Socialistes et vieilles chimères
par
Publication : décembre 1981
Mise en ligne : 25 novembre 2008
DISPOSANT d’une solide majorité, le gouvernement socialiste
a les coudées franches pour construire une France socialiste.
Il y aurait tromperie sur l’étiquette si, après y avoir
réfléchi durant tant d’années, dressé tant
de projets, prodigué tant de discours, nos socialistes devaient
se borner à faire du social-capitalisme. Auraient-ils été
élus pour relancer l’économie de marché et de libre
concurrence, subventionner la libre entreprise, garantir la liberté
des prix et des profits ? Socialiser le crédit ? La belle affaire
si c’est pour se désintéresser du cheminement de l’argent
introduit dans la circulation et ses innombrables canaux ! Qu’en font
les bénéficiaires plus enclins à se remplir les
poches qu’à créer des emplois ? Et puis, des emplois pour
faire quoi ? Il est grand temps de se préoccuper de la finalité
du travail, de réduire les gaspillages, de répartir entre
les personnels physiquement et intellectuellement aptes, l’effort, les
tâches seulement nécessaires pour assurer un niveau d’approvisionnement
souhaité par les consommateurs, les opérations de mise
en place et de distribution.
Il n’est certes pas besoin de mobiliser à cet effet vingt millions
de personnes de l’aube au crépuscule, eu égard au renfort
apporté par l’armée des robots, celle d’un milliard d’esclaves
mécaniques capables de travailler sans relâche et qu’il
suffit d’encadrer et d’approvisionner. Cette force d’appoint, considérable
mais si mal utilisée au service des hommes - priorité
au capital - ne devrait-elle pas procurer plus d’abondance et de loisirs,
refuge des activités Iibres ? Un Etat socialiste craindrait-il
de s’engager dans l’édification du socialisme, de quitter la
voie sécurisante d’un social- capitalisme, renonçant à
libérer la production de ses freins financiers, des griffes du
profit ? Il faut au socialisme un nouvel outil monétaire, une
monnaie de consommation, un système de prix, d’autres modes de
formation des revenus de nature à remplacer le rôle du
capital et celui du profit. Après quoi, tout ou presque tout
devient possible, une fois les revenus dissociés des prix et
de la durée de l’emploi ; notions encore insolites pour les esprits
formés aux vieilles disciplines économiques, enclins à
n’y voir qu’utopie, illusions, chimères. En réponse, ces
propos de Victor ALTER, toujours actuels bien que datant de 1932 (1) :
« De nombreux socialistes considèrent que la socialisation,
c’est le socialisme lui-même. Nous croyons que la socialisation
n’est que du capitalisme d’Etat et que le
capitalisme social aura les mêmes défauts, les mêmes
contradictions et les mêmes difficultés que le capitalisme
actuel.
« Rien de plus surprenant que le profond respect des dirigeants
socialistes envers les bases et les principes du système financier
capitaliste.
« La première condition pour surmonter la crise sans que
la classe ouvrière ait à en supporter les frais, c’est
de changer radicalement le système financier actuel. Une croyance
beaucoup trop répandue, c’est qu’il est possible d’augmenter
le bien-être des travailleurs d’une façon continue, sans
mettre en danger les bases du régime capitaliste. On s’aperçoit
maintenant que cette croyance n’était qu’une illusion, même
une duperie. »
(1) Dans « Comment réaliser le socialisme » librairie Valois.