Une mesure d’extrême urgence : le salaire garanti par l’Etat


par  J. DUBOIN
Publication : octobre 1978
Mise en ligne : 14 octobre 2006

  Sommaire  

NOUS avions prévu les inévitables licenciements de salariés. Les incidents des chantiers navals finiront-ils par émouvoir l’opinion ?

Les travailleurs de Port-de-Bouc, menacés de congédiement, souhaitent achever la construction du « Provence » afin de retarder de quelques semaines l’heure où, avec leur famille, ils vont sombrer dans la misère. Mais le « financier » décide que ces ultimes travaux seront exécutés à la Ciotat, parce qu’ils y coûteront moins d’argent.

Le conflit donna naissance à une recrudescence des vieux bobards dans la presse, à la radio et à la télévision. Des « experts » armés d’un ridicule solennel, sont venus affirmer, la main sur le coeur, que ces travailleurs seraient « reclassés » ; le gouvernement n’était-il pas fermement décidé à maintenir le « plein emploi » ?

Dans le « Figaro », Pierre Locardel, d’ordinaire mieux inspiré, réclama éloquemment l’implantation de nouvelles usines. Mais en a-t-on jamais implantées pour fournir du travail à ceux qui n’ont pas d’autre moyen de vivre ? Ce serait faire du travail une fin en soi, alors qu’il n’a jamais été qu’un moyen. Apprends, ô Locardel, qu’on n’a jamais édifié d’usine que dans l’espoir d’y gagner beaucoup d’argent, ambition parfaitement logique, car, si l’on n’en gagne pas, on en perd, et le Tribunal de Commerce ne tarde pas à mettre fin à une activité aussi intempestive. Or semble-t-il bien indiqué de construire de nouvelles usines, quand celles qui existent n’utilisent qu’en partie leurs moyens de production ? Dans quel secteur industriel ou agricole ne se plaint-on pas amèrement, de ne plus réussir à écouler ce qu’on a pris la peine de produire ?

 

Locardel, mon ami, souviens-toi que, dans notre système économique dit des salaires-prix-profits, on ne produit pas pour consommer mais pour vendre, car si l’on ne réussit pas à vendre, on cesse de produire. C’est absurde, mais c’est comme ça, et presque tous nos contemporains estiment que ce ne pourrait être autrement ; ce serait bref une loi divine ! En foi de quoi, on trouve naturel qu’un homme puisse dire à un autre homme je ne te permettrai de vivre que si tu me fais gagner de l’argent. Quelle curieuse fraternité, n’est-il pas vrai ?

En somme gouvernement et centrales ouvrières ne sont d’accord que sur un seul point : le plein emploi. Et cela dans le même temps qu’on se félicite de l’avalanche des progrès techniques alors qu’ils suppriment des emplois. Et que M. Michel Debré s’en va prêcher, dans toutes nos provinces, la concentration des entreprises afin d’augmenter la productivité, laquelle consiste à produire toujours davantage en diminuant la feuille de paie or comment pourrait-elle diminuer sans supprimer des emplois ?

La recherche du plein-emploi est maintenant une utopie de première grandeur. En effet quand les marchandises abondent au point de les stocker - 75 millions de kilos de beurre et tout le reste à l’avenant - il faut être frappé d’une incurable myopie pour se persuader qu’on manque de travail, alors qu’on ne manque que de clients, autrement dit de consommateurs, possédant dans leurs poches assez d’argent pour acheter ce dont ils ont besoin. Réclamer le plein-emploi, au moment où l’on licencie les travailleurs dont on n’a plus besoin, est aussi ridicule que si les agriculteurs, dans l’impossibilité de vendre leur lait, réclamaient non des clients, mais de nouvelles vaches laitières !

Il convient donc de prendre le problème par un autre biais. Ce ne sont pas de nouveaux emplois qu’il faut réclamer, mais de nouveaux clients. Ceux qui existent sont insuffisants puisqu’on se les arrache malgré une débauche de publicité hallucinante, hystérique, assourdissante. En augmentant le nombre des clients, ou plus exactement en augmentant le pouvoir d’achat de nombreux consommateurs, la production se porterait comme un charme, entendez-vous ? Elle prendrait vite de l’expansion puisque nos moyens de production tournent au ralenti. En définitive, gouvernements, économistes distingués et centrales ouvrières sont priés de changer leur fusil d’épaule. Si leurs yeux ont été placés sur le devant de la tête, n’est-ce pas pour les empêcher de regarder en arrière ?

Enfin si l’on veut augmenter le pouvoir d’achat des consommateurs qui en manquent, la première chose à éviter serait de ne pas leur en supprimer. Or c’est exactement ce qu’on fait, quand on transforme les travailleurs licenciés en sous-consommateurs !

En conséquence, au lieu de réclamer stupidement la garantie de l’emploi, impossibilité au XXe siècle, il convient d’exiger le salaire garanti. A cet égard, la plus humble fermière de nos campagnes peut servir d’exemple à M. Michel Debré : elle donne indistinctement du grain à la poule qui pond et à celle qui ne pond pas !

 

Mais garantir le salaire du travailleur licencié exige de l’argent : où le prendre, demande l’idiot du village ?

Evidemment pas à son ex-patron, car, -neuf fois sur dix, ce serait l’acculer à la liquidation de son entreprise, et alors tout son personnel serait aussi liquidé.

Donc à qui ? Tout bonnement à l’Etat, non seulement parce qu’il est le représentant de la collectivité ; mais que c’est lui qui fabrique l’argent !

Entre parenthèses, on observera que l’Etat a déjà commencé à garantir le pouvoir d’achat d’une catégorie de nos compatriotes. Il s’agit des militaires de carrière dont l’armée moderne n’a plus besoin.

Or, ce qu’on fait déjà pour le militaire de carrière, il semble équitable de le faire aussi pour le travailleur dont on supprime la carrière. Pourquoi deux poids et deux mesures ? Pendant la guerre le militaire de métier et le travailleur mobilisé comme homme de troupe, ne courent-ils pas exactement les mêmes risques ? Alors pourquoi le sort du premier, en temps de paix, serait-il meilleur que celui du second ?

Le salaire garanti par l’Etat ne lèse absolument personne. Au contraire, il réjouira le coeur du détaillant, car les licenciements ne diminueront plus son chiffre d’affaires puisqu’il ne perdra plus des clients.

Hélas ! c’est du grand public qu’il faut faire l’éducation. Pour beaucoup de gens l’argent reste un mystère qu’ils ne cherchent jamais à pénétrer.

Si on, les interroge, on en- -rencontre pets pour croire que l’argent tombe du ciel ou pousse sur les arbres, mais c’est à peu près tout ce qu’ils en savent. Essayer de leur expliquer que, depuis la première guerre mondiale, la monnaie a perdu toute valeur intrinsèque, qu’elle n’est plus que du papier ou des écritures comptables, bref plus qu’un titre de créance au porteur sur les marchandises et, les services qui sont à vendre : autant s’exprimer en chinois !

Ce qu’il faudrait enseigner, c’est que l’Etat a toujours fabriqué la monnaie. Elle constitua un droit régalien dans tous les pays prétendus civilisés. Certes l’Etat a abandonné une partie de son droit régalien à quelques grandes banques, mais dans les limites qu’il ne manque jamais de fixer. Ces grandes banques fabriquent la monnaie sous forme de crédits mais dans la seule intention de la prêter à intérêts. Dans ces conditions elles le maintiennent aussi rare que possible afin d’en tirer profit : As-tu compris, Georges Dandin ?

Terminons en rassurant les centrales ouvrières le salaire garanti par l’Etat n’est pas l’unique revendication des « abondancistes », mais, de toutes les mesures qui pressent, c’est la plus urgente ! Il y a assez de misère en France pour qu’on n’en ajoute pas.

(« La Grande Relève, éditorial de mars 1966)

Soulager la misère est un problème. La guérir en est un autre. L’économie distributive substitue la justice à la charité.

J. D.

EST-IL MALAISÉ DE CONCEVOIR QUE DANS UNE SOCIETE OU CHACUN OBEIT A LA LOI DU MOINDRE EFFORT, UN JOUR VIENDRAIT OU LA CONSOMMATION NE SERAIT PLUS LIMITEE A L’EFFORT FOURNI ?

J. DUBOIN

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