Ouvrez donc les yeux !!


par  M.-L. DUBOIN
Publication : juillet 2004
Mise en ligne : 18 janvier 2006

Le quotidien londonien “The Gardian” publiait récemment un article traduit par Courrier international sous le titre « Pourquoi les gains de productivité menacent la croissance ». L’auteur, Jeremy Rifkin, que la Grande Relève a souvent cité [1] y revient sur un sujet qui est à la base de nos analyses et propositions. Mais il apporte, dans cet article, de nouveaux chiffres qu’il est bon d’avoir en mémoire, tant ils sont éloquents.

 Chute des emplois dans l’industrie

Les premiers concernent la diminution des emplois dans l’industrie depuis 1998 : 12 % aux Etats-Unis, 14 % au Royaume-Uni, alors même que la croissance de la production dans ce secteur y est très forte depuis quatre ans.

Il ne s’agit pas de délocalisations vers les pays dits émergents, comme le prouve l’exemple de la Chine : entre 1995 et 2002 l’industrie chinoise a perdu plus de 15 millions d’emplois (soit 15 %) alors qu’elle exporte de plus en plus. Et si on prend les résultats mondiaux, au cours des vingt dernières années, la production industrielle a augmenté de 30 % et “liquidé” 31 millions d’emplois...

Si ce rythme ne fait que se poursuivre, on peut dire que la fin de l’ère du travail en usine est pour 2040. Mais on prévoit qu’il va plutôt s’accélérer.

Quand on évoque ces faits, il se trouve toujours quelqu’un pour vous dire qu’il s’agit d’un glissement des emplois vers un autre secteur. Et pour faire savant, certains vous citent même les “cycles de Kondratieff” en affirmant que les nouvelles technologies, quand elles apparaissent, suppriment effectivement des emplois, mais seulement pendant une période creuse, toujours suivie par une reprise quand les travailleurs évincés se sont recyclés pour s’adapter aux nouvelles technologies.

Cette conviction ne vaut plus rien. Si les paysans chassés de leurs champs ont, au siècle dernier, trouvé des postes à l’usine, leurs descendants, inutiles désormais dans l’industrie, n’en trouveront plus dans le secteur des services.

 Chute des emplois dans les services

J. Rifkin donne deux exemples chiffrés.

Le premier concerne l’utilisation d’internet. Il cite une banque américaine qui employait 2.000 employés pour gérer ses dépôts. Depuis qu’elle utilise la “toile” elle n’a plus besoin que de 180 personnes pour accomplir les mêmes tâches.

Le second exemple est celui de la reconnaissance vocale. Comme on sait que beaucoup de centres d’appels et autres opérateurs (les réservations des compagnies aériennes entre autres) emploient en Inde un personnel compétent et bien meilleur marché qu’en Occident, on pourrait, là aussi, en déduire qu’il n’y a pas suppression d’emplois mais délocalisations. La vérité est que le nombre de celles-ci est insignifiant en regard des suppressions. Et J. Rifkin cite l’opérateur téléphonique Sprint : en remplaçant ses employés par l’utilisation de la technique de reconnaissance vocale, il a augmenté son chiffre d’affaires de 4,3 % tout en diminuant ses effectifs de... 11.500 personnes.

 La conclusion à tirer

Il n’y a là aucun mystère et contrairement à nos économistes patentés mais bornés, il n’y a pas lieu de s’étonner si la reprise américaine actuelle (et pour elle, merci aux guerres de G.W. Bush) se fait sans création conséquente d’emplois : au troisième trimestre de 2003 les gains de productivité y ont atteint un record, 9,5 %, les plus forts depuis la fin de la seconde guerre mondiale !

« L’économie de marché porte en elle ses propres limites » en conclut Jeremy Rifkin. Quand quelque soixante ans plus tôt, Jacques Duboin voyait déjà venir cette fin, c’était peut-être moins évident parce que, s’il avait sous les yeux les destructions de vivres, la course aux armements et des automatisations dont il était seul à voir la portée, il n’avait pas les données actuelles sur lesquelles s’appuie Rifkin. Mais avec celles-ci, comment peut-on encore promettre que la “reprise”, qui (paraît-il) arrive, va résoudre le problème du chômage, et donc celui de la misère ?

Quand les gouvernements tentent de leurrer ainsi l’opinion pour faire avaler la pilule des réformes des retraites et de la sécurité sociale, on peut y trouver une certaine logique : celle de leurs amis gros actionnaires dans les assurances ou les sociétés pharmaceutiques. Mais par contre, quand ce sont les syndicats ou des partis qui se veulent “sociaux”, et qu’ils épuisent leurs forces à réclamer des emplois qui disparaissent de façon inéluctable, il est évident qu’ils se fourvoient. Pourquoi n’ouvrent-ils pas plus les yeux que les économistes dans l’abbaye de Sainte-Economie [2] ? Pourquoi réclamer toujours un salaire proportionnel à l’avoir produit, et refuser, a priori, l’idée de percevoir un revenu pour être ?


[1Voir, en particulier, le numéro spécial GR 972, de décembre 1997 intitulé “La fin de quel travail ?”

[2Allusion a une scène particulièrement drôle du livre de Jacques Duboin intitulé “Kou, l’ahuri, ou la misère dans l’abondance”, publié en 1934 ... et mis en scène au théâtre belge en 1996.


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