Nous enrichir, disent-ils...


par  J.-P. MON
Mise en ligne : 14 février 2007

Ainsi préparé à ne pas penser, l’esprit de l’électeur est donc “disponible” pour béer d’admiration devant ce qui est proposé comme “programme économique”. Jean-Pierre Mon préfère regarder de plus près celui que présente, dans un impressionnant tintamarre, le candidat de … l’U.M(édef).P. :

« Il faut que les Français en aient pour leur argent »

C’est le titre de la Une du Monde du 23 janvier, introduisant l’entretien que le candidat Sarkozy a accordé à ce quotidien.

Florilège : « La priorité des priorités est de revaloriser le travail. La crise morale française porte un nom : c’est la crise du travail. C’est lui qui est créateur d’emplois, et pas le partage du travail. Le travail crée le travail. Il faut donc récompenser le travail, créer de l’activité, favoriser la croissance. Et ce sont les réformes qui feront la croissance, pas les économies budgétaires […] Pourquoi avons-nous, depuis quinze ans, un taux de croissance inférieur de 1% à celui des meilleurs des pays libres [1] ? Parce que les salaires sont trop bas, les charges trop lourdes, la pression fiscale trop élevée. Les 35 heures ont servi de prétexte à la rigueur salariale et creusé le déficit de l’État. 17 milliards d’euros, sur les 22 milliards d’euros d’allègements de charges, servent à les payer ».

Pour sortir la France de ce marasme, le ministre-candidat propose tout simplement « une véritable révolution économique » qui consiste à ramener les prélèvements obligatoires français au niveau de ceux de la moyenne de l’Union européenne à 15. « On peut donner aux Français des prestations meilleures en dépensant moins. Si on réduit de 4 % nos prélèvements obligatoires, on rend 68 milliards d’euros aux Français : 2.000 euros rendus aux Français par foyer et par an, y compris les retraités et 4.900 euros par foyer si l’on s’en tient à la France qui travaille ». Sarkozy prétend atteindre cet objectif en réduisant la fiscalité qui pèse sur le travail : tout le monde y trouverait son compte, y compris l’État car « lorsque les salariés ont plus de pouvoir d’achat, ils consomment davantage et les recettes de TVA augmentent ».

Glanées aussi, ces propositions révolutionnaires : réduire l’emploi dans la fonction publique en ne remplaçant qu’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ; en matière de santé, responsabiliser les patients et instaurer une franchise modeste par famille sur les premiers euros de dépenses annuelles en consultations médicales ou en examens biologiques ; ne fixer aucune limite pour l’âge de la retraite, etc. Mais où se cache donc la “révolution tranquille” dans tout ce fatras de mesures ultralibérales puisées dans la panoplie des économistes du XVIIIe siècle ?

En fait, cette droite n’étant pas bien sûre que les Français se laisseront convaincre par le candidat Sarkozy, elle a, sans tardé, cherché des cautions moins sulfureuses, présentées comme apolitiques parce que venant de la société civile, des “forces vives” du pays.

Où ? Vous avez trouvé : au Medef [2].

 Et enfonçons le clou

Deux jours après l’interview de Sarkozy au Monde, le Medef tenait au Palais des Sports de Bercy une Assemblée générale extraordinaire [3] qui a réuni plus de 6.000 entrepreneurs. Sa présidente Laurence Parisot y a dévoilé Besoin d’air. Ce Livre blanc des entrepreneurs présente leur projet de société, dont l’objectif principal est « d’augmenter la richesse de tous les Français ». Comme Sarko !

Ce projet s’articule autour de trois grands thèmes : prospérité, liberté, responsabilité, pour l’avenir des entreprises (il ne faut quand même pas s’oublier) et pour l’avenir de la France. Dans son discours Laurence Parisot attaqua d’entrée : « Il n’y a pas d’autre pays au monde où le fardeau des prélèvements obligatoires sur les entreprises est aussi élevé […] Il faut que les entreprises puissent respirer, aient un peu plus d’air ».

Rêvons un peu avec la présidente : « Avoir en France un taux de chômage inférieur à 5 % et une croissance de 3 ou 4 %, c’est possible. Pendant très longtemps, nous n’avons pas été capables d’accrocher les 3 % et encore moins 4 % de croissance, alors que je pense qu’ils sont atteignables, de même qu’est tout à fait atteignable un objectif de plein emploi ». Un peu plus loin dans son discours, la patronne des patrons s’étonne « qu’on parle si peu du chômage » [4] dans la campagne présidentielle, mais, ajoute-t-elle, « j’apprécie beaucoup que trois des principaux candidats à la présidentielle cherchent à revaloriser le travail ». Mais, « la chose qui serait vraiment utile, c’est de supprimer en France le concept de durée légale du travail et de permettre aux partenaires sociaux de négocier branche par branche, entreprise par entreprise la durée du travail qui est optimum » [5].

En ce qui concerne marché du travail, elle propose la création d’un “contrat de mission”, intermédiaire entre le CDD et le CDI, ou bien l’instauration d’un nouveau type de divorce entre l’employé et l’employeur : “la séparabilité à l’amiable” et de modifier les règles du Smic pour qu’il soit fixé par une commission indépendante et non par le gouvernement.

Allait-elle oublier l’essentiel : la fiscalité ? Bien sûr que non ! Elle l’avait réservée pour la bonne bouche. Elle estime que le dispositif d’aides publiques aux entreprises [6], qui aurait avoisiné 65 milliards d’euros en 2005, est un « système de rustines ». En effet, « les entreprises versent à l’État plus de 280 milliards en prélèvements obligatoires de toutes sortes et sur ces 65 milliards, 20 milliards sont mis de côté pour les 35 heures ». C’est « un dédommagement du préjudice que les entreprises et le monde du travail ont subi avec les 35 heures […] il reste 40 milliards, dont des choses qui ne sont certainement pas des aides directes mais des prêts, des cautions ».

Elle a ensuite comparé les prélèvements qui pèsent sur les entreprises françaises et sur « les entreprises anglaises qui ne versent que 120 milliards ». « Tout cela veut dire qu’il faut réformer profondément notre fiscalité et notre système de protection sociale », a-t-elle conclu. Dans un entretien aux Échos, ce même jour, L. Parisot avait même déclaré qu’elle « souhaite voir figurer dans la Constitution le droit à une fiscalité non confiscatoire, non rétroactive et non cumulative » et elle conseille, tout comme Sarkozy, « d’exonérer d‘ISF les sommes investies par des particuliers dans les PME ».

On l’aura compris Sarkozy-patronat même combat. Cela ne surprendra que les gogos. Il doit en rester quelques uns puisque, après avoir présenté Besoin d’air, programme pour la France (!!!) pour les dix années à venir, la présidente du Medef a cru bon d’ajouter : « Nous souhaitons que les Français achètent notre livre et comprennent notre pensée ».

Nous pensons l’avoir si bien comprise qu’il est utile de rappeler quelques réalités à ces braves gens qui ne pensent, disent-ils, qu’à nous enrichir …

 Et la réalité

Depuis plus de trente ans, dans les pays industrialisés, le chômage augmente inexorablement. C’est la conséquence logique du progrès technologique, accaparé par le pouvoir financier alors qu’il devrait être partagé entre tous. C’est un constat que ne veulent faire ni les partis de droite ni les partis de gauche, pour qui la seule solution au problème du chômage ne peut être que la croissance. L’Ump-Medef (et beaucoup d’autres…) voudrait nous convaincre qu’il s’agit d’un problème typiquement français, dù au fait que nos concitoyens ne travaillent pas assez. Haro sur cette catastrophe économique que constituent les 35 heures ! La gauche, elle, pencherait plutôt pour la flex-sécurité en honneur dans les pays scandinaves. Nous en avons souvent parlé [7]. Cela pourrait être effectivement une bonne solution en y mettant le prix et en l’associant à une forte réduction du temps de travail. Or que constatons-nous dans ces pays nordiques dès que des élections amènent au pouvoir un gouvernement de droite, voire une coalition droite-gauche ? Que la flexsécurité est immédiatement remise en cause. Aux Pays-Bas, par exemple, les Chrétiens-démocrates ont commencé à “réformer” des pans entiers de l’État providence : réduction de plus d’un tiers de la durée d’indemnisation du chômage, durcissement d’octroi des minima sociaux, des pensions d’invalidité, suppression des aides à la retraite anticipée. « Comment remettre les gens au travail ? Voilà ce qui a guidé nos actions », explique le ministre des Affaires sociales. Le prochain objectif du gouvernement est d’éliminer les obstacles à l’emploi après 65 ans. Les Suédois se sont engagés dans la même voie.

Remarquons encore que si l’on étudie les statistiques sur l’emploi publiées régulièrement par Eurostat, on s’aperçoit que les pays qui affichent les taux de chômage les plus faibles sont aussi ceux dans lesquels le travail à temps partiel est le plus élevé. Ceci explique en partie cela. Ajoutons aussi que la productivité des travailleurs français est la plus élevée au monde, cela compte, il ne faut pas l’oublier.

Mais puisque nous vivons dans une économie mondialisée, intéressons-nous à ce qui se passe sur l’ensemble de la planète. Dans son rapport annuel [8], publié le 24 janvier, le Bureau International du Travail s’inquiétait de ce que, en 2006, malgré une progression du produit intérieur brut mondial estimée à 4,9 %, le taux de chômage soit resté pratiquement inchangé (à 6,3 %) par rapport à 2005. Il y a encore 195,2 millions de demandeurs d’emplois à travers le monde et les travailleurs pauvres (1,37 milliard de personnes qui survivent avec l’équivalent de 2 dollars par jour) ont très peu bénéficié de la croissance. « Dix ans de forte croissance n’ont eu qu’un très léger impact, et dans une petite poignée de pays seulement, sur le nombre de travailleurs qui vivent dans la misère avec leur famille », a déclaré Juan Somavia le directeur du BIT. Le rapport n’est guère plus optimiste pour l’avenir : « Quand bien même cette forte croissance devrait perdurer en 2007, de sérieuses inquiétudes demeurent quant aux perspectives de création d’emplois décents et de réduction du nombre de travailleurs pauvres ». Les analystes du BIT pensent que c’est la place prépondérante prise par le tertiaire [9] qui se répercute sur les emplois. Pour réduire le nombre de chômeurs et de travailleurs pauvres, le BIT insiste sur la nécessité de créer des emplois “décents et productifs”. Ce qui en toute logique devrait amener à une réduction du temps de travail. Constatant que durant les dix dernières années, la croissance économique s’est surtout traduite par des gains de productivité qui ont crù de 26 % alors que le nombre d’emplois dans le monde n’augmentait que de 16,6 %, le rapport du BIT conclut qu’« une telle tendance n’est pas forcément menaçante pour les travailleurs si la hausse de la productivité entraîne celle des revenus, ce qui n’est pas toujours le cas ».

Le combat social reste donc, plus que jamais, d’actualité, et dans tous les pays du monde !


[1L’Allemagne ne doit donc pas être un de ces pays puisque depuis plusieurs années son taux de croissance reste très inférieur à celui de la France, comme le montrent toutes les statistiques européennes.

[2Mouvement des entreprises de France, le syndicat des entrepreneurs.

[3Vous pouvez en admirer la video sur le site du Medef.

[4La réponse vient d’être connue : l’INSEE a décidé de reporter la publication des statistiques sur le chômage à… après les élections. Mais pourquoi donc ?

[5Sa grammaire est un peu approximative, mais on comprend quand même bien ce qu’elle veut dire !

[6Le rapport des inspections des Finances, des Affaires sociales et de l’Administration précise que cette somme correspond à 4% de la richesse nationale.

[7Voir par exemple GR 1072.

[8Mme Parisot et M. Sarkozy travaillent trop et n’ont pas le temps de lire de tels rapports.

[9Selon le BIT, pour la première fois, la part du secteur des services dans l’emploi mondial est passée à 40%, devant le secteur agricole (38,7%) et l’industrie (23,3%).


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