S’adapter aux temps modernes


par  M.-L. DUBOIN
Publication : octobre 1981
Mise en ligne : 26 mars 2008

EN cette fin du mois d’août, j’ai reçu plusieurs lettres curieusement semblables. Elles disent : « dans le Nouvel Observateur du 22 au 28 août, l’article de Michel Bosquet intitulé La loi des Robots semble avoir été écrit pas votre Père, mais quelque quarante ou cinquante ans plus tard ! ».
Et c’est bien vrai. Jacques Duboin a dit en substance, mais avant que les faits ne soient flagrants pour tous : « attention, l’automatisation de la production va bouleverser les économies développées. Il faut s’y adapter avant d’en pâtir ». D’où ses propositions d’une économie distributive assurant à tous des revenus à vie, un partage équitable du travail et une durée du temps libre croissant justement grâce à cette automatisation des moyens de production.
Ses thèses ont enthousiasmé une foule de gens, dont la plupart ont été séduits par la simplicité et la logique de ses déductions, d’autres par l’aspect plus humain et plus « épanouissant » de la société qu’elles entraînent forcément.
Maintenant qu’il est devenu évident, pour une majorité de gens informés, que les années qui viennent vont encore plus radicalement que par le passé bouleverser toutes nos habitudes sur le travail, on voit grossir le nombre de gens qui arrivent enfin à notre conclusion première : il faut réduire le temps de travail de chacun, en le partageant entre tous.
Curieusement, la suite logique de nos propositions ne semble pas venir facilement à l’esprit de ceux qui découvrent enfin dans quel sens l’évolution des techniques nous pousse. ils voient que le travail humain nécessaire pour faire produire par les machines ce dont nous avons besoin, diminue. Ils voient qu’avec les robots dont le nombre va inévitablement augmenter à toute allure, la quantité des produits obtenus croît. Mais ils ne voient pas que si les revenus des travailleurs restent proportionnels à leur temps de travail, ils ne leur procureront pas le pouvoir d’achat correspondant à la production ! Ils ne comprennent pas que, comme le dit Bosquet : « à cause des robots, les dogmes les mieux enracinés de la science économique sont battus en brèche ».

*

Le journaliste du Nouvel Observateur ne semblait pas, en mars dernier, avoir adopté notre conception du revenu social, contre-partie logique de la réduction du temps de travail, parce que, écrivait-il alors dans les Temps modernes : « il remplace ou complète, selon les cas, l’exploitation par l’assistance, tout en perpétuant la dépendance, l’impuissance et la subordination des individus vis-à-vis du pouvoir central ». Une telle remarque montre de façon évidente qu’il raisonnait dans la logique du système capitaliste où le vrai pouvoir, le plus fort de tous (nos gouvernants actuels en font l’expérience) est le pouvoir économique des marchands. Ce pouvoir qui a pour objectif principal de « produire les consommateurs dont le système industriel a besoin pour écouler ses produits » ! Or c’est justement cette logique-là que le système distributif inverse. On y produit non plus pour vendre, avec toutes les servitudes et l’esclavage que ceci implique, mais pour satisfaire les besoins des membres de la société qui, parce qu’ils sont les consommateurs, sont directement les gérants d’un système sans profits.
Il n’y a pas « assistance » quand tous les membres de la société sont traités selon les mêmes normes. Un travailleur à la retraite se considère-t-il aujourd’hui comme un assisté ? N’est-il pas normal que, dès lors qu’on fournit sa contribution à la société, celle-ci vous considère comme un membre à part entière et vous remette normalement cette part ?
Impuissance ? Quelle est aujourd’hui la « puissance » du travailleur sur le marché du travail ? Est-ce que le consommateur, poussé par des publicités (puissantes) à acheter n’importe quoi pour qu’un autre puisse vendre, dispose d’une réelle puissance pour déterminer ce qui doit être produit ? L’économie distributive confère au contraire le pouvoir du choix, par la consommation, à tous les membres de la société.
La « subordination » des individus ? Comment subordonner, et à qui, les individus d’une société qui disposent du temps et des moyens pour s’informer, s’instruire, se cultiver ?
Ce n’est pas facile d’imaginer une société sans profit quand on vit dans un monde où il règne en maître depuis des générations. Mais il était tout aussi inimaginable, il y a seulement un siècle, qu’un jour le travail soit désacralisé ! Et pourtant, sur ce point, Michel Bosquet va plus loin que certains de nos amis qui s’estiment « distributistes  » mais qui n’imaginent pas une société qui ne remettrait pas une prime aux meilleurs travailleurs* ! Il a compris que la «  mutation » dont parlait J. Duboin, amène l’homme à se définir par ce qu’il fait dans son temps libre plutôt que pendant son temps de participation à la production. Il sent que l’éthique de la célérité, de la ponctualité, du « on n’est pas là pour s’amuser », éthique que l’école n’a cessé d’inculquer aux enfants depuis l’invention des manufactures est en voie de disparition. Mais la glorification de l’effort, de la vitesse, du rendement sur laquelle se sont fondées les sociétés industrielles a laissé une marque profonde dans les esprits. Car si l’éthique du rendement s’effondre, Bosquet, que deviendra la hiérarchie sociale et industrielle  ? Sur quels impératifs pourra s’appuyer l’autorité de ceux qui commandent ? A sa propre question, le Journaliste du Nouvel Obs répond avec nous qu’ils devront traiter les travailleurs (lui, hélas, dit encore « les salariés ») comme des personnes autonomes et obtenir leur coopération plutôt que d’exiger leur obéissance. Nous ajoutons que ceci se fera dans la société distributive parce qu’elle sera constituée de membres disposant des mêmes moyens, donc vraiment libres et égaux en droits.

*

A l’heure où le discours de notre Premier ministre à l’Assemblée, d’une part, et la dernière encyclique du Pape d’autre part, s’accordent pour dire qu’il faut donner la priorité à l’homme sur le travail, nos amis « distributistes » doivent sentir que nous ne sommes plus
seuls à prêcher dans le désert, que l’utopie dont on nous a si facilement accusés devient réalité.

* Voir la « Tribune libre » de ce même numéro.


Brèves

13 août 2023 - Suivez-nous sur les réseaux

Facebook, X (Twitter), Telegram

24 mars 2021 - Publications de La Grande Relève

L’équipe de la rédaction connaît des difficultés de santé et de disponibilité. Le rythme des (...)

8 janvier 2021 - Livre "Économie distributive de l’abondance" au format ePub.

Le livre "Économie distributive de l’abondance" de Jacques Duboin est désormais disponible au (...)

1er janvier 2021 - "Libération" au Format ePub

Mise à jour des fichiers ePub et PDF des livres disponibles sur notre site, de Jacques Duboin et (...)

12 avril 2019 - Les Affranchis de l’an 2000

Fichiers ePub et PDF du livre Les Affranchis de l’an 2000 de Marie-Louise DUBOIN.