Manque d’imagination et désinformation

Bourgogne
par  J.-P. MON
Publication : octobre 1993
Mise en ligne : 27 avril 2008

Comme toutes les régions de France, d’Europe et du monde occidental [1], la Bourgogne est touchée par un chômage sans cesse croissant (mais, peut-être moins que d’autres provinces). Quoi qu’il en soit, et tout à fait dans leur rôle, les diverses collectivités territoriales, municipalités, département, région, et plus généralement tout ce qui a, ou qui croit avoir, un certain pouvoir économique (Chambre de commerce et d’industrie, Chambre agricole, Commission économique et sociale, syndicats…) s’ingénient à trouver des solutions pour maintenir, voire créer des emplois. Mais, en Bourgogne, comme partout ailleurs, l’imagination fait défaut. Les remèdes qu’on essaie de mettre en œuvre reposent sur des doctrines économiques conçues pour d’autres modes de production. Il est donc vain d’espérer qu’ils permettront de résoudre la crise, même à plus ou moins long terme.

 vieilles lunes et dérapages

C’est ainsi, par exemple, que le président du Conseil Régional, constatant que jamais dans son histoire, la Bourgogne n’a connu de crise aussi grave, propose un plan comportant cinq “clés” qu’un journaliste n’hésite pas à qualifier de Nouveau testament de la Bourgogne”. Ces cinq “clés” sont : l’adaptation au changement, la politique du développement, la politique du territoire, la politique du patrimoine et la politique de l’ouverture. Titres très généraux et prometteurs qu’on doit retrouver dans tous les plans régionaux mais qui, à l’examen, se révèlent totalement inefficaces. Citons pêle-mêle : éducation et formation, en lien avec l’emploi, ont un rôle capital dans l’aménagement du territoire et doivent aboutir à un “plan de réussite scolaire”. (Comme si ça n’était pas naturel !). Il faut développer le réseau de transfert technologique et aider l’agriculture et l’élevage à réaliser leur modernisation. (Bien sûr qu’il faut le faire, mais il faut aussi dire honnêtement que ça ne créera pas d’emplois, bien au contraire.) En ce qui concerne la recherche et les formations supérieures, le plan prévoit la croissance des pôles d’excellence de la recherche bourguignonne, l’accueil de grandes écoles… (Comme si tous les pôles de recherche n’étaient pas, par définition, excellents et comme s’il y avait de petites écoles !). Pour l’industrialisation il faut savoir anticiper les changements. Chaque ville doit être leader (Il n’y a donc que des premiers ! ) et pourtant il y a des villes de seconde zone puisque une politique doit être définie pour les villes d’appui avec le minimum vital d’équipements et services de proximité… (Pourquoi un minimum ?). Si on ajoute qu’il faut développer les transports ferroviaires et fluviaux et affirmer la présence de la Bourgogne en France, en Europe et dans le monde, vous saurez presque tout sur le plan de développement de la Bourgogne.

Mais, plus graves que ces banalités, il y a les dérapages auxquels s’abandonne J.L. Syren (Université de Bourgogne) dans son article intitulé “Le chômage d’abondance”. Pour nous, abondancistes, un tel titre ne pouvait que nous réjouir, mais tel n’est pas le cas de M.Syren qui s’étonne (il faut se pincer pour y croire, écrit-il) que le “gâteau national” ait augmenté de 60% depuis 1975 alors que le chômage faisait plus que tripler. Comme si ce n’était pas la conséquence prévisible et inéluctable du progrès scientifique et technologique !

Un peu plus loin, M.Syren nous ressort la tarte à la crème, l’exemple de l’Allemagne où les salaires sont les plus élevés du monde et où on fabrique des Mercedes avec des turcs…(mais eux ont l’apprentissage), quand chez nous on accède à bac +2, voire +4 pour être au chômage…tout ça parce que la formation ne garantit pas le professionnalisme qui est ce qui manque le plus. M.Syren n’a pas de chance : Mercedes va supprimer 8.400 emplois en 1993 et 14.000 en 1994, puis délocalisera une partie de sa production à l’extérieur de l’Allemagne pour bénéficier d’une main d’œuvre moins coûteuse. L’automobile n’est d’ailleurs pas un cas particulier : 230.000 emplois ont été supprimés en six mois dans la métallurgie allemande. En fait, toutes les branches d’activité sont touchées. A tel point que Der Spiegel, journal qui ne passe pas pour être particulièrment gauchiste, publiait récemment un article intitulé : "Des millions d’hommes sans perspectives", dans lequel il explique pourquoi l’effondrement de l’emploi — et donc du modèle allemand — oblige hommes politiques, employeurs et syndicats à modifier leur façon de penser le travail. A défaut, d’imagination, M. Syren devrait au moins informer ses lecteurs et non les désinformer !

Revenant à l’article de M. Syren, nul doute aussi que les cadres et ingénieurs, qu’on licencie en nombre croissant chaque jour, seront heureux d’apprendre que, selon lui, ils manquent de professionnalisme ! Le discours, hélas classique, que tient M. Syren est néfaste parce qu’il laisse espérer qu’on peut trouver des solutions au problème du chômage tout en restant dans le système économique que nous subissons.

 un phénomène mondial

Laisser croire que le chômage est un phénomène typiquement français, comme certains le proclament, et qu’il serait dû à l’inadaptation de notre système de formation n’est qu’une manipulation politique. Les suppressions d’emplois dans les entreprises de haute technologie touchent le monde industrialisé dans sa totalité : 90.000 chez IBM, 74.000 chez General Motors, 10.000 chez Kodak, pour ne citer que les plus importantes aux Etats-Unis ; au 65.000 à British Telecom ; 40.000 chez Daimler-Benz, en Allemagne ; 33.000 chez NTT, au Japon… Ces licenciements dans de grandes compagnies multi-nationales se répercutent chez leurs sous-traitants qui, à leur tour, suppriment des milliers d’emplois. Un très grand nombre de licenciés sont des ingénieurs appartenant à des sociétés travaillant dans pratiquement toutes les branches d’activité, allant de la recherche et du développement à la production et à la gestion. Tout cela contribue au ralentissement général de l’activité économique. Il ne faudrait pourtant pas en conclure que la reprise, qu’on attend comme l’Arlésienne, ramènera le plein emploi. Tous les économistes sérieux savent à présent que la croissance, si elle reprend, se fera sans création d’emplois. Le quatrième rapport mondial sur le développement humain (Programme des Nations Unies pour le Développement), publié en mai dernier, met en évidence le développement d’une croissance mondiale sans emploi : au niveau de la planète, la richesse totale a progressé de 56% entre 1975 et 1990 tandis que l’emploi ne grandissait que de 28% (moitié moins) et rien ne laisse supposer que cette tendance va s’inverser (voir ci-dessous). Le PNUD appelle en conséquence à une mutation en profondeur du temps de travail, passant par une semaine de quatre jours et l’interdiction des heures supplémentaires.

source : Desfosses

En fait, ce qui devrait étonner beaucoup plus M.Syren, c’est la surprenante hausse continue des principales Bourses mondiales qui accompagne la récession économique. N’y a-t-il pas là une contradiction fondamentale puisqu’on prétend que le comportement de la Bourse traduit fidèlement l’état de l’économie ? Est-il aussi tolérable qu’au nom de la sacro-sainte loi du marché, on laisse des spéculateurs (connus) mettre à mal les finances d’un grand pays comme la France, comme on l’a vu l’été dernier ?

 Il faut aller plus loin

Dans une époque où le rôle du travail doit être totalement repensé, je crois qu’on est mieux armé pour affronter l’avenir si l’on possède la formation et la culture générale les plus étendues possible, ne serait-ce que pour trouver un autre sens à la vie en société ! Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Le travail n’est plus une valeur. Au lieu de dépenser vainement leur énergie pour donner à tous des emplois salariés, les gouvernants devraient s’efforcer de valoriser d’autres formes d’activité afin de permettre à chacun de s’identifier socialement. C’est le seul vrai problème auquel doivent s’attaquer sans plus tarder les gouvernements des pays industrialisés. Le travail, dans l’acception qu’on lui donnait jusqu’ici, n’a plus de sens. Il en faut en effet de moins en moins pour produire de plus en plus de biens et de services. La machine économique est désormais capable de produire des richesses sans fournir d’emplois ! Pour que les gens puissent acquérir ces richesses, encore faut-il qu’ils disposent de revenus. Ces revenus étaient jusqu’ici principalement assurés par les salaires versés en échange d’un travail. Cet échange devenant maintenant de plus en plus difficile, il faut solvabiliser les gens autrement.

Quel que soit l’angle sous lequel on examine ce problème, on constate rapidement qu’il n’a de solution qu’en économie distributive [2]. Car enfin, puisque c’est désormais possible, n’est-il pas normal que tout individu qui vient au monde soit d’abord assuré d’avoir de quoi vivre ? Et qu’il ait ensuite la liberté de définir lui-même le niveau de vie qui lui convient, pourvu qu’il s’engage, en négociant son contrat civique, à fournir aux autres la part de son activité jugée adaptée à son projet et aux besoins de la région où il vit ?


[1La Californie du Sud, tant enviée pour ses entreprises “High Tech”, sa Silicon Valley et ses richesses agricoles, a un taux de chômage dépassant 13 % , bien supérieur au taux moyen des Etats-Unis !!

[2Le résumé, très succinct, s’en trouve en pages 15 et 16 ci-dessous.


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