Pour que la gauche soit efficace
par
Publication : décembre 1981
Mise en ligne : 25 novembre 2008
LA démarche vacillante du gouvernement socialiste ne doit ni
nous surprendre ni nous décourager. Nous savons depuis longtemps
que les responsables tant socialistes que communistes n’ont pas accompli
l’effort de réflexion qu’imposent logiquement à tous candidats
au gouvernement de son pays, les problèmes politicoéconomiques
auxquels ils seront confrontés. Nous n’avons jamais cessé
de répéter que c’est avant l’accession au pouvoir politique
qu’il convient d’étudier ces problèmes afin d’être
prêts à les résoudre. Les ouvrages, si lucides et
si pertinents, de Jacques Duboin, nos livres et nos brochures, toujours
envoyés gracieusement aux responsables de la Gauche, tant politique
que syndicale, n’ont rencontré que leur méprisante indifférence.
Les dirigeants socialistes ou communistes ne seront instruits que par
leurs propres expériences et par... leurs échecs. Nous
devons nous préparer à les aider, le moment venu, à
surmonter leurs déficiences.
Pour les actuels responsables politiques et syndicaux, tout exposé
d’ensemble, en vue d’élargir leurs horizons sociologiques, serait
vain. Ils ne sont accessibles qu’au niveau des techniques. Il faut donc
leur faire comprendre qu’il existe des techniques particulières
pour résoudre les problèmes posés, notamment par
le chômage et l’inflation, ces deux maux dominants de la période
présente.
LE CHOMAGE
Une majorité de Français comprend maintenant que le développement
des sciences et des techniques élimine - et éliminera
de plus en plus - le travail humain. Mais elle ne comprend pas encore
que le partage de ce travail entre tous les hommes et toutes les femmes
qui ont besoin d’un salaire pour vivre... ou pour survivre, demeurera
une vue de l’esprit tant que les entreprises resteront soumises aux
exigences de la rentabilité. La modernisation des techniques
de production, de distribution, des travaux de bureau est préférée
à l’embauche puisqu’elle permet de réduire les dépenses
de main-d’oeuvre et d’élargir la marge des profits. L’embauche
ne sera, de plus en plus, pratiquée que par les petites entreprises
qui ne disposent pas des moyens financiers nécessaires à
leur modernisation. Or le nombre de ces entreprises ne cessera pas de
se réduire d’année en année par manque de compétitivité.
La remise en selle de la société française exige
une adaptation de ses institutions économiques et sociales au
développement de la technique. Dans son numéro du 10 septembre,
le journal « VSD » écrit que le président
François Mitterrand « s’impatiente de ne pas trouver autour
de lui, les trésors d’ima-gination et d’audace espérés
». Si François Mitterrand avait pris connaissance de seulement
quelques- uns des ouvrages que nous lui avons envoyés, il serait
maintenant en mesure d’orienter l’imagination et l’audace de ses ministres...
Le gouvernement socialiste a déclaré dès sa constitution
qu’il donnerait la priorité à la lutte contre le chômage.
Or, à ce jour, la priorité n’a été donnée
qu’au problème de la décentralisation, à celui
de la peine de mort et à la mise en route de cinq nationalisations...
qui resteront soumises au exigences de la rentabilité. Ce qui
montre que ce gouvernement s’imagine qu’une gestion différente
de la société capitaliste parviendra à résoudre
peu à peu le problème du chômage et celui de l’inflation.
Espérons que les résultats de cette expérience
lui ouvriront assez rapidement les yeux pour qu’ils ne perdent pas complètement
la confiance populaire qui l’a porté au pouvoir, et pour qu’il
devienne attentif à nos propositions.
LA TECHNIQUE QUI S’IMPOSE
Lorsqu’un gouvernement capitaliste institua les Caisses d’Allocations
Familiales qui prirent en charge, à partir du deuxième
enfant, le supplément de revenu nécessaire aux familles,
la grande majorité des entreprises approuva cette nouvelle institution
et accepta de la financer par une taxe proportionnelle aux salaires
versés. Il s’agissait pourtant d’une mesure tout à fait
contraire au « libéralisme économique » dont
le patronat se réclame habituellement, puisqu’elle socialisait
une partie des revenus.
L’actuelle désagrégation du salariat, en tant qu’institution,
élargit sensiblement cette socialisation puisque les pouvoirs
publics doivent prendre en charge des, indemnités de chômage
de plus en plus lourdes pour la collectivité française.
Nous devons prendre conscience que l’évolution des sociétés
modernes impose une socialisation croissante des revenus. Une nouvelle
organisation de ces sociétés devient indispensable pour
assurer, entre tous les membres de la communauté nationale, une
répartition équitable de la production. Le partage du
travail entre tous les actifs ne sera possible qu’après la socialisation
de l’ensemble des revenus.
Qu’en résultera-t-il pour les entreprises, leurs cadres et leurs
salariés ? Les lignes ci-après, extraites de « Rareté
et Abondance », l’un des derniers livres importants que nous devons
à Jacques Duboin, éclairent ce problème : (1)
« Les établissements ne sont pas assujettis à l’équilibre
comptable. Ne payant ni appointements, ni salaires, ni les fournitures
qui leur sont nécessaires, ils ne peuvent établir de prix
de revient, ce qui importe peu puisqu’ils n’ont pas de bénéfices
à réaliser. Ils tiennent donc la comptabilité des
matières employées et des temps de travail afin de permettre
le contrôle de la fabrication ; ils règlent par des écritures
et au moyen de bons matières les opérations qu’ils traitent
entre eux pour l’exécution de leur programme de production. Ce
n’est qu’au stade de la distribution des biens de consommation que ceux-ci
sont appréciés en monnaie, conformément aux décisions
du plan... ».
La socialisation des revenus implique leur distribution par les pouvoirs
publics sous le contrôle d’un peuple devenu souverain. Elle permet
le partage du travail et la répartition des fonctions.
Dans une étude qui demanda plus d’une année de réflexion
à une commission composée de dix- sept militants, disciples
de Jacques Duboin, les directives génétrales de celui-ci
furent reprises et exprimées en projets de loi. Il en résulta
l’édition, en 1975, d’une brochure intitulée « Le
peuple au pouvoir ». Elle fut diffusée à plus de
60 000 exemplaires.
Cette étude a consacré un chapitre important à
l’organisation politique afin que celle-ci permette une authentique
souveraineté populaire par l’organisation d’un contrôle
permanent des représentants du peuple, tant à l’échelon
régional qu’à l’échelon national.
L’AUTONOMIE MONETAIRE CONDITION DE LA MAITRISE DES PRIX ET DE L’INDEPENDANCE NATIONALE
La socialisation du système financier et sa dissociation des
activités économiques et sociales permet à la collectivité
nationale de planifier et de contrôler ce activités. Elle
permet aussi l’établissement de prix nationaux correspondant
au pouvoir d’achat des revenus distribués.
Elle permet aussi - et c’est primordial - d’assurer l’indépendance
monétaire de la nation. La monnaie française devient strictement
intérieure. Le Franc n’a plus besoin d’être défendu
contre les pressions et les spéculations extérieures.
Les exportations et les importations sont réglées dans
la monnaie du pays partenaire ou dans toute autre devise étrangère
de son choix. Le contrat et la compensation économiques deviennent
le règle des relations extérieures.
Il faut que la Gauche comprenne qu’il est vain de discuter à
perte de vue avec un patronat dont la grande majorité lui est
politiquement hostile. Elle ne peut que s’appuyer sur les travailleurs
et l’ensemble des démocrates qui l’ont portée au pouvoir.
La suppression du chômage et de l’inflation exige une transformation
des institutions actuelles. Elle ne sera pas réalisée
sans lutte.
(1) Cf. éditions OCIA, 1945, p. 413