Pourquoi la Droite néolibérale gagne-t-elle ?

Tribune libre
par  W. SOUDAN
Publication : juillet 2003
Mise en ligne : 16 novembre 2006

La Droite néolibérale est en train de gagner du terrain partout dans le monde. Si elle ne gagne pas les élections politiques, elle gagne quand même sur le terrain de l’économie. L’exemple de l’Angleterre, puis celui de la France d’avant avril 2001 sont parlants. La politique d’un gouvernement tel que celui de Lionel Jospin était quand même différente de celle du gouvernement actuel, directement alignée sur les consignes du Medef. Pourtant, cette politique de gauche, avec ses aspects positifs, ne touchait absolument pas à la logique du système économique mondialisé. Et c’est bien cette logique qui avance toujours, implacablement, avec le succès de la Droite néolibérale. Essayons de démonter cette logique. Selon elle, l’homme (ou la femme, bien sûr) est un objet, jetable après usage. Ce qu’on peut attendre de lui, c’est d’être producteur et/ou consommateur.

• En tant que producteur, l’homme doit coûter le moins cher possible, et la Droite dispose pour celà de toute une panoplie de techniques, depuis celles de l’organisation scientifique, du chantage, du harcèlement et de la manipulation, jusqu’aux délocalisations, voire jusqu’à l’abandon pur et simple, comme à Noyelles-Godault [1]. Les “directeurs des ressources humaines” (DRH) reçoivent des formations adéquates et disposent de consultants expérimentés en ce domaine. Face au libéralisme, le monde ouvrier a longtemps résisté, et le rapport de force lui fut parfois favorable. Les luttes sociales avaient alors permis une réelle évolution des conditions de vie. Mais depuis, les progrès technologiques, les techniques de l’information et la mondialisation financière soutenue par cette idéologie implacable, ont profondément affecté le monde. Bientôt, 20 % de la population active suffiront comme main d’œuvre pour faire tourner l’appareil de production. Donc s’il veut obtenir ou conserver un travail, l’employé doit être corvéable et soumis. La pression qui s’exerce sur lui est telle que la moindre expression de désaccord conduit à son exclusion. Les conditions de travail deviennent de plus en plus stressantes. Sans même parler de ces conditions dans certaines régions du monde telles l’Asie, la Turquie ou les pays de l’est, en France, chez nous, les exemples d’entreprises où aucune législation du travail n’est appliquée sont légions.

• En tant que consommateur, l’homme doit être complètement mis sous influence. Et cette bataille est déjà bien en passe d’être gagnée, principalement avec les jeunes qui sont sous l’emprise du totalitarisme “des marques”. Quel parent oserait obliger son gosse à aller à l’école sans ses baskets et son sac à dos de marque ? La publicité a un impact considérable, et nous nous laissons tous influencer par son pouvoir. Et puis, autre élément de cette société de consommation, il y a les officines de crédit. Elles affirment qu’on peut tout avoir, et tout de suite, que tous nos désirs peuvent trouver immédiatement satisfaction. Ce slogan, qui rapporte, nous embobine… Enfin, au sommet de l’édifice, il y a les temples de la consommation. Responsables, par leurs pratiques, d’une grande partie du chômage, les grandes surfaces sont un lieu de plaisir, le sommet de l’idéal pour les pays pauvres. Nous y allons tous librement, pour acheter… ce qu’on nous impose, et pour remplir, sans modération, ce qu’est devenu le vide de notre société, c’est-à-dire de notre vie.

Bien sûr, pour en arriver là, il a fallu quelques conditions. D’abord que l’homme ait perdu tout sens critique. Il faut que l’homme ne soit pas formé, mais formaté, conditionné. Il faut que soient développés ses envies et ses caprices, car seuls ses envies et ses caprices rapportent de l’argent au système néolibéral. Ce n’est pas difficile, parce que le système dispose pour cela d’un outil miracle, la télévision. Avec ses paillettes et ses bons sentiments, c’est un outil de manipulation et de normalisation infaillible. Résultat : abrutissement garanti. Et puis, comment réagir après une journée de travail épuisante ? Et comme toujours, ce moyen de racolage passif rapporte de sérieux bénéfices à ses actionnaires. Quelle belle logique, non ? Enfin, il y a l’école, dernier lieu où devrait s’organiser la résistance, où la formation à l’esprit critique devrait constituer une des bases de l’enseignement, où l’être devrait avoir une valeur plus importante que l’avoir ou le paraître. Mais l’école est traversée par tous ces conflits dont la société ne l’a pas protégée. Depuis des années, elle est victime de cette idéologie qui réduit l’horizon humain. L’école est prise d’assaut par des enjeux considérables, et elle est trop en souffrance pour pleinement réussir sa mission, devenue trop lourde. D’ailleurs l’école est la prochaine cible de l’AGCS, quand cet “Accord général sur le commerce des services” sera appliqué à l’école, la boucle sera bouclée.

La clé de voûte logique de ce système, pour réaliser son programme, c’est que cela ne marche que si tout est basé sur ce qu’il y a de moins élevé dans l’homme. Nous savons tous que l’axe du Bien ou l’axe du Mal, c’est une bouffonnerie, et que l’homme est capable du meilleur et du pire. Or c’est sur le côté le plus négatif de l’homme que tout ce système repose, c’est sur l’envie d’avoir toujours plus, c’est sur la compétition, sur le besoin d’écraser l’autre, de nier l’autre, sur le besoin de conformité, sur la facilité, le paraître, sur l’individualisme et l’égoïsme. Les promoteurs de ce système savent qu’ils touchent là le compulsif de notre nature, et qu’il suffit d’ouvrir cette porte pour qu’ils puissent faire fortune.

Les tenants de la Droite néolibérale sont sur la voie de la victoire, mais jusqu’où va-t-elle ? Jusqu’au chaos, car ce système ne peut que créer et développer la violence. Ils créent ainsi d’abord la violence et ensuite ils la combattent par la répression quand celle-ci les empêche de faire du bénéfice. Bientôt, en plus, avec les prisons privées, cela rapportera de l’argent… C’est parce que ce système est fermé qu’il mène inexorablement au chaos. Transformant le psychisme des individus, il conduit à une société où domine la violence et où règne la perversité, où disparaît le lien social, où se développe le refuge dans le communautarisme et l’affrontement.

Si nous voulons combattre ce système, c’est une autre cohérence qu’il faut mettre en place. C’est un autre système qu’il faut penser, mais, cette fois, ouvert, basé sur le côté le plus riche de l’homme, sur le mieux qu’il est capable de sortir de lui-même, sur le sens de l’autre, sur la solidarité, sur la démocratie et pas sur cet ersatz de démocratie formelle. Sur les valeurs culturelles, intellectuelles, spirituelles. Permettre à chacun de réaliser l’humain de sa propre humanité.

C’est remettre l’économie à sa place, qui est d’être le moyen de permettre l’épanouissement de l’homme. C’est remettre la société à l’endroit.


[1Noyelles-Godault est la commune où était l’usine Métaleurop, qui, après avoir sacrifié l’environnement au nom de l’emploi, a sacrifié l’emploi choisissant la faillite, pour n’avoir rien à nettoyer… Relire sur ce sujet l’article de Roland Poquet dans GR 1030, p.11.


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