Lettre ouverte à Mikhail Gorbatchev
par
Publication : octobre 1985
Mise en ligne : 31 mars 2008
Certains penseront qu’il y a beaucoup de vanité,
de la part d’un simple citoyen français, de s’adresser directement
à un chef d’Etat. Mais, c’est précisément parce
que je ne suis qu’un humble inconnu sans titre, sans obligation diplomatique
et sans prétention à gouverner qu’il m’est possible d’exprimer
les craintes et les espoirs que se partagent mes compatriotes, sans
autre souci que celui d’être sincère en restant impartial.
Il est évident que, rompant avec ce à quoi nous étions
habitués, le fait qu’un homme jeune préside aujourd’hui
aux destinées de l’URSS ait été célébré
par la presse occidentale comme l’événement historique
de l’année 1985, n’est contesté par personne.
La question que se pose l’homme du peuple, incité en cela par
ses médias, est la réalité ou l’irréalité
d’une intention agressive du bloc soviétique contre l’Europe
occidentale.
Envahir l’Europe... Que viendriez-vous y faire ? Celle-ci ne vous procure-t-elle
pas déjà les technologies qui vous font défaut,
les céréales d’appoint nécessaires à vos
populations ? Une guerre ne vous apporterait qu’un surcroît d’efforts
inutiles, étant donné que vous n’avez pas besoin de ce
ballon d’oxygène pour maintenir des emplois ou d’un adjuvant
indispensable à relancer une économie de profits.
En outre, soyez assuré que, mis à part quelques fantoches,
les Français, dans leur immense majorité, n’ont aucune
raison ni envie d’engager un conflit contre le bloc soviétique
et que les seuls uniformes soviétiques qu’il nous est agréable
de voir et d’applaudir sont ceux des talentueux chanteurs composant
le « Choeur de l’Armée Rouge ».
Quant aux conflits que vous avez en permanence avec les USA, il vous
est facile de leur donner parfois une leçon sans avoir à
tirer un coup de fusil. Négociez du dollar à contre-temps,
cessez de leur acheter du blé, consacrez moins de crédits
à vos militaires et plus à vos chercheurs et dans peu
de temps ces fiers Yankees en rabattront. (Ce qui amuserait bien les
Européens).
Nos pays capitalistes se sont empêtrés dans une crise dont
on ne voit pas l’issue, parce que, de par leur nature, ils ne peuvent
sortir d’une économie de marché. Ceci nous oblige à
entretenir une « rareté artificielle » assurant le
profit d’une minorité, avec toutes les conséquences désastreuses
qui en découlent : chômage, austérité, destruction
de denrées, augmentation de la délinquance, étouffement
des initiatives non génératrices de profits, pollutions,
gaspillage et pour couronner le tout, course aux armements.
Autre question, tout aussi importante que la première. L’URSS
va-t-elle se décider à ouvrir la voie d’un changement
apte à faire entrer l’humanité dans le XXIe siècle ?
Autrement dit, êtes-vous déterminé à achever
cette révolution commencée en 1917 ? Cette révolution,
aspirant à satisfaire avec plus de justice les besoins de tous,
qui a tant fait rêver, pendant un demi-siècle, les prolétaires
du monde entier.
Ce changement consisterait à modifier les mécanismes économiques
et monétaires, donnant ainsi la capacité aux consommateurs
de profiter d’une production de plus en plus abondante réalisée
avec de moins en moins de travail humain.
Soyez assurés que le modèle que représenterait,
aux yeux du monde, cette nouvelle société soviétique
constituerait votre plus efficace protection.
Il ne tient qu’à vous, Mikail Gorbatchev, si vous savez vous
en donner les moyens, d’être, pour les générations
futures, le plus grand homme de cette fin de siècle.
Une voix parmi d’autres.