Un cheval de Troie en Europe

Anthologie
Publication : juillet 2000
Mise en ligne : 29 mars 2009

En Octobre 1998 André Prime a présenté ici son analyse du précédent livre de Michel Bugnon-Mordant “L’Amérique totalitaire” [1]. Cet auteur vient de publier “Sauver l’Europe” [2] et André l’a également dévoré et apprécié. Et pour donner à nos lecteurs l’envie de découvrir ce livre, il a choisi aujourd’hui, plutôt qu’en faire une critique personnelle, d’en reproduire quelques passages particulièrement forts, le premier montrant la mainmise anglo-saxonne sur la Commission Européenne, les autres sont extraits de la conclusion :

Sentant la victoire proche, les industriels européens font pression sur la Commission de Bruxelles qui se met à libéraliser hors de toute consultation démocratique. Aucun débat interne à la Commission ne vient étayer les décisions prises par quelques-uns mais dont les effets vont se manifester pour tous. Le pouvoir d’infléchir la politique économique européenne sera en fait confisqué en 1980 par le Britannique Leon Brittan et l’un de ses collègues, encouragés par l’équipe de Downing Street. S’autorisant à interpréter l’article 90, §3 du traité de Rome qui « autorise la Commission européenne à adresser une directive aux États membres qui se comporteraient mal en matière de concurrence », cette dernière proposition étant entendue comme « ne laissant pas assez de liberté au marché » les Commissaires britanniques remplacent le verbe « adresser » par le verbe « arrêter » se substituant de la sorte aux organes de décision. La France et d’autres États déposent une plainte auprès de la Cour de Justice européenne. En 1982, cette dernière, acquise au dogme libéral, donne raison à la Commission.

Le tournant est ici majeur. Faisant jurisprudence, la décision d’autoriser la Commission à “arrêter” des décisions marque la prise de pouvoir par les lobbies économiques qui, par le biais de leurs représentants dans l’exécutif bruxellois, sont désormais autorisés à légiférer et à obliger les États membres à privatiser l’ensemble de la sphère publique. Le tour de passe-passe des Commissaires britanniques et son entérinement par la Cour européenne constituent donc un coup de force à l’égard des citoyens européens.

L’application de l’article 90, §3 se fera de plus en plus fréquente. Le domaine de la télécommunication fournit un exemple privilégié de la façon dont les investisseurs privés se sont emparés de cet espace essentiel de la vie citoyenne. Les télécommunications représentent au bas mot, au début des années quatre-vingt, près de 200 milliards de francs français de profits au niveau mondial dont il s’agit de s’emparer.

Ces précisions apportent la preuve de ce que nous avons souvent signalé, à savoir que l’Angleterre est le cheval de Troie des états-Unis dans l’Europe. Souvenez-vous : elle y est entrée à condition que ce soit sans le volet social. De Gaulle, pourtant visionnaire, avait sous-estimé le danger lorsque, questionné sur l’entrée éventuelle de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun, il répondit :« Quand tout sera en place, l’Angleterre pourra peut-être un jour s’amarrer à l’Europe ».

Développement aggravant : du temps de la longue amitié et connivence Kohl-Mitterrand, l’axe Paris-Bonn prédominait en Europe. Avec le social-démocrate (?) Schroeder - pourtant ex-gauchiste comme Jospin - c’est l’axe Berlin-Londres qui a tendance à prendre la relève, Jospin, avec son obstination sociale (socialiste ?) faisant figure de ringard.


Un patrimoine définitivement saccagé

« Nos enfants sont aujourd’hui en danger de mort. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, le patrimoine appartenant à tous est non seulement confisqué par quelques-uns, mais irréversiblement saccagé…

En composant avec Hitler afin de conjurer les dangers que l’on ne voulait pas voir, l’Europe des années Trente s’est attirée un déluge de feu et de souffrances. Composer avec les États-Unis aujourd’hui, c’est se préparer des siècles de servage et la perte de notre âme…

C’est pourquoi une guerre sans concession, une guerre à mort doit s’engager entre le politique enfin restauré et les États dans l’État, particulièrement, ces multinationales et transnationales qui écrasent sous leur talon l’ensemble des hommes, des femmes et des enfants de la planète. La première d’entre elles, Monsanto, doit constituer la cible privilégiée des pouvoirs publics. La firme américaine détient aujourd’hui plus de 70 % des brevets dans le domaine du vivant. Ajoutée à ces autres multinationales alimentaires que sont Mc Donald et Coca Cola, elle menace non seulement de s’approprier l’ensemble du marché alimentaire dans les dix années à venir mais de procéder à la stérilisation du vivant. La généralisation du transgénique porte en elle la promesse mortelle de prévenir tout retour à une agriculture naturelle, les semences naturelles étant peu à peu détruites par stérilisation, de sorte qu’il ne saurait être question, d’ici 2010, de revenir à une agriculture biologique. On conçoit de quelle arme pourrait disposer Monsanto, et par elle les États-Unis. Le chantage à la nourriture en serait la conséquence logique :« Appliquez la politique que je vous dicte, ordonnerait Washington, ou vous n’aurez rien à manger ». Dès lors, soja transgénique, boeuf aux hormones, maïs artificiel, non seulement envahiront la chaîne alimentaire, mais les organes idoines aux États-Unis s’attellent déjà à empêcher, via l’OMC, l’étiquetage des produits, de sorte que les consommateurs achèteront en toute innocence — et ignorance — des produits génétiquement modifiés, alors même qu’ils les refusent massivement. Le totalitarisme alimentaire, comme tous les autres, s’instaure lorsque les hommes n’ont plus le choix…

Le domaine éducatif constitue, lui aussi, une priorité. L’Europe imite la privatisation rampante de l’éducation telle qu’elle se pratique aux États-Unis, où, par ailleurs, se développent, notamment en Californie, les premiers noyaux de résistance. Lieu privilégié d’application du marketing visant les jeunes, l’école américaine trouve normal que dans 40 % des établissements, la journée commence par un endoctrinement diffusé par le journal télévisé de Channel One qui, par la même occasion, arrose les jeunes cerveaux de spots publicitaires. Points de vente de Coca ou de Pepsi, les écoles sont de plus en plus soumises aux pressions des entreprises qui les soutiennent financièrement. Ainsi, écrit Steven Manning dans The Nation, l’automne dernier, l’un des principaux responsables du district n°11 a envoyé aux administrateurs une lettre leur enjoignant d’augmenter les ventes de Coca dans leurs écoles afin de respecter les chiffres prévus dans le contrat. Dans un autre établissement, une missive confidentielle, publiée pour la première fois par The Indépendant de Colorado Springs, incitait vivement les professeurs à laisser les élèves boire du Coca en classe.

L’Europe, comme à l’accoutumée, copie. En Suisse, le salaire au mérite introduit par le canton de Zurich fait des émules. Le statut de fonctionnaire ayant été abrogé dans ce canton ultra libéral en 1996 et alors que, parallèlement, les profits des 350 milliards helvétiques décuplaient (80 milliards de dollars en 1997) sans qu’il leur en coûte un franc d’impôt, les enseignants s’y trouvent dans une position d’instabilité et d’inconfort maximum.

Contrairement à ce qu’affirme Francis Fukuyama dans ses deux livres, le premier proclamant la mort de l’Histoire, le second, The great disruption, annonçant la mort de l’homme tel que nous l’avons connu et la naissance d’un homme nouveau capable d’agir sur son patrimoine génétique et donc de se reprogrammer à sa guise, les lois du marché, la réduction de l’État social, la pleine liberté des échanges financiers et commerciaux au profit d’une hyperclasse pour laquelle travailleront servilement les quatre cinquièmes des masses mondiales, l’État régalien contrôlé par les citoyens peut voir le jour. La masse citoyenne aura-t-elle la lucidité, le courage et la détermination qu’il faut pour s’insurger contre le monde littéralement inhumain qui croît chaque jour, ou est-elle déjà trop résignée pour s’insurger ? Les humains, et probablement tous les êtres vivants, en ce début de XXIe siècle n’ont que très peu de temps pour répondre. »


[1Voir Totalitarisme de droite GR-ED N° 981 (Octobre 1998) pages 9-10.

[2aux éditions L’Age d’Homme Paris.


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