Pourquoi il faut tout changer


par  M.-L. DUBOIN
Publication : novembre 1981
Mise en ligne : 18 novembre 2008

S’IL est une leçon à tirer des suites de notre passage télévisé à la « Tribune Libre » de FR3 du 29 septembre, c’est bien que nous avons raison de poursuivre notre combat pour faire connaître nos propositions. Que de lettres, que nous n’avons pas la place de publier, sont venues nous dire : «  enfin quelque chose de nouveau, enfin des idées constructives capables de mettre fin à la crise que personne, nulle part, n’ose aborder avec l’imagination nécessaire ». Certaines disaient « ce que vous avez exprimé, nous le sentions confusément, mais c’est une conviction claire, constructive ».
Alors, lecteurs de la Grande Relève, que ceci vous encourage  ! Nous sommes dans la bonne voie. Les faits nous donnent raison. Les esprits démarrent : à vous de faire les gros efforts nécessaires pour que s’ouvrent enfin tous les yeux !

DISTRIBUER LE TRAVAIL : OUI

En analysant bien les réactions rencontrées et les opinions exprimées dans les journaux les plus divers, il apparaît que l’idée de la nécessité de distribuer le travail, parce qu’il diminue de façon irréversible, est de plus en plus reconnue. De récentes émissions de télévision, (sur l’usine de Douai qui fabrique la Renault 9, par exemple), ont apporté une confirmation spectaculaire. La courbe que nous reproduisons en première page en est une autre, car outre leurs qualités techniques reconnues, les robots s’avèrent en détenir une autre, déterminante en régime capitaliste du marché : ils coûtent de moins en moins cher, au contraire de la main-d’oeuvre humaine !

MAIS DISTRIBUER LES REVENUS !

Par contre, la nécessité, pourtant parallèle, de distribuer aussi les revenus, n’est pas ressentie en même temps. On dit : « oui, il faut se partager le travail, mais sans abandonner le système du marché. On y tient parce que la compétitivité, et l’émulation qu’il entraîne furent source de tant d’inventions  ! ».
C’est donc sur ce second point qu’il faut concentrer nos efforts. Et c’est le plus dur, car on se heurte à des barrières du genre « je ne comprends rien à l’économie, je ne peux pas comprendre, c’est trop compliqué ». Ou bien «  ces lois du marché ont toujours existé... » (ce qui est faux) ... « donc c’est une utopie de vouloir en changer  ». On se heurte aussi à des professions de foi, et nos gouvernants en semblent les adeptes, du type :, « avec une gestion (toujours capitaliste) plus égalitaire, on va résoudre la crise... ».

OU EST LA NECESSITE ?

Si nous reconnaissons que le capitalisme fut le facteur principal du progrès, et nous somme prêts à lui élever une statue pour manifester cette reconnaissance, nous n’en constatons pas moins qu’il a fait son temps. Comme les chars à boeufs. Pourquoi  ? Parce que le degré de technicité et l’ampleur des moyens auxquels nous avons maintenant accès, font désormais que laisser l’initiative des actions humaines à l’aiguillon du profit non seulement n’est plus justifié par la nécessité d’une certaine croissance à poursuivre, mais en plus fait courir un risque énorme qui menace jusqu’à la survie de notre planète.
Pour bien faire comprendre pourquoi la loi du marché ne nous offre pas d’issue, il faut montrer dans quel sens elle nous entraîne. On peut le faire par un exemple chiffré. Supposons qu’on en soit arrivés au stade de notre évolution technologique où, pour produire tous les biens de consommation d’une population donnée, la nôtre .à l’heure actuelle par exemple, on ait de quoi employer le quart de la main-d’oeuvre qui y était nécessaire à l’époque de la semaine de 40 heures. Ajoutez un autre quart, employé à assurer tous les services, d’éducation, de santé, etc..., payé par la population active sous forme de traitements, salaires ou honoraires versés directement ou par l’intermédiaire de l’Etat.
De quoi peut vivre l’autre moitié de la population ?
De deux choses l’une. Ou bien tout le travail est distribué à toute la. population qui doit par conséquent, dans notre hypothèse, une moyenne de 20 heures de travail par semaine, et le pouvoir d’achat de la production réalisée est distribué aussi à toute la population. c’est l’économie distributive.
Ou bien on laisse faire la loi du marché. Où nous mène-t-elle  ? Bien entendu, la moitié de la population qui a pu conserver son emploi va continuer à travailler, en moyenne, 40 heures par semaine et produire tout ce qui est nécessaire à la population, en touchant des revenus corrects, bons, ou même très bons. Mais l’autre moitié ? Pour « gagner » son pouvoir d’achat, elle n’a pas d’autres possibilités que de le «  pomper » à la moitié que je qualifierai d’«  utile » de la population. Comment’ ? Mais par tous les moyens ! Au prix de n’importe quelles dégradations ! Et plus va croître la proportion de travail automatisé, plus la loi du marché va pousser de monde à vivre en parasites. Les plus « entreprenants  » vont chercher des créneaux, se lancer dans la fabrication de gadgets dont le besoin ne se faisait pas sentir. Pour vendre, ils vont faire travailler une horde de publicistes dont toute l’activité sera de chercher à convaincre les gens qui ont des revenus, qu’ils ne peuvent absolument pas se passer de ces gadgets, qu’on ne porte pas un manteau de l’an dernier, qu’on ne sort pas sans être maquillé, parfumé ou « aftershavé » ou qu’on ne peut pas vivre sans une chaîne très haute fidélité en quadriphonie. Ainsi l’industrie va tourner pour satisfaire ces besoins artificiels de toute sorte, à seule fin, en fait, de faire passer de l’argent d’une moitié à l’autre de la population, et tant pis pour les conséquences qu’en sont gâchis de matières premières et de cerveaux, pollutions ou risques variés. C’est bon, puisque ça donne du travail ! D’autres personnes, très douées, vont continuer à « gagner leur vie » avec deux téléphones. Avec celui qui est à portée de leur main droite, ils achètent une cargaison de n’importe quoi, disons de pommes de terre, en imposant un prix de misère au producteur, en lui expliquant que s’il n’est pas d’accord on s’adressera à un autre, qui saura saisir l’occasion, car la production est abondante. Puis de la main gauche, il téléphonera à un grossiste, ou à tel mandataire, à qui il revendra la même cargaison, sans l’avoir vue, et pour un prix fixé, après quelques marchandages, au double du prix précédent. Entre la main droite et la main gauche, le porte-feuilles de notre homme d’affaires se sera gonflé d’un revenu égal à celui gagné par le producteur. En échange de quoi ? D’un quart d’heure d’âpres palabres, preuves sans doute d’un talent certain, mais qui pourrait être mieux employé qu’à gonfler ainsi les prix de toutes les productions et à faire croître, inévitablement, l’inflation, fonction directe du nombre des intermédiaires. Qu’importe pour le système du marché, les intermédiaires font travailler un monde de secrétaires : il faut bien qu’elles gagnent leur vie !
J’ai pris l’exemple du commerce des pommes de terre. Il ne tue pas grand’monde. Mais que dire du commerce des armes ? Faut-il vraiment, pour faire tourner l’économie, qu’il y ait aussi des représentants en munitions qui gagnent leur vie en persuadant les peuples sous- informés que leurs voisins ont des moyens énormes et que, s’ils ne. font pas l’achat des armes magnifiques, dernier cri (sans humour noir) qu’on leur propose, ils seront exterminés dans les plus brefs délais  ? Et qui s’empressent d’aller tenir ensuite les mêmes propos aux dits voisins...
Toutes ces activités ne trouvent de « justification » que dans le régime du libéralisme économique parce qu’elles sont le seul moyen pour les « débrouillards », les « entreprenants », les « combinards » de faire transiter par leur poche les revenus des autres. Quant au reste de la population, à ceux qui ont l’honnêteté de reconnaître que la société, pour vivre, n’a plus besoin de leur travail, qu’ont-ils donc pour vivre, en économie libérale ? Les indemnités de chômage qui leur sont versées comme une aumône, prélevées par l’intermédiaire de l’Etat, sur les revenus que les autres croient avoir gagnés. Ces versements, dans ces conditions, donnent aux chômeurs une position d’assistés. Mais il y a pire. Il y a aussi tous ceux qui, ne figurant dans aucune de ces catégories, n’ont plus que la mendicité, le vol... ou le suicide.
Voilà pourquoi le libéralisme a atteint ses limites : la situation qu’il entraîne n’est plus humainement supportable.


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