoir créer des millions d’emplois durables en France à condition d’agir vite, la Chine produisant déjà plus de 50% des panneaux solaires thermiques, et le Danemark et les États-Unis presque tous les aérogénérateurs. Un gigantesque marché mondial s’ouvre aux nouvelles technologies dans ces domaines, mais la France paraît y être peu présente.

Prédire le prix d’un baril de pétrole n’est pas une science exacte, mais la demande s’accroît un peu plus vite que la capacité de production. Une partie du brut saoudien est trop riche en soufre pour être facilement exploitable, et le Brent est en cours d’épuisement. Dans moins de dix ans l’écart entre la demande et la capacité de production sera de 3 à 4 % par an, avec toutes les implications sur les transports aériens et terrestres, notre confort, et la production agricole grande consommatrice d’énergie (engrais, pesticides, mécanisation et chaîne de froid). Sans vouloir faire couler la barque, tous les contrats à long terme d’achat de gaz naturel, de charbon, et de pétrole devraient être négociés en euros, quitte à offrir aux producteurs de meilleures conditions que la Chine, les États-Unis ou l’Inde. Des accords de coopération scientifique et technologique favorables devraient être systématiquement offerts à nos fournisseurs d’énergie, ce qui implique d’avoir quelque chose à offrir.

Nous allons devoir passer, en quelques décennies, de véhicules à gaz, à essence ou à gazole à des véhicules mixtes, électriques ou assimilés, car notre potentiel de production de biocarburants est limité, mais d’où proviendra l’électricité ? Quand commencerons-nous sérieusement à nous en préoccuper ? Il paraît douteux qu’une entreprise privée souhaitant des retours garantis sur investissements accepte de se lancer dans la construction en série de centrales EPR, et il serait suicidaire pour une telle entreprise d’envisager de gérer et de distribuer l’énergie électrique provenant de centaines de milliers d’aérogénérateurs en stockant les excédents ponctuels sous forme d’hydrogène, d’air comprimé, et de remontées d’eau vers des barrages d’altitude, existants ou à créer. Il me parait peu raisonnable de privatiser EDF et GDF dans de telles conditions.

La Logan peut faire un tabac au sein de l’Union, mais l’Inde produit une voiture équivalente pour 1.900 euros. Seronsnous compétitifs avec des véhicules ne faisant plus, ou peu, appel aux énergies fossiles conventionnelles dont notre présente production est nulle ?

Le niveau de notre dette publique, au sens large de ce terme, est inacceptable maintenant que les taux d’inflation sont bas. Notre balance des échanges et des changes est devenue déficitaire de manière structurelle en absence de toutes importations représentant des investissements productifs, ce qui est inquiétant. Des taxations douanières étant exclues, il faut augmenter des taxes non douanières sur tous les produits dont la consommation n’est pas indispensable ou, si indispensable, peut être amenuisée par les taxes et reportée sur le consommateur final, l’objectif devant être d’assurer plus de 75 milliards d’euros de ressources annuelles supplémentaires :

- augmentation des taxes sur les carburants conventionnels, en particulier le diesel/fioul/gazole, en éliminant progressivement toutes les exonérations, y compris au bénéfice des aéronefs ;
- rétablissement d’une vignette automobile pénalisant les véhicules de prestige, sans exonérations administratives ;
- augmentation des taxes sur les boissons alcoolisées et le tabac ;
- augmentation de la TVA sur tous les produits de luxe et l’informatique grand public ;
- augmentation massive des taxes d’aéroport et des péages autoroutiers, ce qui implique de garder le contrôle des autoroutes ;
- revue à la hausse de l’impôt sur le revenu.

Mieux gérer les ressources financières dont nous disposons déjà serait souhaitable. Notre défense nationale paraît sur-dimensionnée, aucun pays ne paraissant souhaiter s’emparer de nos terres cultivables ou de notre eau douce. Si nous avons, dans quelques décennies, à soutenir un conflit pour l’accès au gaz naturel et au pétrole de l’Irak, de l’Iran, et de l’Arabie saoudite, ce sera avec les États-Unis ; inutile d’y songer. Les États-Unis ne s’intéressent vraiment à nous que lorsqu’ils ont besoin de subsides (pour la forme) ou de supplétifs sur le terrain (comme autrefois au Vietnam, et maintenant en Irak) ; non, merci. On pourrait donc réduire les forces armées nationales à ce qui est nécessaire pour le défilé du 14 juillet ; on pourrait même probablement louer des figurants pour ce faire ; de nombreux intermittents du spectacle sont au chômage.

Des économies massives d’énergie sont indispensables, et réalisables. L’État y perdra sur la TIPP, raison pour laquelle la TIPP de base doit augmenter. Exiger, sans subvention, des panneaux solaires thermiques sur toutes les constructions nouvelles, et sur toutes les rénovations, va de soi. Exiger une meilleure isolation phonique et thermique aussi. Créer partout des pistes cyclables protégées paraît essentiel. Ne plus permettre de délivrer de permis de construire dans les zones péri-urbaines dont la faible densité ne permet pas de rentabiliser des transports collectifs va aussi de soi. Seule, la France ne peut pas faire grand chose. Elle devra donc travailler avec d’autres pays de l’Union socio-économiquement proches ; pourquoi pas ceux de l’Euroland, qui ont beaucoup de responsabilités en commun, un PIB/habitant élevé, et la possibilité de se faire entendre par la BCE, l’OCDE et le G8. Le non français au projet de Constitution a mis la France en position de force. Les amis de Tony Blair n’ont eu les suffrages que de 35 % des Britanniques ayant voté ; c’est mieux que le 18% de Chirac en 2002, mais moins bien que les 55% de notre non, et les 45% de votre oui.

Vous auriez dû, logiquement, faire campagne pour le non lors du référendum constitutionnel, ce qui aurait placé le Parti socialiste en excellente position pour les élections de 2007 et 2008. Fort heureusement de nombreux animateurs du PS ne vous ont pas suivi, et vos électeurs non plus. Tout n’est donc pas perdu. Je me sens d’autant plus libre pour vous écrire cela que j’ai toujours résisté à la tentation d’adhérer au PS, tout en appréciant son potentiel.

Je réalise que rien de ce qui précède n’est électoralement porteur pour l’instant, une décroissance énergétique de quelques pour cent par an et un accroissement des taxes risquant de ne pas enthousiasmer les foules. Il me paraît toutefois grand temps de dire la vérité aux Français en termes fiscaux, énergétiques et climatiques. Aurez-vous le courage de ce faire ? Les élus socialistes au Parlement de la Communauté et les amis du Parti socialiste au sein de la grande presse oseront-ils faire passer ce message ?

Comme vous avez pu le lire à de nombreuses reprises,et récemment encore, notre ami Nicolas Sarkozy est donné gagnant dans tous les cas de figure pour la prochaine élection présidentielle qui, si rien ne change, sera au premier tour une répétition de 2002 - Sarkozy premier - Le Pen second. Ne serait-il pas temps d’oublier votre faux pas constitutionnel et de préparer un avenir aux Français excluant tant Sarkozy que Le Pen, quitte à vous effacer pour laisser la place à un candidat (ou à une candidate) de gauche crédible ?

Bien cordialement, J.H.

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