Réveil européen du coma libéraliste ?

Tribune libre
par  P. VILA
Publication : juillet 2004
Mise en ligne : 19 janvier 2006

Merci à Michel Piriou pour son panorama [1] des années post-gaulliennes et du cauchemar politique-financier libéraliste des petits cousins d’Amérique, sournoisement introduit chez nous dans les années 1970 - 90. Cet excellent article se termine sur une note d’espoir pour l’action des mouvements associatifs français, comme nouvelle résistance à l’envahisseur : le système de troisième guerre mondiale (celle du capitalisme intégral) qui s’abat inégalement sur les alliés “vainqueurs” de feu la guerre froide, et sur leurs rivaux de l’Est.

Mais nous Français sommes en pleine contradiction, avec un gouvernement enfin courageux, quoique incapable de rompre avec la violence sociale qui sacrifie les restes de solidarité républicaine aux jeux du profit : nos politiques s’entre-accusent de la stagnation économique hexagonale 2002-2004, en invoquant le remède d’une forte croissance comme condition nécessaire de reprise. Personne ne voit - ou ne veut avouer - que l’économie est étranglée en amont, grâce au blanc-seing accepté par M. Jacques Delors à Maastricht et Amsterdam. Là, le diagnostic de “crise économique” me paraît faux.

Les pays du premier cercle européen sont pratiquement tous dans une crise du même ordre ; mais leurs efforts de réforme et leurs movens sont très différents des nôtres. En réalité les atouts géographiques de la France sont très supérieurs, et c’est là la scandaleuse contradiction d’une fausse social-démocratie à la remorque des banques et d’une prétendue politique sociale qui démontre un vice de notre modèle. De voir sortir notre pays, le plus prospère d’Europe, encore embourbé dans son marasme mou, c’est cela qui a désespéré le peuple de gauche puis de droite. En vérité ce sont nos structures administratives qui nous paralysent, pas le marché intérieur. Et surtout le problème de crédit-monnaie.

Le seul point qu’il me paraît utile de préciser dans l’article de M. Piriou, c’est l’aphorisme suivant : « la mentalité humaine ne peut se passer de profit ». Remarque citée comme une triste réalité, conséquence d’une logique implacable... qui marquerait notre adoration de la monnaie ?... Pardon de ressasser l’évidence économique de base. Le marché n’est pas en soi une violence, au contraire. Depuis plus de 10.000 ans, l’effort d’un producteur se mesure au besoin que son produit trouve autour de lui, en vue d’une consommation. Depuis environ 6.000 ans la monnaie est le procédé pour assouplir les échanges et depuis environ 500 ans les commerçants organisés dans l’échange à terme se font crédit sur les cargaisons et les commandes correspondantes. C’est à partir de ces remarquables progrès successifs que le réseau bancaire a développé la première mondialisation de services au gré des développements de la Renaissance, avec les phases artisanales, artistiques et industrielles en Europe. Les États-Unis sont montés dans le train en marche avec un continent hyper-riche et une assez rapide démocratisation au XIXème siècle, qui a fait d’eux la patrie des hommes libres et de la puissance capitaliste, jusqu’à l’essoufflement et la fermeture de la fin du XXème siècle (mais quand même, ils avaient relancé quelques tribus indiennes, et ouvert les droits civiques aux divers descendants de l’esclavage implacable perpétré par l’Europe et utilisé dans leur croissance agricole abusive jusqu’il y a environ cinquante ans).

Le vice fondamental du capitalisme était déjà dans notre système avant de fleurir aux États-Unis, et c’est son volet de monopole de pouvoir monétaire qui a pourri les échanges, et rendu inefficace notre démocratie politique.

Sur ce problème on voit juste ces jours-ci les bons esprits commencer à interroger l’information scientifique et les débats internationaux : la très bonne émission du 14 Juin dernier sur France-Culture, l’Économie en question (animée par Mme Dominique Rousset à 19h30), s’intitulait l’Univers impitoyable des échanges internationaux, et citait les efforts de la CNUCED [2] pour corriger les abus de domination bancaire imposés aux pays du Sud par les institutions justement chargées de l’aide (Banque Mondiale, Fonds Monétaire International, Organisation Mondiale du commerce). Une conférence en cours au Brésil pourrait enfin mettre moins de discours irréalistes dans les relations entre acteurs des pays d’Amérique latine et des pays industrialisés... Tâche diplomatique où les européens sont spectateurs, conseillers, et peut-être preneurs de leçons pour l’Afrique ?

Mais je persiste à penser que la difficulté fondamentale de la définition du crédit subsiste, et reste non-corrigée dans nos vieux pays. Pourtant leur plus faible taille et la diversité de leurs secteurs devraient permettre d’apercevoir, d’équilibrer et d’adapter le marché classique des produits marchands à la distribution. (C’est la réforme justement revendiquée chez nous depuis trois quarts de siècle par Jacques Duboin). Il s’agit - faut-il le redire ? - d’accepter une masse monétaire basée sur la production réelle, et d’émettre un dividende universel de base égal pour tous, qui permette la consommation correspondante. Cette réforme n’est possible que sur un territoire historiquement et culturellement constitué, raison pour laquelle les pays d’Europe ont vocation première à la mener, chacun pour soi. Les progrès des technologies et de la recherche ne sont pas des « dépenses improductives » dès qu’on les évalue sérieusement, et cela est maintenant bien visible dans les échanges inter-européens et entre pays de bon niveau scientifique (là les chinois pourraient bientôt donner des exemples en Nobel et en exploits théoriques vraiment novateurs). Au premier chef la mission d’observatoire économique de nos instituts (économétrie, statistique) doit être nationalisée, et les crédits émis par la banque nationale doivent l’être au service des deux grands secteurs : production marchande et somme des services du territoire, où la part principale est l’acte de consommation. Avec le potentiel des ordinateurs de Bercy, cette rénovation n’est qu’un problème d’autorité du gouvernement, là vraiment, et seulement là, souverain.

(Il est tragique que nos pères “compagnons de la Libération” et autres souverainistes, un peu trop inspirés par l’épopée résistante - prônée jusqu’en 1995 par Marie-France Garaud - ne parlent que de sécurité ethnique ou nationale, et se taisent sur les crimes de leur néocolonialisme). La conclusion optimiste de Michel Piriou est très encourageante : les jeunes générations de Français pressentent qu’il va falloir imposer la révision des règles de gouvernance européennes, et n’accepteront bientôt plus le diktat des grandes banques privées.

Mais de grâce, que l’Europe se dépêche de répandre la lumière économique et qu’on en finisse avec le blocage des échanges entre Français !


[1intitulé “La perversion idéologique du libéralisme” dans GR 1044, page 7, juin 2004.

[2CNUCED = Commission des Nations Unies vers les Communautés En Développement.


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