Repenser la politique des revenus


par  G.-H. BRISSÉ
Mise en ligne : 5 mars 2006

Partout où on met les pieds dans ce régime moribond, on risque de tomber dans un trou. Trou de la Sécurité sociale, des régimes de retraite, des Caisses de chômage, de la Recherche, de la Culture, de la Santé, voire même, quoiqu’on en dise ou qu’on veuille nous faire croire, du Budget national... et d’autres encore, des petits et des grands trous. Naguère, on évoquait le trou des abattoirs de la Villette ou le trou des Halles, quand il fallut transférer en banlieue le ventre de Paris. Or c’est un immense trou noir que va laisser le gouvernement issu du scrutin d’avril 2002 : il aura absorbé, digéré, anéanti tout ce que la France avait construit depuis la Libération en matière de droits sociaux, d’éducation, de recherche, de politique de la santé et d’épanouissement de la culture.

De multiples sources du malaise actuel sont visibles : pauvreté du plus grand nombre et enrichissement très voyant d’une minorité, logements insalubres et surpeuplés, multiplication des SDF, échec scolaire, manque de débouchés fiables, discriminations ethniques, mal-être des quartiers-dortoirs, etc. Une autre source est l’échec de la politique de décentralisation et de régionalisation, laquelle en réalité se limite à un transfert de compétences de l’État aux régions, départements et communes, sans contrepartie budgétaire. L’État se décharge ainsi de missions qui lui étaient primitivement dévolues, en contraignant les instances territoriales à accroître les rentrées fiscales, souvent demeurées très inégalitaires d’une commune ou d’une région à l’autre.

Il y a sans doute là-dessous des considérations politiciennes, la grande majorité des régions étant passées sous direction socialiste ou de gauche. Mais le grand perdant de ces manœuvres est toujours le contribuable, à qui l’on annonce une diminution de l’impôt sur le revenu, mais qui doit acquitter des taxes locales plus lourdes.

En avançant l’idée d’une réforme fiscale en profondeur, notamment par la suppression de l’impôt actuel sur le revenu, j’ai suggéré le moyen de mettre un terme à une injustice flagrante et d’accroître sensiblement le pouvoir d’achat des consommateurs. Du moins sur le court terme, en attendant qu’une réforme monétaire et donc fiscale en profondeur puisse être enfin réalisée.

 À quand la vraie réforme fiscale ?

J’ai avancé qu’un prélèvement de 0,1 % à 1 % sur les mouvements de fonds constituait le mode de recouvrement le plus adéquat et le plus juste du budget de l’État et des collectivités territoriales.

Cette proposition, publiée par La Grande Relève, a reçu un accueil mitigé de certains militants distributistes. Et elle a eu des échos très divers. On m’a objecté que l’effet de ce mode opératoire entraînerait la mise au chômage technique des agents des Impôts chargés de son actuel recouvrement, ou qu’il engendrerait la fuite vers l’étranger des investisseurs français. Gageons plutôt de l’effet contraire. Les fonctionnaires de l’Administration des impôts ont que !que 200 taxes diverses à se mettre sous la dent. Quant au phénomène de fuite des capitaux, il n’a pas attendu ce type de réforme en profondeur pour se manifester.

Les établissements bancaires et financiers prélèvent abondamment sur nos revenus de copieux intérêts et agios. Ils peuvent donc apporter leur contribution au bon fonctionnement des services publics. Dans le système actuel, ce sont les salariés qui sont les principaux contributeurs, alors que les salaires sont en diminution ou affectés par la précarité, quand ils ne doivent pas faire place aux indemnités de chômage... Et il est hallucinant d’exiger des agents des services publics de reverser une part de leur salaire à leur patron, en l’occurrence l’État ou les collectivités territoriales, ce qui entraîne d’inutiles frais de paperasse exorbitants, des contrôles, des tracasseries administratives, judiciaires, etc.

Il paraît urgent, si on veut favoriser la création d’emplois durables, de dépénaliser le travail, de libérer les salaires des charges de plus en plus lourdes qui pèsent sur eux, de puiser à d’autres sources les ressources budgétaires destinées à alimenter nos services publics.

Affirmer comme certains, que le travail est une valeur reconnue, en particulier le travail bien fait et bien rémunéré, relève de l’hypocrisie la plus éhontée. Le travail ne sert qu’à alimenter le profit par la spéculation. Car la valeur suprême aujourd’hui, ce n’est pas le travail, mais la Bourse. Dans ce contexte, priorité absolue est donnée à l’entreprise de droit privé, qui draine le maximum de fonds spéculatifs vers des actionnaires anonymes, assoiffés d’intérêts à 15 %, quand le petit peuple, titulaire d’un livret de Caisse d’épargne ou de Codevi, doit se contenter de 2 %. La primauté du secteur privé n’est nullement garante d’une bonne gestion, comme le prouve la multiplication des faillites, cessations d’activités et délocalisations dites “boursières”. Il s’agit en réalité d’une colossale manœuvre de détournements de fonds qui sont drainés vers des intérêts privés, principalement ceux de grandes compagnies financières, n’ayant qu’un rapport très lointain avec le bien-être des citoyens.

Voila près d’un siècle que ces pratiques perdurent peu ou prou, qu’on les dénonce en haut lieu avec une belle hypocrisie teintée de “patriotisme économique”, alors qu’elles demeurent institutionnalisées sous le label “d’économie de marché”, voire “d’économie sociale de marché”. En saupoudrant un peu de social sur un système de libre concurrence sauvage, on ne fait que sacraliser la loi du plus fort et appliquer à l’économie la fable Le loup et l’agneau du bon La Fontaine. Croire ou nous faire croire que la croissance calculée en termes de PIB est créatrice de richesses et que ces dernières vont profiter à tous, relève d’une grande illusion. Ce que confirme la suppression toute récente du Commissariat au Plan, remplacé par un vague organisme d’études pourvoyeur de statistiques.

En affirmant que les mécanismes du “marché” sont les seuls guides pour réguler l’économie, on prétend qu’il suffirait de les “humaniser” pour déboucher sur une économie plus “sociale”. Alors que l’avenir n’est vraisemblablement ni dans une économie dite de “marché”, ni dans un système d’appropriation collectiviste. L’avenir gît dans le constat que le “marché” est incapable de trouver à lui seul les mécanismes de régulation d’une économie sociale et que, à considérer les considérables dégâts environnementaux et humains qu’il provoque, il faut les rechercher ailleurs, dans une économie des besoins. Chaque personne, de la naissance à la mort, est un consommateur (de biens, de loisirs, de culture, d’éducation, de spiritualité, etc.), c’est donc lui qui doit guider la production, et non l’inverse. Ce qui n’a rien à voir avec cette “société de consommation” où une publicité massive et très orientée contraint les citoyens à acquérir des biens ou des services bien souvent inutiles.

 La grande illusion

Lorsqu’on puise dans les salaires et pensions les ressources nécessaires au budget de l’État, des collectivités territoriales, voire de la sécurité sociale, des Assedic, des caisses de retraite, etc., on sait très bien, mais on n’ose pas le dire, que cette façon de procéder est vouée à l’obsolescence. En effet, la masse salariale est en diminution constante, elle subit de plein fouet la précarité, et elle fait place à d’autres revenus : stock options, primes de participation ou d’intéressement aux bénéfices, intérêts d’actions ou d’obligations, rentes viagères, etc., etc. Car l’objectif poursuivi par une entreprise, en régime d’économie concurrentielle, n’est pas le bien-être de ses salariés mais de déboucher sur les profits accrus que réclament ses actionnaires.

Il faut donc rechercher les ressources budgétaires de l’État et des collectivités territoriales “à la source”, là où est l’argent, donc dans les établissements bancaires et financiers.

C’est ce qu’un certain nombre de mes lecteurs n’ont pas compris. Nous avons changé d’époque. On a évoqué un temps l’éventualité d’un impôt sur le capital. Mais en préconisant un prélèvement modeste sur tous les mouvements de fonds, j’ai le sentiment d’œuvrer pour une meilleure justice fiscale et en outre de limiter au maximum les frais de paperasse, de transactions informatiques, voire de procédure ou de contentieux, liés à l’actuel mode de recouvrement de l’impôt sur le revenu.

Ce dernier, sous sa forme actuelle, doit donc être supprimé. Les contribuables y gagneront en clarté et, bien évidemment, en accroissement de pouvoir d’achat. En dépénalisant le travail, le travail clandestin serait privé de son attractivité. Sauf, bien entendu, à respecter le code du travail. Et rien, pour autant, ne dispense Bercy de maintenir à l’intention des plus défavorisés qui en sont dispensés, le versement de l’impôt négatif. Une autre mesure devrait tenter de décourager les délocalisations, voire d’encourager fiscalement, ou par d’autres voies, les bénéfices réinvestis dans l’entreprise.

La grande illusion de nos politiciens est de croire qu’ils pourront indéfiniment conserver le système actuel... tout en faisant mine de l’amender !

 Le temps des échéances

Certes, d’autres causes expliquent, sans la justifier dans ses formes les plus violentes, la révolte de la population jeune aujourd’hui. Mais la fiscalité, et son mode de recouvrement actuel, constituent un facteur de révolte. N’oublions pas que la Révolution française de 1789 a commencé par là. Car, dans le fond, que réclament ces jeunes ? En premier lieu, un peu plus de considération, des revenus décents, une activité motivante, des logements convenables à des prix abordables dans un environnement valorisant.

Or le versement d’un revenu garanti en faveur des jeunes, apprentis, étudiants et autres, est évidemment possible, comme il l’est pour les retraités et pour les adultes sans emploi, puisque son niveau dépend de nos seules capacités productives. Longtemps, l’économie a été guidée par l‘obsession de la pénurie, alors que nous sommes dans une société d’abondance. Notre problème n’est plus la production, mais la répartition des biens et des services. L’idée de la mise en circulation d’une monnaie de consommation avec son corollaire, le revenu social garanti, fut formulée par Jacques Duboin en écho à la dépression qui suivit la grande crise financière de 1929. Aujourd’hui, elle est passée sous silence par les médias, qui, après l’avoir recouverte d’un couvercle de plomb, se sont assis dessus. Mais pendant ce temps-là, la situation continue à se dégrader à la vitesse des moyens de communication contemporains.

Les “princes qui nous gouvernent” n’ont ni le courage ni la volonté de sauter le pas.

Les prochains scrutins risquent de déboucher sur des résultats encore bien plus surprenants que les précédents.

À moins que le sort de ce régime ne se joue dans la rue.


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