Qu’est-ce qu’une réserve de pétrole ?

Le pétrole
Publication : octobre 2003
Mise en ligne : 19 janvier 2006

Ce qui est nouveau, c’est donc qu’un investisseur américain soit parvenu à faire comprendre à son gouvernement que la prospérité de son pays, bâtie sur le pétrole, n’était plus assurée. Pourquoi cette prise de conscience a-t-elle été si brutale ? Ne connait-on pas, en particulier dans l’Administration américaine, le volume exact du pétrole qu’il est encore possible d’extraire du sous-sol de la planète ? La réponse est : Non. Aussi étonnant que cela puisse paraître.

En 1970, les réserves mondiales étaient estimées à environ 72 milliards de tonnes, permettant de couvrir 30 ans de consommation. Or, pendant ces 30 ans le monde en a consommé nettement plus, environ 90 milliards, et les réserves actuelles sont évaluées à 140 milliards de tonnes, sans compter les réserves de pétrole “non conventionnel”. Ces chiffres pourraient faire croire qu’on a découvert d’énormes réserves qui étaient insoupçonnées il y a trente ans, et donc penser, avec optimisme, qu’on va continuer à en découvrir... Or il n’est pas facile de comprendre pourquoi ce serait une erreur. Un spécialiste des questions pétrolières, Jean-Marc Jancovici, l’expliquait dans une étude rédigée il y a trois ans, remise à jour en mars dernier, et que Jacques Hamon nous a aimablement communiquée. Voici, en résumé, l’essentiel du raisonnement :

 Quelle est la définition d’une réserve ?

Toute la difficulté de l’énigme autour des réserves vient du fait qu’une réserve est une notion subjective par nature. Il n’en existe pas de définition claire, purement physique, comme ce serait le cas s’il s’agissait d’évaluer ce qui reste de pétrole en sous-sol.

La notion de réserve est tout à la fois physique, technique et économique. Elle dépend non seulement de ce dont on est certain de l’existence, mais aussi de l’état des techniques disponibles au moment de les exploiter et aussi de la situation économique, car il faut prévoir s’il sera financièrement intéressant, ou pas, d’investir pour extraire, compte tenu du niveau présumé du cours du baril quand le pétrole aura été extrait.

La définition des réserves n’est donc pas la même selon les pays.

 Qu’est-ce qu’une réserve “prouvée” ?

C’est ce que les Américains définissent par : « l’ensemble du pétrole que l’on considère raisonnablement pouvoir extraire à l’avenir à partir des réservoirs connus, compte tenu des conditions techniques et économiques du moment. »

Dans le reste du monde, les réserves correspondent à l’addition des réserves prouvées définies ci-dessus, et de 50% des réserves probables, qui correspondent à ce que l’on pense pouvoir produire à partir des réservoirs prouvés ou probables aux conditions économiques et techniques d’un futur proche.

 De quelles données dispose-t-on ?

Les données géologiques sur le pétrole ne sont pas publiques, l’estimation de ce qu’il y a réellement dans le sous-sol ne fait l’objet d’aucune obligation...

Seule est publiée, par chaque compagnie pétrolière cotée à la Bourse de New York, son estimation des réserves dites “prouvées”, parce que la SEC, le gendarme de Wall Street, les y oblige...

 Pourquoi les réserves ont-elles augmenté ?

• Est-ce parce qu’on a découvert de nouveaux gisements ces trente dernières années ?

- Non, depuis 1980, ou même depuis 1970 d’après certains auteurs, on a consommé chaque année plus qu’on a découvert de ressources physiques. Les “champs géants” (plus de 2 milliards de barils), n’ont fait l’objet d’aucune découverte significative depuis 1980 et les “grands champs” (de 500 à 2 milliards) ne s’accroissent pratiquement plus depuis 1990, comme le montre un tableau publié par la société de M.Simmons (l’auteur, précisément, de la vidéo-conférence qui fait l’objet de l’article précédent) relatif aux principaux champs du Moyen Orient, et auquel J-M Jancovici se réfère.

• Est-ce parce que les techniques ont augmenté les taux de récupération ?

- Ces taux varient non seulement d’un champ de pétrole à l’autre, parce que leurs caractéristiques et celles des huiles contenues sont différentes, mais aussi avec l’évolution des techniques employées. Les progrès ne permettent guère d’augmenter la fraction récupérable d’une poche de pétrole, mais de la faire sortir plus vite.

Les compagnies pétrolières expliquent volontiers qu’au cours des 30 dermières années, ce taux est passé, en moyenne, de 25 à 35%, ce qui correspond à une hausse de presque 50% des réserves.

Dans les réservoirs dits “compacts fracturés”, ce taux est de 3% et n’augmentera probablement pas ; là où le pétrole est très fluide, où la roche est poreuse, et où les pores communiquent bien (Libye, Canada), le taux dépasse 80%.

• Est-ce parce que le prix du baril a augmenté ?

- Le prix du baril a nettement augmenté depuis le premier choc pétrolier, rendant rentable l’extraction de ressources qui auparavant coûtaient trop cher à exploiter. Mais en s’appuyant sur les tendances historiques (1860-2002) publiées par BP dans sa revue des statistiques J-M Jancovici montre qu’un doublement de ce prix n’augmente les réserves que de quelques %.

Il reste donc que les réserves prouvées ont pu changer avec l’appréciation de ce que l’on « considère raisonnablement pouvoir extraire », compte tenu de l’incertitude sur les estimations (voir plus haut) sachant que la valeur de l’action d’une société cotée à New York est proportionnelle à la quantité de réserves qu’elle déclare posséder et que, d’autre part, les quotas de production des pays de l’OPEP sont proportionnels aux réserves... qu’ils publient.

Chaque expert doit donc se débrouiller avec ses propres données, son flair ou son expérience, mais tous sont d’accord pour conclure qu’alors que depuis trente ans, la consommation mondiale de pétrole n’a cessé d’augmenter, depuis dix ans, les réserves, exprimées en années au rythme de la consommation actuelle, diminuent.

 
En avons-nous pour longtemps ?

Pour prévoir l’époque du “pic” qui fait l’objet de l’association ASPO dont nous avons parlé ci-dessus, J-M Jancovici fait l’hypothèse, hélas plausible, que la volonté de lutter contre le changement climatique ne sera pas le premier facteur limitant la consommation de pétrole. Il suppose également qu’une guerre n’endommagera pas les puits restants. Il cherche donc quand la décroissance de production de pétrole s’amorcera parce qu’il n’y en aura plus assez.

Entre les prévisions des optimistes et celles des pessimistes, il y a moins de 20 ans d’écart. Pour fixer le délai à 5 ou 10 ans d’ici, les pessimistes se fondent sur le modèle de King Hubbert, auquel M.Simmons fait allusion. En 1959, prenant les statistiques connues, ce géologue américain a tracé deux courbes, celle des découvertes annuelles et celle de la production annuelle de pétrole. Il s’est aperçu qu’elles ont en gros toutes deux la forme en cloche d’une courbe gaussienne, et que le maximum de la consommation suivait d’environ 35 ans le pic de celle des découvertes. Observant que pour le pétrole américain, ce pic se situait vers 1935, il en déduisit que le maximum de sa production aurait lieu vers 1970. Et c’est en effet ce qui s’est produit...

En traçant maintenant les variations annuelles des découvertes dans le monde entier, en supposant que les estimations publiées sont fiables, on retrouve la même allure, le pic de Hubbert étant situé avant les années 1960 et la décroissance visible ensuite. La courbe des consommations la reproduit plus ou moins avec le décalage prévu, ce qui placerait le pic pour très bientôt. En fait, si on prolonge la courbe des réserves telles qu’elles sont “déclarées”, on va encore vers une hausse, mais si on s’appuie sur les données techniques des géologues, la tendance à la baisse, constatée depuis une dizaine d’années, va se poursuivre... le pic est passé. Quant au gaz, dont le taux de jaillissement est déjà très élevé, les ressources n’en sont ni plus illimitées, ni mieux réparties.

Or ce qui reste de ces énergies est ailleurs que là où elles sont consommées. La géopolitique de ce début de XXIème siècle peut être lue à travers le fait que les 2/3 de ce qui reste de pétrole mondial à extraire se trouvent au Moyen Orient, qui n’en consomme encore que 6%.

Et si on trouvait d’énormes réserves insoupçonnées, le gaz carbonique dégagé par leur combustion poserait un problème encore plus grave.


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