Pour l’avenir du rail


par  C. RAJAIN
Publication : avril 2016
Mise en ligne : 25 juin 2016

Au lendemain de la COP21, un collectif des régions du Nord-Est de la France (Alsace, Lorraine, Champagne-Ardenne…) dénonce les fermetures de lignes ferroviaires régionales et l’aménagement du territoire qui menacent l’avenir du rail, pourtant reconnu bien moins pollueur que la route. Voici des extraits de leur cri d’alarme :

Depuis un certain temps, les “régions reculées”, qui sont victimes de la destruction de leur tissu industriel, artisanal et commercial (Argonne, Massif Central, vallée de la Marne etc.) se désertifient en faveur des grands centres. Les conséquences sont considérables : fermeture des services publics (Poste, hôpitaux, collèges et lycées, etc.), déshérence et raréfaction démographique et donc montée du vote frontiste [1]. Alors la SNCF se prétend obligée de fermer ses lignes, puisque le trafic (voyageurs et fret) s’y amenuise fortement…

Le toujours Secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et la pêche, Alain Vidalies, avait reçu, le 26 mai 2015, le rapport de la Commission sur l’Avenir des Trains d’Equilibre du Territoire (TET), présidée par le député Philippe Duron qui allait tout à fait dans ce sens : il proposait la fermeture de centaines de kilomètres de lignes (TET et TER= Transport Express Régional).

 Les causes

Analysons d’abord les causes du déclin du rail en France. Elles sont multiples : la désertification industrielle a entraîné la disparition de nombreux gros transporteurs (sidérurgie, mines, industrie lourde, etc…) soit une baisse de 42 % en tonnes/km pour le rail. La crise financière, depuis 2008, n’a fait qu’accélérer le déclin. On observe que 90 % du fret passe par la route, et que l’ouverture à la concurrence du service fret et l’irruption des trains privés n’ont pas fait diminuer significativement ce pourcentage.

Cet effondrement n’est pas seulement lié à des raisons conjoncturelles, il résulte de choix économiques et politiques. Donnons des exemples. En Champagne-Ardenne, on estime à plus de 43.000 le nombre de camions supplémentaires sur les routes par suite de la fermeture des dessertes qui, depuis des décennies, n’ont pas été correctement entretenues. Le “wagon isolé” était, pour les entreprises raccordées au réseau, une activité sur mesure, pour des quantités limitées ; sa suppression a mis ces entreprises dans l’obligation de fournir des trains entiers… ce qui est préjudiciable au service fret parce que cette stratégie est loin d’être compétitive face aux services très souples et moins coûteux proposés par les entreprises de transport routier. Le ferroutage devait être une avancée importante vers les économies d’énergie, la limitation des encombrements routiers et de la pollution. Y a-t-il une volonté pour le développer ? Non seulement on ne perçoit pas d’avancée notoire vers ce type de transport, mais on observe même un déclin, dans la vallée de la Maurienne en particulier. Rien n’est moins certain de la part de la SNCF d’abord, ni des Régions, et pas non plus des entreprises de transport elles-mêmes. Une enquête auprès des utilisateurs a facilement permis de constater que le service manquait d’efficacité et que c’est la responsabilité de la SNCF qui était en cause… Des raisons plus sociales ont participé au désintérêt des chauffeurs eux mêmes : ils ont « résisté » à utiliser le ferroutage parce qu’ils n’étaient pas rémunérés pendant les transferts.

Autres causes du côté du trafic voyageur : SNCF-Réseau a en charge l’entretien des infrastructures (état des rails et des traverses, aiguillages, passages à niveaux, gares, etc…), et ce sont les Régions qui subventionnent et sont responsables de certains transports ferroviaires (les TER). Ces instances ferment les lignes car, avancent-elles, les coûts d’entretien dépassent largement les possibilités de leur budget…

Dans la revue l’Objectif Rail [2] Philippe Morel a montré que la fermeture de ces lignes était prévisible, puisque cela faisait plus de trente ans que la SNCF ne les entretenait pas régulièrement. Par conséquent, baisse des vitesses, temps de parcours allongés, horaires impraticables et tout cela associé à des tarifs excessifs, ont été dissuasifs, cet ensemble de contraintes a fait fuir la déjà maigre clientèle encore captive. Et on affirme ensuite que les fermetures sont inévitables !

Il n’est pas question pour notre collectif de s’ériger en opposants du TGV [3], mais il est incontestable que, de la part de la SNCF, le choix du TGV s’est fait au détriment de toutes les lignes secondaires. Et il est notable que même des experts ont dénoncé ce choix [4].

Initialement, la budgétisation du TGV devait être indépendante de celle de la SNCF. Mais les coûts d’investissement sont tellement énormes que l’entreprise à dû opérer des “coupes” importantes dans les budgets. Ces coupes ont pénalisé d’abord l’entretien des infrastructures, et puis les investissements dans les matériels modernes.

Une dernière réflexion sur le TGV  : on peut affirmer que ce type de train, qui ne devrait faire de concurrence qu’à l’avion, n’a de l’avenir que s’il est interconnecté efficacement au réseau TER. Or c’est loin d’être le cas aujourd’hui : par exemple, l’existence de 16 “gares natures”, ces gares dans la nature qui n’ont aucune connexion avec le TER, sont un non sens, ne serait ce que parce qu’elles obligent les usagers à utiliser la voiture !

La suppression de l’écotaxe, plus la loi Macron sur l’ouverture des lignes de cars, vont impacter lourdement le ferroviaire, y compris le TGV, dont le remplissage des rames semble stagner depuis 2014. Des sociétés de bus (françaises et étrangères) sont déjà en compétition pour proposer des tarifs qui défient toute concurrence, et sur de longues distances [5].

Tétanisées par le problème du chômage, nos instances dirigeantes ont fait le choix du “tout routier”. Il est pourtant permis de douter que ces lignes soient génératrices d’emplois à long terme en France. En effet, la nécessaire compression des prix de revient de la part des compagnies va les obliger, comme pour les camions, à s’implanter dans les pays qui autorisent l’embauche d’une main d’œuvre “à bas coût”.

 Marche-arrière, toute !

Ainsi, la SNCF, dont on croyait ( ! ) que la fonction prioritaire était de faire rouler des trains, se lance à corps perdu dans la bataille du “low cost routier”, avec ses filiales KEOLIS et iDBUS, etc. C’est ça le progrès ? Non. Nous osons affirmer, même si les grands média ne s’en font pas l’écho, que ces choix sont extrêmement préjudiciables pour l’avenir. D’abord pour des raisons écologiques : le train, quand le matériel est moderne et bien entretenu, correspond à un minima de pollution, surtout quand la ligne est électrifiée. Nous sommes conscients que cet argument mérite une analyse approfondie : la fabrication du matériel est émettrice de polluants, et son fonctionnement sur des lignes électrifiées consomme de l’énergie (énergie nucléaire et ses déchets ou énergie fossile et ses GES, comme en Allemagne). Mais ceci est également valable pour les camions et les cars qui sont construits en bien plus grand nombre. Certes, quand le remplissage d’un train diesel (comme le Z73500 ou l’AGC) est faible, le rapport de la consommation d’éner­gie (donc de pollution) au nombre de voya­geurs n’est pas en faveur du train. Par contre, il est incontestable qu’une rame de plusieurs wagons emmenant un grand nombre de voya­geurs sur une voie ferrée, ou bien un train fret formé d’une quinzaine de wagons pleins de céréales, est moins polluant et moins dange­reux que des dizaines de cars ou de camions énormes sur les routes… Le problème est donc bien de remplir les trains, mais c’est ce que la SNCF sait, ou veut, faire de moins en moins …

Dans tous les cas, le transfert train vers bus est une fausse bonne solution [6]. On a constaté qu’à la suite de ce transfert, c’est entre 30 et 50 % des voyageurs qui migrent vers la voiture. Les cars n’améliorent en rien le service rendu : les temps de parcours sont plus longs et plus aléatoires (le remplacement actuel de la desserte Bar le Duc–Nancy par des cars fait perdre plus de 30 minutes aux voyageurs), l’aménagement, le “bien-être” des usagers est moindre (l’obtention des billets est parfois compliquée et fait perdre du temps), même si la SNCF affirme le contraire dans sa publicité pour ses filiales routières (les sociétés de cars s’enor­gueillissent de proposer la WIFI !, rien n’empêche les trains modernes de faire de même).

Beaucoup de Français restent encore attachés au transport ferroviaire, mais à condition qu’il soit performant, efficace, bien cadencé et surtout pas trop onéreux. Le coût immédiat est évidemment une des causes de désaffection des usagers du train. Mais il ne s’agit bien que du coût immédiat, car, en fait, quand ils utilisent la voiture ou le bus, beaucoup de gens ne prêtent pas forcément attention à l’ensemble de la dépense (obsolescence de la voiture et du car, coût de l’entretien des routes qui est inclus dans leurs impôts, etc.).

Faut-il rappeler qu’il y avait 29.000 kilomètres de lignes ouvertes en 2008 (certainement moins aujourd’hui), et un million de kilomètres de voies routières !... Il est incontestable qu’un km de route coûte moins cher qu’un km de voie ferrée, mais pour comparer les deux réseaux, il est nécessaire de tenir compte, dans des calculs plus poussés, de tous les coûts. Bien sûr, on peut laisser des routes à l’abandon, on le constate (sauf pour les autoroutes payantes). C’est beaucoup plus délicat pour une ligne ferroviaire d’abord parce que cela entraîne constamment de nombreux retards (arrêts intempestifs, vitesses réduites,etc.), les usagers de l’Ile de France, dont le réseau est le plus fréquenté, le constatent tous les jours, et puis parce que c’est même risquer de très graves accidents, celui de Brétigny sur Orge en est un exemple consternant, et édifiant …

 Assurer ce service public

Soyons clairs, c’est la SNCF qui paie l’entretien de ses infrastructures, alors que c’est nous qui payons celui du camion et du car ! Il faut que le train soit subventionné pour que ses coûts soient supportables pour les voyageurs. Or, bien que sujet à critique, l’écotaxe était un outil susceptible de réaliser cet objectif de subvention. Et comme l’a fort bien montré l’enquête [7] exclusive intitulée Poids lourds : dangers sur la route, les encombrements routiers deviennent intenables pour tous ceux qui s’aventurent sur la route en semaine. Il faut déjà, sans cesse, doubler ou croiser des “trains de camions”, et l’afflux de cars ne va pas améliorer la situation. Cette augmentation de la densité du trafic entraine forcément des aléas routiers, la ponctualité devient aléatoire et, évidemment, des accidents sont à déplorer…

Nous ne sommes pas, comme l’a affirmé un responsable régional de la SNCF en avril dernier, des “nostalgiques” du train et nous sommes très conscients que faire rouler des trains a un coût… mais nous constatons que les discours de nos dirigeants sont en complète opposition avec leurs actes. La grande concertation sur le climat, la COP 21, a déclenché de leur part des déclarations plus emphatiques les unes que les autres… Et pourtant, la loi Macron va jeter sur les routes une multitude de cars, et les régions, sous prétexte d’économie, fermer encore des dessertes fret, faisant ainsi rouler des milliers de camions supplémentaires. Comment soutenir que ce déferlement n’aura, entre autres, aucune incidence climatique ? Les raisons que nous évoquons sont suffisantes pour qu’on s’interroge sur la pertinence de ces choix, dictés par des objectifs court-termistes, sans une prise de conscience de leurs conséquences pour l‘avenir. Parce qu’il croit en la concurrence, G. Pépy, le président de la SNCF, vient d’annoncer l’apparition du low-cost ferroviaire sur certains TGV (par exemple l’offre OUIGO, Paris-Marseille à 10 €), et, en même temps, la poursuite d’économies (des millions d’euros) dans son entreprise pour « augmenter sa compétitivité ». Son discours a beau être persuasif à propos d’une amélioration de la quali­té du service sur tout le réseau, nous avons bien des raisons de poser des questions en constatant la fermeture de nombreuses dessertes ferroviaires régionales et leur remplacement par l’ouverture de lignes de cars sur ces moyennes distances.

Nous soutenons que le train est un moyen de transport d’avenir, et pour tous, pas seulement pour quelques privilégiés, parce qu’il est écologique si le matériel utilisé estperformant et parce qu’il est conforme aux « politiques publiques liées au développement durable ». Il doit donc être un moyen de transport central, camions, camionnettes et cars ne servant que de moyen de rabattement vers les gares. Nous opposons donc au « tout routier » et aux diverses fermetures de lignes et nous demandons la réouverture de certaines d’entre elles, ce qui relève d’une politique volontariste contraire à celle qui est mise en œuvre.

Nous alertons les élus sur ce problème crucial, et incitons les médias à sérieusement s’y intéresser.

pour le collectif, Claude Rajain

COMMENTAIRES, EN COMPLÉMENT :

Le constat qui est fait ici de la façon dont “ceux qui nous gouvernent” négligent l’entretien du transport ferroviaire peut, hélas, largement être étendu à l’ensemble des services publics. La question qui se pose à ce propos est bien : « un service public doit-il être géré comme une entreprise commerciale, donc être obligatoirement rentable ? »

La France a longtemps été le pays où les chemins de fer étaient les plus performants. Pour comprendre ce qui a changé, il est opportun de faire le rapprochement entre la stratégie de destruction du service public et le fait que la SNCF est un très important actionnaire des transports routiers (tels Kaolis et Idbus cités ici). À ce propos, l’article d’Olivier Noyer dans Les Échos le 16 septembre 2009 est édifiant (il est sur le net à l’adresse : www.lesechos.fr/16/09/2002/LesEchos/18740-146-ECH_la-sncf-doit-elle-rester-le-premier-transporteur-routier-francais--.htm). Plus récemment, le 16 octobre 2013, quand le projet de loi sur la réforme ferroviaire a été présentée au conseil des ministres, la revue L’Usine Nouvelle publiait un autre texte très explicatif signé Olivier Cognasse, qu’on peut lire à l’adresse : www.usinenouvelle.com/article/pour-le-fret-la-sncf-prefere-la-route-au-rail.N209142.

Et rappelons-nous. Quand le Royaume-Uni a privatisé son rail, ce fut une telle catastrophe (parcellisation du réseau, détérioration des infrastructures, nombreux accidents) qu’une prise de conscience s’est vite opérée, au point qu’aujourd’hui ce pays est celui de l’UE qui investit le plus dans le rail !… L’Allemagne fait fonctionner bien mieux son réseau que la France, avec beaucoup moins de personnels… Et la Suisse a un réseau très performant !…


[1Lire le livre de Christophe Guilly, La France périphérique, comment on a sacrifié les classes populaires, dont les informations ont été prélevées sur le terrain.

[2N°62, avril 2014.

[3Des articles de journaux décrivaient, dans les années 70-80, les actions stériles qui s’opposaient à cette réalisation.

[4dont M. Loïc Prigent, ancien Président de la SNCF lui-même, lors d’une émission sur FR3 relative à l’accident de Brétigny sur Orge  ; également M. Vincent Doumayrou dans son livre La fracture ferroviaire, éd. de L’Atelier.

[5Stagecoach (GB) propose Paris-Toulouse à 5 €, Megabus (GB) propose Toulouse-Barcelone en 5 heures et 20 minutes pour 30 €, Eurolines (France) propose Paris-Londres à 19 €.

[6Voir La vie du rail, n° 3403, du 20 février 2013, p. 4.

[7programmée le 25 octobre dernier (mais à 23 heures… !) sur la chaîne de télévision M6.


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