OPA sur la France

LECTURES
par  M.-L. DUBOIN
Mise en ligne : 2 décembre 2005

Depuis une vingtaine d’années, les gouvernements chargés de gérer la France, gauche et droite confondues, exercent sur elle une gigantesque “offre publique d’achat”. Ceci n’est ni “un scoop”, ni une opinion ou seulement un sentiment, c’est la constatation d’un fait, effectuée en quelque trois mille cinqcents heures de travail pendant cinq années, par quelqu’un d’éminemment compétent, puisqu’il s’agit d’un commissaire aux comptes, fiscaliste international et historien, et même lauréat du Conseil supérieur de l’Ordre national des experts-comptables. C’est la synthèse de 180.000 articles de presse économique et financière que JEAN ROUX vient de publier en moins de 300 pages sous le titre “La grande braderie du patrimoine public des Français” [1].

Qu’on ne s’imagine surtout pas que ce livre est illisible sous prétexte qu’il est écrit par quelqu’un qui a l’habitude de manier les chiffres. Les chiffres ne sont là que pour prouver que rien n’est inventé. Car le style est très clair et l’exposé bien mené.

L’objectif de Jean Roux est de faire l’estimation aussi complète que possible de ce dont la France pourrait disposer si elle avait été gérée “en bon père de famille”, ses gouvernements lui ayant conservé tout son patrimoine et maintenu la dette de l’Etat à son niveau de 1986.

D’abord, nous posséderions encore les entreprises productives du secteur public. Pour pousuivre les nationalisations de la Libération, la gauche entreprit en 1981 de développer ce secteur, puis y renonça. Sa dénationalisation a commencé avec le retour de la droite en 1986 et s’est poursuivie pendant 20 ans. Quand elle sera achevée, en 2007, nous ne produirons plus rien. Les entreprises productrices ont été liquidées, souvent en les bradant, et parfois après avoir été presque acculées à la faillite (Jean Roux rappelle au passage le scandale du Crédit Lyonnais qui a coûté 30 milliards d’euros aux contribuables français, et le comportement des ministres des finances dans l’affaire Executive Life qui va leur coûter 1,7 milliard de plus). Le produit de ces ventes entre 1986 et fin 2004 est environ de 110 milliards d’euros (actualisés à fin 2007), dont 60 quand la droite était aux affaires et 50 sous la gauche. Le produit de celles de 2005 et de celles qui sont programmées pour 2006-2007 est évalué à 140 milliards d’euros. Elles auront donc rapporté 250 milliards. Il faudrait en plus réactualiser ces sommes pour tenir compte de l’augmentation boursière depuis 1986 des anciennes sociétés nationales (par exemple, Total, bradé en 1992, représente une capitalisation boursière de 125 milliards en 2005 et son bénéfice net a approché 6 milliards au premier semestre). Où est passé le produit de la liquidation de ces centaines de sociétés ? Gaspillé !

Gaspillées aussi les sommes que ces sociétés nationales ou ex-nationales (France Télécom, EDF, Vivendi, etc.) avaient mises dans des opérations “à l’internationale” sous prétexte de s’ouvrir de nouveaux marchés, et qui ont été des fiascos. Ces pertes “commerciales” sont évaluées à 120 milliards d’euros (dont 70 par France Télécom).

Nous ne possèderons plus non plus ni les immeubles ni les terrains de ces entreprises. Dilapidés, les 1.181 immeubles de France Télécom, les 30.000 logements d’EDF, les 140.000 m2 de 15 bureaux et centres de tri de la Poste, le siège social et les bureaux parisiens de la SNCF, les 100.000 m2 de Suez ou encore les 60.000 m2 parisiens (dont 12.500 place Vendôme) du Crédit foncier de France vendus à un groupe du Qatar.

Jean Roux dévoile les techniques financières et fiscales qui sont mises en œuvre pour déposséder les peuples, et comment externalisations, titrisations et “achats à effet de levier” (LBO pour les initiés) facilitent l’acquisition par les fonds spéculatifs.

Notre Commissaire aux comptes explique par exemple qu’une loi affirmait que le domaine public est inaliénable, c’est-à-dire que les biens appartenant directement à l’État (et l’État, c’est nous) ne pouvaient pas être vendus. Eh bien cette loi a été discrétement abrogée le 11 décembre 2001, et du coup, la braderie des 5.000 immeubles de la Poste aurait déjà commencé. Une autre loi stipulait que les locaux administratifs, s’ils étaient “déclassés”, c’est-à-dire s’ils cessaient d’être utilisés par l’administration, devaient être réinvestis en logements. Non seulement cette obligation a été supprimée, mais pour accélérer la vente de ces locaux par blocs entiers (ce qui en diminue le prix) Sarkozy a fait passer au Conseil des ministres du 19 août 2004 une ordonnance qui permet même de les vendre sans avoir à les “déclasser”, cette “vente spéculative à la découpe” permet de sérieux profits aux fonds de pension (américains) acquéreurs.

Une première Mission ministérielle avait été créée en 1987 pour vendre les actifs du Ministère de la défense. Les recettes de la vente de 2.500 casernes devaient être affectées « au désendettement de l’État et aux retraites ». Ont été vendus en outre l’hôtel Rohan-Chabot de Poitiers, le château de Mercy, sans oublier sémaphores, aérodromes et camps militaires. Est prévue ensuite la vente des gares parisiennes et des 40.000 logements de la Gendarmerie nationale, et même des biens immobiliers des ambassades de France à l’étranger.

Une autre Mission ministérielle a été mise en place en novembre 2004 pour organiser la vente du patrimoine immobilier des ministères. La première liste concernait des immeubles bien situés, au centre de Paris, qui seront massivement achetés par des capitaux étrangers. Dans la braderie en cours, Jean Roux cite les principaux immeubles des Douanes, du CEA, de l’ENA de Paris, les hôpitaux Laennec, Broussais et Saint-Vincent-de-Paul.

Or la valeur de tout cet immobilier public (des entreprises productives, des administrations et militaires) a progressé de 60 à 70% depuis 1998, l’État (et c’est nous) aurait donc profité du doublement de la valeur de ces biens s’ils n’avaient pas été cédés à des fonds d’investissements étrangers.

Et en outre, si notre patrimoine historique et artistique n’est pas vendu, il est si mal entretenu, et il souffre de tant de vols et de pillages qui pourraient être évités, qu’il se dégrade irrémédiablement et à vive allure.

Jean Roux arrive ainsi à chiffrer les actifs dont les Français devraient être propriétaires indivis, en 2007, s’ils n’en avaient pas été frustrés par leurs gouvernements, « autour de 500 milliards d’euros, voire 600. » Il faut rapprocher ce chiffre de notre dette publique. Elle était de 180 milliards d’euros en 1984, elle approche aujourd’hui les 1.070 milliards d’euros. De sorte que malgré la vente de tous nos “bijoux de famille” notre dette aura été multipliée par 6 ou 7.

Grâce à ce travail d’expert-comptable il suffit donc de quelques heures à tout lecteur, et en particulier à tout responsable politique, pour comprendre que le dérapage de nos finances progresse depuis vingt ans à une cadence annuelle supérieure de moitié à celle qui entraîna la faillite de la République Argentine en 2001. La France sera, en 2007, dans la situation d’une entreprise privée dont le passif serait égal à 80% de son chiffre d’affaires et dont les engagements non provisionnés correspondraient à 50% de ce chiffre ! Ainsi, en 2010, nos budgets publics et sociaux seront en état de cessation de paiement ou, selon les critères du droit commercial, en état de banqueroute frauduleuse.

Cette dépossession des peuples au profit des grands groupes financiers de la planète (en majorité, américains) est un phénomène mondial. Il est urgent d’en prendre conscience. Jean Roux propose pour cela que soit enfin mise en place une véritable comptabilité nationale, capable d’évaluer le patrimoine et de contrôler en permanence la façon dont il est géré.


[1chez l’éditeur : F-X de Guilbert, 3 rue J-F Gerbillon, 75006, Paris adresse internet : www.fxguilbert.com.


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