Mots et maux


par  A. PRIME
Publication : octobre 1996
Mise en ligne : 11 août 2008

« La France souffre d’une maladie de langueur » diagnostiquait le Docteur Balladur dans Le Monde du 28 août…

  Sommaire  

Balladur semble oublier que le mal est planétaire. Sous la houlette de l’économie de marché, d’un libéralisme qui réclame toujours plus de déréglementation, la mondialisation des facteurs économiques, depuis l’écroulement du communisme en est la cause principale. En tête, la mondialisation financière et spéculative dont les transactions représentent 90 fois [1]celles du commerce ; puis vient la mondialisation industrielle et commerciale, en marche vers une concentration jamais vue. Un exemple : la Compagnie Générale des Eaux compte plus de 2500 filiales dans des domaines les plus inattendus.

Cette concentration conduit à une concurrence forcenée et, au niveau mondial, un groupe trouve toujours en face de lui un autre groupe qui veut aussi augmenter ses "parts de marché". Ainsi, actuellement la bataille fait rage autour des nouveaux moyens de communication. Malheureusement, sur le plan social, cela conduit à la catastrophe. Depuis quelques années, l’antienne d’accompagnement de la mondialisation est « Le coût du travail est trop élevé : il faut le réduire ». Cela se traduit, notamment dans les pays les plus industrialisés - ceux du G7 et quelques autres - par :

1. Le blocage, voire la baisse des salaires : l’énorme volant de chômeurs a modifié radicalement les rapports de force patrons-salariés.

2. Les licenciements. En ce qui concerne la France, on a annoncé 60.000 licenciements programmés d’ici la fin de l’année (Le Parisien du 28 août en a donné le détail) ; mais on estime à 100.000 les licenciements probables.

Au Congrès de Bruxelles de la Confédération Internationale des Syndicats Libres en juin, son Secrétaire général, le britannique B.Jordan, a bien résumé la situation qui prévaut dans le monde entier « L’ère du marché mondial a commencé [...] Le syndicalisme et les valeurs qu’il incarne n’ont plus de place dans les plans de ceux qui commandent cette révolution économique. Sans aucune compassion ni conscience, ils façonnent un monde où l’on attend que les personnes soient au service du marché et non l’inverse […]. Ce congrès doit envoyer un message clair aux exploiteurs et aux exploités. La contre-offensive a commencé . »

 

Et voilà qu’au bout du compte, un nouveau mal apparaît : la déflation. Le mot n’est pas nouveau [2], mais le mal qui en découle en cette fin de siècle l’est, paraît-il. Deux éminents auteurs ont d’abondance livré leur pensée sur le sujet dans Le Monde : J-P Fitoussi, directeur de l’OFCE (29/8) et A.Madelin (30/8).

J-P Fitoussi écrit : « Des processus objectivement déflationnistes sont à l’œuvre. Partout en Europe la part des salaires dans le revenu national a considérablement baissé, en dessous de son niveau des années 60. La dynamique du chômage de masse étant toujours présente, ce que jadis on appelait la loi d’airain des salaires continue d’œuvrer pour que cette baisse se poursuive. C’est donc à reculons que se fait aujourd’hui la course prix-salaires… La globalisation des marchés financiers, en modifiant les rapports de force au profit des détenteurs de capitaux qui n’ont aucun intérêt à l’inflation, rend structurellement improbable le retour de la hausse des prix. La mondialisation des échanges intensifie partout la concurrence, au point que la baisse des prix devient l’éventualité la plus probable et la possibilité d’une baisse des salaires de plus en plus sérieuse. Que les nouvelles soient alors mauvaises ne doit guère étonner : les prévisions de croissance sont toujours révisées à la baisse, la décrue du chômage sans cesse reportée à un avenir plus lointain. La société désespère, et les appels au retour de la confiance ne peuvent rien y faire ; la baisse de la valeur des patrimoines, le chômage de masse, la précarisation du travail, la dégradation sociale des classes moyennes, l’absence de perspectives salariales, sont autant de facteurs objectifs qui constituent la réalité quotidienne des populations ».

En ce qui concerne les chances de la politique menée actuellement, voici le diagnostic de Fitoussi : « La réduction des dettes et déficits publics en une période où apparaissent des tensions déflationnistes réelles est une opération éminemment complexe. Faible croissance, augmentation du taux d’épargne et baisse de nombreux prix tarissent les recettes fiscales et font spontanément augmenter le déficit. L’effort de restriction doit être rude pour compenser cette tendance spontanée. Le danger est alors qu’il vienne aggraver les tensions déflationnistes existantes ».

Que propose Fitoussi ? Si l’analyse comporte plus de quatre longues colonnes, les propositions n’en tiennent qu’une demie. « Une politique monétaire expansionniste est à l’évidence indispensable, comme le serait toute mesure qui permet d’accroître le revenu disponible des ménages : baisse de l’impôt sur le revenu, certes, mais aussi baisse des cotisations sociales salariées pour que chacun puisse bénéficier d’une augmentation de pouvoir d’achat ». On aura bien noté « cotisations sociales salariées » et non patronales comme le fait le gouvernement Juppé.

Cela nous semble un peu court… surtout de la part d’un économiste distingué, de surcroît professeur à l’Institut d’Études politiques de Paris. Toujours un déficit de vision globale, la plus simple… En résumé, ces réflexions confortent nos analyses. De par le jeu de la concurrence en régime ultra libéral, dans un contexte mondial, il n’y a plus de partage des gains de productivité comme au temps des “Trente Glorieuses”. Dès lors, s’obstiner à vendre des produits plus nombreux, alors que la masse des salaires se réduit de plus en plus, aboutit à la phase ultime et logique : la déflation, l’impasse.

Voyons maintenant la pensée de Madelin : « Ce nouveau contexte déflationniste constitue une tendance lourde de l’économie. C’est d’ailleurs ce que confirme le dernier rapport de la Banque des règlements internationaux qui évoque, pour la première fois explicitement, un risque de déflation pesant sur l’ensemble du monde industrialisé ». Madelin cite comme causes « la mondialisation des marchés financiers… l’apparition des nouvelles technologies…Nous sommes engagés dans une période extrêmement difficile et dangereuse sur le plan économique et social…Cette transition s’accompagne de comportements attentistes propices à la léthargie économique et au pessimisme ». Et plus loin :« Pour faire face à leur endettement, les agents économiques n’ont d’autre porte de sortie que de comprimer les investissements et la masse salariale. Lorsqu’on ne peut baisser les salaires, ce sont des salariés qu’on licencie. Le chômage gagne, les dépôts de bilan se multiplient, le tissu industriel, particulièrement celui des PME, se déchire ». De même les monnaies surévaluées accentuent leur pression déflationniste « Il en résulte que si demain l’euro devait être une monnaie surévaluée par rapport au dollar avec des taux d’intérêt trop élevés, nous risquons de faire de la future zone euro une zone de déflation-dépression économique de nature à conduire à l’explosion sociale et à l’implosion européenne ». Il poursuit :« L’État se trouve lui aussi dans la position d’un agent économique surendetté dont les recettes ne cessent de baisser. La faible croissance, la faible progression des revenus, l’augmentation de l’épargne, les provisions pour pertes, la baisse des prix (en tenant compte des rabais, des soldes et des promotions de toutes sortes) en sont la cause directe. Il faut donc réduire les dépenses, couper dans les budgets, ce qui, en l’absence de mesures très fortes stimulant la croissance et en raison d’une politique monétaire restrictive, entraîne des effets dépressifs à court terme. Le piège se referme sur les finances publiques. Résultat : un an après, malgré les efforts demandés aux Français, on se retrouve avec le même niveau de déficits ».

Conclusion : « L’ascenseur social est en panne ».

Mais que propose Madelin, après avoir constaté que « ce n’est pas la consommation, mais l’offre créatrice qui fait naître le pouvoir d’achat et l’emploi ? ». Il faut rejeter « les fausses bonnes idées comme le partage du travail. Amplifions le mouvement de déréglementation, de privatisations, etc. »

Il ne fallait pas s’attendre à ce que Madelin, cet ex-Occident, cet ultra-libéral, fasse dans le social et préconise, pour sortir de la crise, autre chose que des mesures favorisant le capitalisme. Retenons simplement sa crainte d’explosion sociale qui pourrait être l’aboutissement de la “logique” capitaliste.

 

En France, tout le monde, y compris Notat, la “traîtresse” de novembre-décembre 1995, s’attend à un automne chaud. S’il n’était que revendicatif et catégoriel comme l’an dernier, il ne poserait pas les vrais problèmes, le vrai problème : celui du régime. Même le maillon que représentait il y a quelque temps, le partage du temps de travail, semble avoir perdu de sa force et de son actualité. Alain Minc fustige « L’ensemble des responsables publics qui se réfugient derrière le mythe de la réduction de la durée du travail ».

Que de chemin à parcourir !

La pensée de Gramsci est encore plus vraie aujourd’hui qu’au moment où il l’a émise : « L’ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour : dans cet interrègne surgissent les monstres ».


[1Ce chiffre est une moyenne relative à l’année 1992 et a été explicité dans notre n° 955, page 12.

[2Il ne faut pas confondre déflation et désinflation. Celle-ci est une simple diminution de l’inflation. La déflation est une baisse générale des prix, des revenus de la production.


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