Revenu de base
par
Publication : octobre 1986
Mise en ligne : 1er avril 2008
A l’initiative de Philippe Van Parijs, coordinateur du collectif Charles Fourier, la première conférence internationale sur le revenu de base, ou allocation universelle, s’est tenue, en anglais, à l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve, du 4 au 6 septembre derniers.
Les 70 (et quelques...) personnes qui y participaient ; venues de 14 pays d’Europe, avaient toutes déjà publié des travaux sur le revenu garanti pour tous. Cette convergence est, en soi, une excellente nouvelle : la preuve que l’idée est enfin répandue, et que, puisqu’elle est dans l’air, on va de plus en plus en parler...
Et on en a beaucoup parlé au cours de ce congrès... tellement que je ne peux pas rapporter toutes les choses intéressantes qui ont été dites au cours des quelque 70 exposés, sans compter les conversations de couloir. Je vais donc me contenter, pour commencer, d’en indiquer quelques points marquants. Nous reviendrons plus tard et plus en détails sur certains exposés : ils ouvriront ou nourriront des débats dans ces colonnes.
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Voici en quels termes le collectif Charles Fourier
présentait, en Mars 1984, l’allocation universelle :
« Supprimez les indemnités de chômage, les pensions
légales, le minimex, les allocations familiales, les abattements
de crédits d’impôts pour personnes à charge, les
bourses d’études, les, cadres spéciaux temporaires et
les troisièmes circuits de travail, l’aide de l’Etat aux entreprises
en difficulté. Mais versez à chaque citoyen une somme
suffisante pour couvrir les besoins fondamentaux d’un individu vivant
seul. Versez-la lui qu’il travaille ou qu’il ne travaille pas, qu’il
soit pauvre ou qu’il soit riche, qu’il habite seul, avec sa famille,
en concubinage ou en communauté, qu’il ait ou non travaillé
dans le passé. Ne modulez le montant versé qu’en fonction
de l’âge et du degré (éventuel) d’invalidité.
Et financez l’ensemble par un Impôt progressif sur les autres
revenus de chaque Individu.
Parallèlement, dérégulez le marché du travail. Abolissez toute législation imposant un salaire minimum ou une durée maximum de travail. Éliminez tous les obstacles administratifs au travail à temps partiel. Abaissez l’âge auquel prend fin la scolarité obligatoire. Supprimez l’obligation de prendre sa retraite à un âge déterminé.
Faites tout cela. Et puis observez ce qui se passe. Demandez-vous, en particulier, ce qu’il advient du travail, de son contenu et de ses techniques, des relations humaines qui l’encadrent ».
D’un exposé préliminaire de synthèse
fait, en ouverture de Congrès, par Philippe Van Parijs, Professeur
de Philosophie et d’Économie à l’Université de
Louvain-la-Neuve, exposé destiné à cerner les débats,
il semblait ressortir que nous étions tous à peu près
d’accord sur l’attribution de l’allocation universelle, mais qu’une
question était à discuter : cette allocation pouvait-elle
être versée aussi à quelqu’un qui refuserait absolument
et définitivement de travailler ?
L’introduction faite ensuite par Gabriel Fragnière, Directeur
du Centre Européen pour le Travail et la Société,
à Maastricht (Pays-Bas) était un effort remarquable pour
élever les débats : « Beaucoup d’arguments avancés
en faveur du revenu de base, dit-il, le présentent comme une
extension, ou une généralisation des systèmes de
sécurité sociale tels qu’ils existent dans les différents
pays... la discussion est ainsi liée à l’échec
actuel de ces systèmes et de façon générale
à la crise de l’Etat-Providence. Et le revenu de base apparaît
comme une façon d’aider le système à survivre...
C’est pour cela que la question a surtout été débattue
par des techniciens responsables de la sécurité sociale.
Il est cependant important de noter la croissance rapide du nombre d’économistes
en général, aussi bien que de philosophes (mais est-ce
différent, se demanda-t-il ?) qui entrent dans le débat.
Or, cette croissance ne peut continuer que si les problèmes de
valeur et de politique sont pleinement posés : ce qui est en
question, ce n’est pas de trouver un meilleur système pour garantir
des revenus à ceux qui ont du mal à en trouver, mais de
redécouvrir la valeur réelle de la création de
richesses et comment le droit de tous les êtres humains d’avoir
leur part de ces richesses peut être garanti ». Après
une excellente analyse de l’évolution du travail « qui
n’est plus désormais une action individuelle mais une participation
au processus global, organisé, de la production des biens ».
Le travail se trouve donc directement lié à ce processus
alors qu’il n’est plus qu’indirectement lié (par le salaire)
à la survie et au confort du travailleur et de sa famille : «
L’idée de valeur du travail, action considérée
comme spécifiquement humaine, a été remplacée
par la valeur du revenu de l’emploi ; la valeur du travail n’est plus
ce que l’homme fait... mais ce qu’il gagne » ! Or, dans le travail
il y a plus que le revenu : « avoir un emploi est une valeur sociale,
une espèce de manifestation sociale de l’individu et ceci, indépendamment
du rapport financier qui y est attaché. C’est ce qui justifie
les politiques de plein emploi suivies par la plupart de nos gouvernements
: les besoins de revenus et le besoin d’être socialement reconnu
étaient satisfaits en même temps. Mais nous savons depuis
la crise et notre prise de conscience des changements qui affectent
ce qu’on appelle nos sociétés post-industrielles, que
ceci n’est plus possible parce qu’il n’est plus nécessaire que
tant de gens interviennent dans les processus de production... nous
redécouvrons la valeur fondamentale qui consiste à faire
quelque chose que nous aimons, parce que nous y trouvons une valeur
en soi, comme un artiste, ou parce que nous y voyons la valeur sociale
de notre effort ».
Et la conclusion de G. Fragnière fut claire « Aujourd’hui,
en dissociant la production du partage des richesses, il faut établir
un nouveau système pour garantir le pouvoir d’achat. Il n’est
pas seulement question de trouver une meilleure façon de calculer
le budget de l’État où les coûts sociaux, mais de
l’étique d’une politique d’ouverture et de solidarité
qui est rendue possible par nos nouvelles capacités de développement
et de création de richesses pour tous... La création en
Europe d’une Communauté de plus de 320 millions de citoyens est
l’occasion d’un renouveau social et politique qu’il ne faut pas manquer ».
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Hélas, les interventions qui suivirent ne furent
pas toutes au même diapason. Certaines s’attachèrent à
montrer que le revenu de base étant essentiel pour la création
d’emplois, d’autres que ce serait le meilleur stimulant pour les petites
entreprises. Des études très sérieuses présentées
sur les propositions faites dans les divers pays d’Europe, il est ressorti
que le revenu de base a été défendu par des gens
de droite, comme le moyen d’améliorer le système de sécurité
sociale, de rendre supportables l’existence de groupes désavantagés,
du supprimer, avec le piège de la pauvreté, l’incitation
au travail « au noir » et enfin, d’encourager les emplois
mal payés. « En période d’âpre compétition
pour la recherche d’un emploi, il pourrait être intéressant
d’aider ceux qui sont volontaires pour se retirer de la course ».
Mais l’assemblée de Louvain-la-Neuve était surtout faite
de gens de gauche, bien rôdés à la démonstration
des avantages humains d’un revenu assuré à tous. Ann Miller,
fondatrice du groupe de recherche pour le revenu de base à Edimbourg
analysera tout l’intérêt que représente pour les
femmes l’assurance de leur indépedance économique et fustigea
les mouvements féministes qui se contentent comme devise de «
égalité de paie et de conditions, et le plein emploi pour
tous ». Cette « solution » du plein emploi pour, à
la fois, les hommes et les femmes, remarque Ann Miller, oublie certaines
dures vérités... Il faudrait d’abord définir le
plein emploi et savoir s’il est à nouveau possible comme au cours
des années 50 et 60 ! Les femmes ne semblent pas comprendre, dit
Ann Miller, le rôle potentiel d’un revenu assuré, en tant
que fondement d’une foule de possibilités dans une économie
alternative.
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Le point a été fait, pour chacun des
pays représentés, de la situation et de l’éclat
des débats sur la garantie d’un revenu de base pour tous.
Autres exposés intéressants : les tentatives pour en chiffrer
le coût, dans différents pays. Et nous abordons là
la question cruciale : comment financer un revenu décent pour
tous ? Tous les autres intervenants ne conçoivent ce financement
que sous la forme d’une redistribution : l’argent doit être prélévé
par des impôts, impôts seulement sur les entreprises et
les capitaux pour certains, impôts également sur les salaires
pour les autres. Le montant du revenu garanti, dans ces conditions,
ne peut être que le minimum de survie. D’ailleurs quelqu’un a
judicieusement fait remarquer que les débats s’enveniment toujours
dès que cette question du montant est abordée...!
J’ai eu deux occasions de montrer l’avantage d’une véritable
distribution du pouvoir d’achat. Au cours de mon intervention au congrès
sous le titre « le revenu garanti en tant qu’héritage*
» et surtout au cours de la conférence du soir, en Français,
« Aux origines de l’idée d’allocation universelle en France
: l’économie distributive ». Ce fut le moment de situer
l’économie distributive face aux redistributeurs qui oublient
que nous avons désormais les moyens de pourvoir Paul sans enlever
à Pierre. Ce fut aussi l’occasion de répondre aux questions
posées par un public venu nombreux* (plus encore qu’au Congrès
lui-même) à cette conférence, fort bien organisée
par le Collectif Charles Fourier qui en avait pris l’initiative.
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Le dernier jour du Congrès, il a été
décidé de créer un mouvement européen afin
de maintenir le lien entre tous les participants et d’organiser le travail
autour de l’allocation universelle en Europe. Un siège social
et des moyens sont attendus du Centre Européen pour le Travail
et la Société.
Ce mouvement a reçu pour nom : BIEN c’est-à-dire « Basic
lncome European Network ». La Grande Relève s’est offerte
pour en publier régulièrement des nouvelles : nos lecteurs
ne seront donc pas étonnés s’ils découvrent dans
nos colonnes une « Neswsletter » du BIEN, en Anglais. Nous
nous efforcerons de la traduire pour eux.
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*« Basic income as an inheritance », le
texte est disponible au journal pour les lecteurs qui voudraient l’utiliser.
**Merci aux amis Belges venus de Liège pour cette soirée qui se termina très tard.